• Bonjour Chloé, quel est votre parcours ?

Je suis vosgienne, arrivée sur Paris en 2006. Après une option théâtre dès le lycée puis à Hypokhâgne, j’ai rejoint la Sorbonne Nouvelle en licence 3 d’études théâtrales en 2008. Ma passion pour la scène est plus ancienne puisque mes premiers rôles remontent à mes six ans. Je suis depuis toujours émerveillée par la capacité du théâtre à créer des émotions sans concourir à l’artifice ou des précédés tout en affichant clairement l’artifice et les procédés d’illusion. Pour Shakespeare, il suffit qu’un homme seul sur scène dise « moi et mon armée » pour que l’on y croit.
 
Dès la licence, Jean-Pierre Han m’a permis de participer à la revue Frictions, consacrée aux critiques théâtrales. Une vraie chance. Pourtant, c’est Frédéric Maurin, mon directeur de mémoire de master, qui va provoquer la bascule. Il avait repéré ma passion pour la photographie. Il l’a mariée avec le théâtre sur un terrain hybride. En deux mémoires, il m’a mise sur un chemin que je n’ai plus quitté depuis. Le premier était consacré au « paradigme de la théâtralité dans la photographie » ou comment retrouver de la théâtralité dans des séries photographiques ? Le second abordait un sujet
profond « Au-delà de l’irreprésentable, l’expression scénique et photographique du traumatisme collectif ». Autrement dit ; comment réparer sans que les témoignages des survivants ne soient insupportables ? Comment l’art permet-il de regarder l’horreur en face ? Ces mémoires m’ont aussi permis de croire en mon écriture, sa qualité, mais aussi ma capacité à écrire 100 pages en un mois.
 
  • Depuis, quel est votre parcours et vécu professionnel ?

Le master en poche en 2011, je me consacre complètement au métier de photographe que j’exerçais déjà pendant mes études. Je travaille à mon compte ce qui m’offre une liberté absolue. Je ne rends compte à personne, je suis ma seule juge. Je fais de la commande, je revendique mon expertise. Dans la mesure du possible, j'essaie de ne travailler qu’avec les personnes ou les entreprises avec lesquelles je partage les valeurs et qui sont, évidemment, en accord avec mes compétences.
Ce que je préserve, c’est ma capacité à l’émerveillement. Trouver, sans cesse, la beauté dans toute chose. Par exemple, on m'a un jour commandé des reportages dans les déchetteries de Charente Maritime. Sur le papier, ça ne fait pas rêver et pourtant j'ai réussi à y déceler une beauté insoupçonnée. On fait des rencontres humaines improbables avec des personnes issues de toutes les catégories sociales. Quand on est curieux, c’est un beau métier.
 
  • Comment le théâtre continue d’irriguer ta vie professionnelle ?

A la base, je suis très timide et introvertie. J’ai été puiser dans mon expérience d’actrice pour oser aller vers les gens et m’imposer un peu. Le théâtre m’a permis d’incarner le rôle de Chloé, la photographe. Il me permet d’aller plus loin que simplement Chloé. Je peux ainsi forcer le contact et mieux faire mon travail tout en m’autorisant plus de choses. Je suis mieux armé pour construire la relation avec mon sujet. Je cherche l’équilibre entre l’image dont j’ai besoin et le respect de la fragilité de mon sujet. Photographe, on est en situation de pouvoir, c’est capital de respecter la vulnérabilité de la personne qui accepte de s’exposer.
Avec la théorie théâtrale, j’ai appris la mise en scène, l’identification de l’efficacité de certains signaux. Ceux, notamment visuels, sur lesquels je vais pouvoir construire ma photoet provoquer ainsi un certain ressenti. J’ai recours à tout un panel d’outils pour exprimer l’émotion que je cherche. Je choisis celui qui me permettra de connecter immédiatement le spectateur à mon récit. J’ai puisé dans le théâtre pour penser la photographie.
 
  • Quel conseil donneriez-vous à un étudiant de la Sorbonne Nouvelle ?

Elève de prépa, on entend beaucoup de remarques négatives sur la fac, comme un dénigrement, un déclassement alors même que c’était le dessin de la majorité d’entre nous de la rejoindre. Pourtant, c’est à la Sorbonne Nouvelle que j’ai enfin vécu mon épanouissement intellectuel. En prépa, on nous enferme dans des codes et des références communes. A la fac, j’ai pu faire exploser le moule, ce fardeau que la prépa m’a fait éprouver. On m’a constamment encouragé à produire une pensée brute et
personnelle, quitte à ce qu’elle soit atypique. La fac m’a permis de reconstruire tout ce que la prépa avait détruit. Elle m’a révélée à moi-même. Elle m’a donné un élan de vie qui fait toujours partie de mon humanité. Profitez-en !
La fac a également autorisé ma richesse créative. Au-delà de la photographie, j’ai scénarisé une bande dessinée : L’apocalypse selon Magda. Par ailleurs, j’achève en ce moment un roman, une histoire d’autodétermination et de rébellion dans un monde très abîmé.
 
  • Une anecdote sur votre parcours ?

En études théâtrales, nous sommes encouragés à déposer nos mémoires à la Théâtrothèque Gaston Baty, hébergée à la Bibliothèque de la Sorbonne Nouvelle. Une façon de respecter nos contributions aux études théâtrales. Je ne l’avais toujours pas fait pour mon second mémoire. J’ai recontacté Frédéric Maurin avec un message très institutionnel et respectueux. Il se souvenait de moi et la complicité que j’avais ressentie à l’époque s’est manifestée avec évidence et naturel. Le dépôt de ce mémoire était une façon de dire « merci »

Retrouvez Chloé sur les réseaux sociaux : 
Instagram