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Bilan du programme " Territoires du rire à la télévision "

Projet innovant de l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, Marie-France CHAMBAT-HOUILLON & François JOST

Bien que la télévision soit de plus en plus reconnue comme un objet d'étude pour des disciplines très diverses faisant écho à la multiplicité des approches méthodologiques employées, il n'en demeure pas moins que ce sont les analyses monographiques qui apparaissent majoritaires. Ainsi de nombreuses études, telles que les femmes et le travail, les magazines de société dans les années 60 ou les épidémies à la télévision voient le jour. Ces études sont certes légitimes, mais limitées car il nous semble qu'elles ne permettent pas de comprendre complètement le fonctionnement de la télévision et de ses programmes. Afin d'éviter de s'enfermer dans un thème ou une période, le CEISME a donc choisi de travailler davantage sur un objet transversal afin de construire un champ télévisuel de recherche permettant de comprendre de façon générale la télévision. Le caractère innovant du projet réside précisément dans une approche dont le point de départ est une disposition perlocutoire générale (faire rire, faire sourire) et non pas un objet prédéterminé, afin d'étudier le fonctionnement sémiotique spécifique de ce média. Ce programme s'est terminé en 2008
 
  • Constitution de l'équipe

 
  1. François Jost (Professeur, UFR Communication) : co-pilote scientifique.
  2. Marie-France Chambat-Houillon (MCF, UFR Communication) : co-pilote scientifique
  3. Ioanna Vovou (MCF, Université Paris XIII, )
  4. Bernard Papin (MCF, Paris-Sud XI)
  5. Sébastien Rouquette (MCF, Université Clermont-Ferrand 2)
  6. Yannick Lebtahi (MCF à Lille III)
  7. Laurence Leveneur ( Doctorante sous la direction de F. Jost, allocataire-moniteur, UFR Communication)
  8. Rima Lawandos (Doctorante sous la direction de F.Jost)
 
 
  • Rappel des objectifs

Les trois principaux objectifs sont :
  1. Définition de l'objet : qu'est-ce que le rire à la télévision ? Différences et parentés entre humour, comique et rire.
  2. Une typologie du rire télévisuel : quelles sont les formes du discours comique à la télévision ?
  3. Evaluation de la place de ce type de discours dans l'espace public. Existe-t-il une spécificité et une autonomie de ces stratégies de discours télévisuels ?
 
  • Résultats
 
I. Qu'est-ce que le rire télévisuel ?

Bien qu'il y ait une multitude de disciplines qui se soient penchées sur le phénomène du rire et du comique, il n'en demeure pas moins une carence théorique du rire médiatique et télévisuel. Nous avons donc décidé de travailler dans deux directions :
  • une synthèse de différentes approches (littéraire, philosophique, linguistique, historique, etc.) a été faite grâce à un travail de lecture et de commentaire des éléments principaux de la bibliographie.
  • chaque chercheur a creusé (et va continuer de creuser) des problèmes théoriques particuliers.
Certains des travaux ont été publiés et sont énumérés dans les Publications.

Synthèse de différentes approches

Janvier 2006 - séance de travail consacrée à la place de l'humour dans le champ de la philosophie phénoménologique à travers le commentaire de Simon Critchley, De l'Humour, (M-F. Chambat-Houillon)

Février 2006 - Réflexion sur les procédés comiques en littérature à travers les thèses de J.Emelina, Le Comique, essai d'interprétation (F. Jost)

Mars 2006 - Discussion autour de la dimension historique du rire à partir de G.Minois, Histoire du rire et de la déraison (I. Vovou).

Avril 2006 - Commentaires de G.Genette , Figure V (Rima Lawandos)
Les différentes conceptions de l'ironie (de L.Hutchéon au Groupe u en passant par Sperber et Ducrot) (Laurence Leveneur).

Mai 2006 - le mot d'esprit, l'ironie et l'humour en psychanalyse. Commentaires croisés entre Freud (Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient) et Daniel Grojnowski ( B. Papin).

En repartant des distinctions pratiquées dans d'autres champs, nos résultats permettent de prendre en compte progressivement les influences de ces catégories sur leurs traitements médiatiques, sans pour autant négliger la particularité sémiotique du langage télévisuel dans la production des discours comiques. Les multiples possibilités de combinaisons entre la médiation visuelle et la médiation sonore à la télévision contribue à une inventivité formelle (détournement, falsifications et autres contrefaçons) des discours humoristiques et drôles. Cette transposition conceptuelle des types de rire à la télévision est étudiée plus précisément dans le cadre des projets individuels.
 
    • Problèmes théoriques travaillés par les chercheurs
Une certaine idée du rire et une certaine idée de la télévision : les Ateliers Prévert-Derlon (M-F. Chambat-Houillon)
Ce travail porte sur la collection des " Ateliers Prévert-Derlon ", numérisée à ma demande par l'Inathèque de France.

A l'aide d'une étude formelle et pragmatique mettant au jour le type de gag, d'humour retenus dans cette collection d'émission (aux réalisateurs et scénaristes différents), l'objectif est de montrer si les promesses et intentions de l'auteur principal (Pierre Prévert) délivrées dans les journaux au moment du lancement des émissions sont tenues et respectées (innovation, autonomie du langage télévisuel, etc.). En effet, il s'agit de faire rire en revalorisant l'écriture comique (gag scénaristique) afin ne pas faire dépendre le trait comique du programme sur la seule présence d'un personne " drôle " dont c'est le métier. En effet à la fin des années 60 et au début des années 70, la majeure partie des programmes d'humour repose sur les qualités des personnes invitées et non sur le dispositif de l'émission. Afin d'inventer des dispositifs comiques propre au télévisuel, cette collection de programmes va faire appel à des jeunes réalisateurs, auteurs et comédiens.
Par ailleurs, l'analyse de ces émissions permet d'établir les frontières entre des formes d'humour " innovantes" par opposition à un humour plus classique qui ne joue pas avec la spécificité sémiotique du média. Le jeu sur le langage et ses composantes sémiotiques est spécifique des années 70 en général (Voir résultat du projet précédent in Années 70, la télévision en jeu, CNRS édition, Paris, 2005).

Ce projet expérimental d'émissions nous permet de comprendre à travers le comique comment réflexivement était employé ce média à l'époque et quelles étaient les attentes de création et d'innovation à la fois pour les professionnels et les téléspectateurs. L'objet " rire " est un formidable laboratoire pour " tester " des réflexions sur l'image et le son.

Pastiches et parodies télévisuels (François Jost)
Les définitions littéraires du pastiche et de la parodie s'appliquent très difficilement aux médias audiovisuels en raison de la complexité des combinaisons possibles de l'image et du son. Poursuivant des recherches entamées dans les années 80, on tente ici de démêler les différentes figures de la parodie in absentia et in praesentia.
La détermination de quelques genres théoriques doit être articulée aux genres historiques. Il est en effet remarquable que le pastiche et la parodie occupent une place majeure dès le début de la télévision, ce média ne reprenant d'ailleurs qu'une tendance forte de la radio de l'après-guerre. Quel rôle jouent ces formes dans la constitution d'une communauté de téléspectateurs ? C'est évidemment une question centrale qui conduit cette étude.

Le rire dans l'univers de J-C Averty (Bernard Papin)
Jean-Chritophe Averty et ses collaborateurs des Raisins verts proposent un humour qui emprunte aux catégories, souvent voisines mais néanmoins distinctes, de l'absurde (ou du non-sens), de l'humour noir, de l'humour bête et méchant. On tente ici d'en établir la généalogie (Breton, Freud, Daniel Grojnowski, ...) et d'en mettre au jour les mécanismes. Cet humour grave, voire sinistre, distancé, gratuit (i.e. non moralisateur) est un cri de détresse et/ou de rage devant l'universelle Bêtise. On en trouve trace dans les fatrasies médiévales, les constructions délirantes des grotesques de l'âge baroque, l'humour fin de siècle des fumistes. Cet humour de cabaret dont les maîtres reconnus sont Mark Twain et Alphonse Allais a été salué par l'avant-garde intellectuelle du début du 20è siècle (Jarry, Apollinaire, Breton). On le retrouve dans la presse américaine (Mad, National Lampoon, dont Averty était un fervent lecteur) ou française (Hara-Kiri) des années 60. Copi et Topor ont illustré la même veine au théâtre dans les années 60-70, Jean-Michel Ribes à la télévision dans les années 80.
Par delà les différences, un point commun, semble-t-il : l'incongruité. Non congruence avec la situation (mais peu ou prou ceci est constitutif de toute forme de comique) mais surtout non conformité avec les codes en vigueur et la vision dominante de l'ordre du monde.

Rire et politique (Ioanna Vovou)
Réflexion sur la notion de trickster, introduite par Laura Makarius pour signifier la figure symbolique de dieu-farceur qui s'actualise dans la figure du 'clown rituel'. La question que l'on pourrait posée est celle des éventuelles analogies avec certaines figures de présentateurs d'émissions de divertissement à la télévision actuellement.
Egalement, un travail est entrepris autour de l'énonciation polyphonique chez Oswald Ducrot ; l'objectif étant de distinguer les instances énonciatives plurielles, discernées dans les messages à vocation humoristiques à la télévision. Ce travail, constitue un point de départ théorique pour notre axe de recherche pour le programme " Territoires du rire à la télévision ", portant sur la dérision du politique et chez les politiques dans les émissions à la télévision.

Esthétique de la dérision télévisée (Sébastien Rouquette)
En théorie dérisoire, le son peut compléter, expliquer mais surtout transformer,s'opposer, démentir, désavouer l'image. De même, l'image cumule un nombre conséquent de possibles comiques. Surprenant constat : l'équipe de Groland fait de la sémiologie appliquée sans le savoir. L'esthétique télévisée peut porter un message incisif en jouant sur le registre indiciel, iconique ou symbolique nous répond J.-E. Moustic. Indiciel quand l'on mime des reportages faits en direct, promesses de vérité en raison d'une contiguïté physique avec l'événement montré. Indiciel encore dans l'usage du corps comme signe physique d'un affaissement de l'Etat (le corps - des - policier[s]). Iconique dans le choix de décors manifestement retouchés. Et symbolique enfin pour déprécier au choix l'idéologie du jeunisme (sujet " beauté " lancé par l'image d'un pot de peinture), les discours officiels sur le dopage (sport et seringue) ou encore la politique politicienne (soumise à tous les courants....d'air). On croit regarder de son fauteuil une émission au contenu décapant. On assiste à un décapage en profondeur, certes, mais de fait surtout un décapage de la grammaire visuelle ordinaire.

Différentes pistes doivent être suivies :
La dérision télévisée, est un objectif plus qu'une méthode. C'est bien pour cela qu'elle s'accommode d'autant de genres audiovisuels différents : pastiches ou parodies. Qu'en est-il, du point de vue historique, avec des mouvements artistiques du XXe siècle comme le dadaïsme ?
De quoi rit-on avec dérision ? Du chômage ? Des guerres ? Des génocides ? Des crises économiques ? De la famine ? Du terrorisme ? Quels univers se prêtent à une ré-interprétation dérisoire ? Par ailleurs, de qui rit-on, de soi ou des autres ?
La dérision est avant tout l'arme des petites chaînes : même en clair. l'humour
de l'absurde est-il un humour trop élitiste ou trop communautariste pour les grandes chaînes du principal média de masse ?

Y a-t-il un humour régional ? (Yannick Lebtahi)

Romancier, conteur, auteur de sketches et de pièce de théâtre, dessinateur, peintre et comédien, Simons a dominé la vie artistique régionale durant 40 ans. La force de son œuvre réside dans l'adhésion d'un public populaire, qui se reconnaît ou plutôt reconnaît ses voisins dans les personnages qu'il met en scène dans des situations de vie courante, loin des intrigues bourgeoises. L'utilisation du langage picard, même simplifié pour la compréhension de tous de Boulogne à Arras, de Valenciennes à Tournai, a beaucoup contribué à son succès.
La scène a été son premier tremplin mais la radio, qui naît en même temps que débute l'auteur, est devenue ensuite son principal vecteur d'activité et de notoriété.
Son humour est ramassé, emprunt d'une certaine brièveté, rappelant ses merveilleuses caricatures dont le trait est essentiel et rapide. Il se refuse à la facilité. Il ne verse pas dans une certaine vulgarité, déjà présente dans les répertoires du music-hall ou dans les pièces de boulevard. Il crée son propre style. Les formes générales de son comique résident dans son trait incisif, juste, précis, concis, dans son observation aigüe des personnages placés dans des situations classiques ou banales.
La télévision a pris en quelque sorte le relais de la radio pour Simons. Sollicité alors pour participer à la création de Télé Lille, il a conçu des textes spécifiquement adaptés pour la télévision, comme par exemple " Les enquêtes du père Fichau ". Simons a très vite saisi et su tirer parti des potentialités du dispositif télévisuel. Son succès donc n'a fait que s'accroître pour acquérir une dimension nationale.

Des limites pour l'humour à la télévision ? ( Rima Lawandos)
À la veille d'un changement de pouvoir (1995) pointe une méfiance vis-à-vis d'émissions faisant émerger un ton humoristique dégradé : Osons, de P. Sébastien, qui fit une imitation de de Le Pen fort constestée. Cette nouvelle forme d'humour dégradée pose désormais le problème des limites du rire à la télévision : "l'humour, à la télévision, devrait donc avoir des limites?". D'où l'émergence de nouvelles questions.
Peur-on parler de l'émergence d'une forme d'humour à deux vitesses; l'humour " intello " et l'humour populaire? Plus généralement peut-on parler d'un passage d'un rire à fonction dénonciatrice à un rire qui a pour fonction le maintien de l'ordre et d'un certain statu quo? Ou peut-on également rapprocher cette forme d'humour de l'humour sceptique de Boileau où il "faut hâter de rire des choses pour n'être pas forcé d'en pleurer"?

II. Histoire du rire télévisuel

Un travail collectif a consisté à dépouiller de façon systématique, à l'Inathèque de France, la presse spécialisée sur la télévision (de Radio 49 à Télérama en passant par Télé 7 jours) afin de repérer tous les programmes qui ont été jugés comiques au cours de l'histoire de la télévision et de mettre au jour tous les thèmes qui ont fait débat.
Il apparaît clairement qu'il serait vain de prétendre écrire une telle histoire sans prendre en compte les relations qui relient la télévision aux spectacles vivants et au cinéma. Pendant ses trois premières décennies au moins, ce média naissant ne fait, en effet, qu'importer et retravailler ce qui fait rire ailleurs, en d'autres lieux ou dans d'autres médias. Sans prétendre à une vue exhaustive des cinquante dernières années, on a pu, pour le moment, retracer ces grandes périodes et dégager la généalogie suivante.


Cet axe de recherche a donné lieu à la publication de quelques travaux, mais il n'a pas encore fait l'objet d'un travail de synthèse.

mise à jour le 6 janvier 2017


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