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Années 70 : la télévision en jeu sous la direction de François Jost

sous la direction de François Jost

Les recherches sur les années 70, menées entre 2000 et 2003, ont été menées dans le cadre d'un Projet innovant de Paris 3. Une dizaine de chercheurs y ont été associée. En 2005, ces travaux ont donné lieu à la publication d'un livre collectif " Années 70 : la Télévision en jeu ", publié par CNRS éditions.
On trouvera ci-dessous la préface et le résumé des différents textes.


Si certaines périodes de la télévision française ont bénéficié d'un intérêt particulier (la télévision sous de Gaulle, les années 50), l'histoire des programmes a souffert jusqu'à présent d'un manque de réflexion sur la périodisation ou, plutôt, d'une absence de parti pris sur les critères à retenir pour opérer une telle périodisation. Il faut dire que le succès inattendu de la distinction avancée par Eco, dans un article de quotidien, entre paléo- et néo-télévision, a fini par constituer un obstacle épistémologique majeur à toute tentative de penser les transformations des dispositifs télévisuels . La ligne de partage entre deux moments de la télévision, l'un où le téléspectateur aurait été soumis à un pouvoir venu d'en haut, l'autre où la convivialité serait devenue un mode de communication privilégié, sans doute utile en 1983, à un moment où l'étude des programmes n'en était qu'à ses balbutiements, est devenue un dogme, totalement figé, au point que plus de vingt ans après la parution de ce texte, elle constitue encore, pour certains, un paradigme efficace pour l'analyse de la télévision d'aujourd'hui (néo-télévision), caricaturalement opposée à la télévision d'hier (paléo-télévision).

On ne s'étonne guère, dans ces conditions, que, coincée entre la " télévision des maîtres d'école " et la néo-télévision, la télévision des années 70 ait bénéficié de peu d'intérêt de la part des chercheurs. Pourtant cette décennie est le théâtre de nombreuses transformations : la création d'une nouvelle chaîne, fondée sur l'idée de régionalisation, l'introduction de la publicité de marque, qui conditionne le paysage de la télévision d'aujourd'hui, alors qu'elle était inexistante dans les années 50-60, du moins en France, l'éclatement de l'ORTF. Si chacun de ces événements a parfois retenu l'intérêt des historiens, on s'est moins préoccupé d'étudier leurs incidences sur le quotidien du téléspectateur, qui s'incarne finalement dans le seul espace qui soit, pour lui, visible, celui des programmes et de la programmation. Si l'on prend au sérieux cette lapalissade, que les années 70 commencent dans l'après-68, d'autres raisons d'étudier cette décennie s'imposent : quel a été l'impact de cette révolution des esprits, si ce n'est des institutions, sur le ton de la télévision ? Y a-t-on parlé autrement après cette période qui a libéré la parole ? Les femmes y ont-elles joué un rôle différent ou leur a-t-on accordé une autre place, au moment où le féminisme agissait sur la scène sociale ?

Voilà quelques arguments qui ont décidé les chercheurs du CEISME à prendre les années 70 comme terrain de recherche . Même si chacun propose ici d'étudier un aspect particulier de la télévision de cette période, il ressort de l'ensemble des textes ici réunis que cette décennie met la télévision en jeu. D'abord, au niveau des institutions, ensuite au niveau des programmes.
En effet, du côte de l'institution, les années 70 sont celles où la télévision amorce des tournants décisifs. Ce singulier, la télévision, va perdre véritablement son sens. Si les années 50-60 sont celles de la promotion du média auprès d'un public qui devra l'apprivoiser, les années 70 sont celles de l'émergence des chaînes. Ce qui implique, à la fois, des choix politiques, comme celui de la régionalisation de l'un des canaux (ce que montre ici Yannick Lebtahi), mais aussi des choix économiques, qui vont bouleverser à terme la logique de la programmation et des programmes, et, au premier chef, l'introduction de la publicité de marque (C. Duchet). Ce qui se joue dans ces transformations, ce n'est pas seulement une modification des institutions, mais, plus profondément, une redistribution symbolique de la place accordée aux diffuseurs et aux téléspectateurs. D'une part, les chaînes comprennent qu'elles doivent communiquer une identité, d'autre part que la communauté des téléspectateurs n'est pas un agrégat de personnes attirées par la " novelty " qu'a pu représenter la télévision, mais des partenaires qui construisent aussi leur identité à regarder telle ou telle chaîne (M.-F. Chambat-Houillon).
D'où l'importance de se pencher non seulement sur tel ou tel programme particulier, comme on le fait souvent, ou sur telle ou telle collection, mais sur l'ensemble de la programmation, dans la mesure où celle-ci, en constituant une grille, finit par structurer le temps du téléspectateur. Les années 70 voient s'étendre considérablement les heures de diffusion. Alors que, au début de la décennie, les programmes sont essentiellement concentrés sur le soir, ils étendent leur empire progressivement sur l'ensemble de la journée. Cette évolution s'accompagne d'une autre transformation profonde : peu à peu la télévision de recherche, impulsée notamment par le service de recherche de l'ORTF sous la direction de Pierre Schaeffer (voir G. Soulez), cède la place aux " forces de la joie ", qu'Arthur Conte prétend libérer à son arrivée, en 1972, à la tête de l'ORTF. Si bien que l'on peut dire que la télévision des années 70 fut d'abord une télévision en jeu et, finalement, une télévision de jeu.


Télévision en jeu, parce que quelques producteurs, dont Jean Frapat à l'INA, mettent au centre de leurs préoccupations la question suivante : qu'est-ce que représenter le monde par la télévision ? Qu'est-ce que communiquer par des images ? Qu'est-ce que regarder ? En ce sens, les émissions produites à cette époque par ces hommes de recherches sont une véritable École du regard : le téléspectateur ne peut se contenter d'une position passive, il doit regarder la télévision et s'interroger sur la relation qu'elle nous propose au monde (F. Jost, V. Spies). Télévision de jeu, ensuite, puisque ces dix ans sont ceux où sont inventés le plus grand nombre de jeux et où s'étend leur influence sur la grille (L. Leveneur).


Faire de la télévision un objet de réflexion, c'est aussi se demander quelle place elle doit occuper dans la société. Dans quelle mesure la révolution des mœurs, qui caractérise l'après mai 68, a-t-elle affecté les limites du représentable et du dicible à la télévision en matière de sexualité ? Dans quelle mesure, la télévision accompagne-t-elle, par exemple, les révolutions de l'année 74, qui vit la sexualité s'affranchir par la loi (contraception, avortement, ...) des contraintes de la seule reproduction et qui fut au cinéma l'année de l'explosion pornographique ? (B. Papin) Comment est mise en scène la parole publique ? Quels citoyens accèdent au média télévision ? (S. Rouquette) La même question vaut, évidemment, pour les femmes : est-ce que les émissions renforcent l'idée de leur émancipation ou, au contraire, renforcent-elles des stéréotypes ? Quelles sont les thématiques et les problèmes publics sur lesquels le femmes s'expriment? (I. Vovou)

Tout comme le bois joue, la télévision des années 70 joue à sa manière : autant dire qu'elle ne se laisse pas réduire à un qualificatif unique, aussi rassurant soit-il. Ces nouvelles chaînes qui accèdent à leur autonomie sont traversées par deux forces antagoniques : l'une, qui relève encore de l'enthousiasme d'hommes de télévision cherchant encore à doter ce média de toutes ses possibilités expressives ; l'autre, qu'incarnent ceux qui ont compris que la logique économique de la concurrence imposait de penser les programmes dans une grille, où ce qui se passe à la même heure est plus important que l'idée abstraite que l'on peut avoir de la télévision. Cette relation au temps est peut-être la mutation la plus profonde qui s'accomplit alors devant les téléspectateurs des seventies : de la valorisation intemporelle du patrimoine, qui guidait la télévision des années 60, on passe à l'ère de l'information culturelle (K. Martin), bientôt à celle de la promotion. De plus en plus ancrée dans l'actualité, la télévision abandonne peu à peu tout ce qui pouvait encore appartenir à l'aléa de l'expérimentation pour se conformer à des formats internationaux dictés par les industries culturelles.

    • Ouverture : La télévision des années 70 existe-t-elle ? François Jost (Professeur à l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)

Peut-on caractériser le ton d'une décennie ? Comment repérer des invariants dans les quelques dizaines de milliers d'heures ou plus que cela représente ? Plutôt que de répondre à cette question en procédant à une analyse quantitative des volumes de programmes par genre, comme on le fait souvent, ce texte affronte la programmation, telle qu'on peut la reconstituer à l'aide des grilles de programmes. À partir de l'étude des soirées, année par année, on montre ici comment la décennie 70 amorce le passage de la culture à la promotion culturelle, comment on passe d'une télévision de films et de documents à une télévision du bavardage, que l'on pratique assis, face au public. D'autres enjeux sous-tendent ces mutations : la légitimité de la télévision face au cinéma, une certaine idée du téléspectateur qui vit ses derniers moments. Aussi est-il impossible de caractériser les années 70 par un qualificatif unique : cette décennie met face à face deux modèles, l'ancien et le nouveau, pour très peu de temps encore.
L'institution télévisuelle

    • Quelles identité pour la troisième chaîne ?. Marie-France Chambat-Houillon (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, CEISME)

De plus en plus la notion d'identité de chaîne est explorée pour comprendre le fonctionnement du média télévision. Bien qu'ayant rencontré un certain succès théorique ces dernières années, cette notion est également opératoire pour comprendre la télévision des années 70. Notamment, elle est pertinente pour saisir la complexité de l'émergence d'une concurrence entre des chaînes. Ce passage de la Télévision Française vers une télévision des chaînes est étudié à travers le prisme de la naissance de la troisième chaîne, appelée "troisième chaîne couleurs" avant d'être baptisé FR3, le 6 janvier 1975, à la suite à la réforme de l'ORTF.
La période qui va du 31 décembre 1972 à janvier 1975, parce qu'elle constitue aussi un intervalle officiel de l'histoire institutionnelle de la télévision française, sert de toile de fond pour analyser la façon dont se mettent en place et se construisent les caractéristiques de cette nouvelle personnalité du monde médiatique.
Il s'agit de comprendre comment le lancement de cette chaîne correspond à un tournant pour la société française et les téléspectateurs. En effet, la troisième chaîne couleusr n'est pas seulement un canal supplémentaire de diffusion de contenu audiovisuel, sa naissance contribue à modifier en profondeur ce que désormais nous appelons communément le " paysage audiovisuel français ".et ce bien avant le bouleversement institutionnel signant la fin du système ORTF. Afin de comprendre cette géologie symbolique, nous nous penchons sur les discours (journalistiques, médiatiques, télévisuels) qui ont accompagné l'avènement de cette chaîne sur la scène publique et à travers une étude des archives nous essayons de comprendre quelle fut la place symbolique qui lui avait été assignée par le pouvoir politique dans le paysage médiatique français.

    • Les années 70 et la publicité, Chantal Duchet (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, CEISME)

Le 1er Octobre 1968, apparaissent les premières publicités de marques à la télévision française. Loin de révolutionner le petit écran, elles trouvent tout naturellement leur place en remplacement des émissions compensées dans les grilles de programmes. Certes, au début, les émissions compensées restent majoritaires, puisque les publicités de marques n'ont droit qu'à deux minutes d'espace télévisuel, mais, progressivement, celles-ci empiètent sur les emplacements qui, jusqu'à présent, étaient réservés aux émissions compensées. L'institution télévisuelle ouvre ses écrans à un plus grand nombre de secteurs économiques - même si certains comme le secteur automobile font de la résistance - car elle a fortement besoin d'argent pour financer la création d'une troisième chaîne, sa diffusion en couleurs, et agrandir sa couverture nationale au niveau de la réception. Pressée par toutes ses raisons, l'institution va trop vite et fait coexister de façon fort maladroite différentes pratiques publicitaires en son sein, ce qui ne va pas sans créer de nombreuses réactions qui déboucheront sur les rapports " Diligent " dénonçant ces pratiques dites de " publicité clandestine " et qui engendreront une crise au sein de l'office aboutissant à son éclatement.
Cependant, le principe de la publicité de marques n'est pas remis en cause, ni les autres pratiques dénoncées du reste, même si elles se font juste plus discrètes. Par contre, la réglementation régissant ce genre télévisuel va être de plus en plus précise et fort contraignante : quota de diffusion par secteur économique, ordre de priorité lié au produit national brut pour l'insertion des écrans, interdiction d'avoir deux écrans publicitaires relevant d'un même secteur économique au sein d'une même page publicitaire, etc., ce qui revient à dire que les annonceurs ne maîtrisent ni le passage de leurs spots, ni leurs temps de diffusion, ni leurs fréquences de diffusion, données qui perdureront jusqu'à l'arrêt des activités de la RFP par décret en Novembre 1986. Aussi, nous pouvons nous étonner de voir l'institution télévisuelle et les pouvoirs publics fustiger toujours la publicité et les annonceurs, alors que ce sont eux, précisément qui font toujours appel à ces deux entités pour pallier le manque de financement.

    • De la genèse à l'institutionnalisation de la télévision régionale, Yannicke Lebtahi, Maître de conférences (Université Lille III, CEISME)

L'étude de l'histoire de la station régionale de Lille dans le contexte du développement de la télévision régionale en France s'appuie sur une analyse de l'évolution conjuguée de la production, de la programmation et de la réception régionales. Elle permet de mettre en évidence trois processus socio-politiques qui se sont conjugués et exclus mutuellement selon une dynamique relevant d'une périodisation. La période des années 50 correspond à la phase d'expérimentation télévisuelle en région par des acteurs régionaux sans véritable tutelle nationale. La période des années 60 consiste dans la montée en charge de la production en région. L'instauration d'une dichotomie entre l'information et les émissions artistiques annonce une nouvelle politique de programmation régionale par décrochage plus axée sur l'information. Les modes de production artistique en région se diversifient avec un investissement croissant des ressources nationales. Une télévision régionale plus institutionnelle, réintégrée dans une politique nationale qui s'appuie sur les acteurs régionaux initiaux, se met en place. La période des années 70 voit la concrétisation du projet de chaîne nationale des régions. Hormis pour l'information, la programmation régionale par décrochage s'appauvrit très nettement. Ne reposant plus sur les acteurs régionaux en dehors d'aspects techniques pour la production, l'institutionnalisation de la télévision régionale devient désincarnée et va, peu à peu, désimpliquer ces acteurs régionaux, puis interdire toute relance de l'initiative régionale en matière de programmation. Le " régional " s'efface au profit d'une " déconcentration " bien aboutie des moyens de production d'une télévision nationale.


  • Les programmes

    • La télévision française des années 70 à l'épreuve de la révolution sexuelle (Bernard Papin, Enseignant à l'IUT de Cachan-Paris Sud, CEISME)

Dans quelle mesure la révolution des mœurs qui caractérise l'après mai 68 a-t-elle affecté les limites du représentable et du dicible à la télévision en matière de sexualité ? L'année 74, qui vit la sexualité s'affranchir par la loi (contraception, avortement, ...) des contraintes de la seule reproduction et qui fut au cinéma l'année de l'explosion pornographique, a été choisie comme année-étalon au travers de ses programmes et de leurs réceptions critique et spectatorielle. Après avoir établi les fondements du " code du dangereux " propre à l'époque, l'auteur dresse un constat nuancé quant aux mots et aux images que la télévision consacra à la vie sexuelle et aux corps érotisés. Une série documentaire ose parler sans fard des réalités de la " vie sentimentale " des Français et, alors que la représentation du nu féminin est en voie de banalisation sans que le caractère statique des pratiques amoureuses soit systématiquement requis dans des scènes de plus en plus osées, la télévision sait se montrer relativement audacieuse dans la mise en scène de l'homosexualité que l'époque enfermait encore le plus souvent dans un discours essentiellement médical.

    • La condition féminine à la télévision des années 70, Ioanna Vovou, MCF Paris XIII

Les années 70 ont été cruciales pour un certain nombre de situations et de comportements qui ont influencé en grande partie notre mode de vie et les normes des usages sociaux et politiques qui ont suivi. A travers l'analyse des documents télévisuels de l'époque portant un regard sur la femme, et ce qu'on commence à appeler la "condition féminine", cette recherche vise à éclairer les différentes représentations médiatiques de la femme sur l'écran.
Est-ce que ces émissions apportent à l'idée de son émancipation ou, au contraire, renforcent-elles des stéréotypes ? Quelles sont les thématiques et les problèmes publics sur lesquels le femmes s'expriment? Comment semblent-elles se positionner face aux sujets publics? Quelle est l'image de la femme politique et publique de l'époque à la télévision? Où, quand et comment interviennent-elles dans la scène publique médiatisée? Quel est le langage employé, quelles sont les mises en scènes et les modes de l'énonciation télévisuelle dans les journaux télévisés et les émissions d'information?
A travers l'étude des programmes informatifs disponibles au dépôt légal de cette décennie, ce qui est entrevu dans les discours des femmes est le souci de trouver une spécificité dans la parole publique et les modes d'actions féminins. Spécificité qui reste souvent mal définie, entre l'affirmation du genre et l'assimilation des règles "masculines" de l'agir public.
Débats, procès télévisés : même(s) combat(s) (Sébastien Rouquette, Maître de conférences Clermont-Ferrand II)
Y a-t-il un traitement des faits de société ou des faits judiciaires propre aux années 70 ? Prétoires ou débats télévisés, tous partent d'un principe commun : l'intérêt du débat suffit aux débats télévisés, celui du procès aux procès télévisés.
D'où l'importance accordée dès 1956 et tout au long de la décennie 70 à la scénographie du procès (1956-1969, A2, RTF, 1ère chaîne, En votre âme et conscience, puis Messieurs les jurés, A2, 1974-1986). Comme En votre âme et conscience, Messieurs les jurés reconstitue des procès d'assises exemplaires avec des comédiens professionnels (à la différence notable qu'il s'agit de procès contemporains et non historiques). Ils font d'une utilisation stricte du dispositif du procès, due au départ pour beaucoup à un manque de moyens, une stratégie revendiquée.
Mais cette stratégie aboutit de surcroît dans le cas des débats à des applications diverses, voire opposées. Tous les citoyens sélectionnés sont tenus de défendre aussi ouvertement que possible leur opinion, mais tous n'accèdent pas encore aux lumières des projecteurs. Trois applications en ressortent, de la mise en œuvre quasi militante (Aujourd'hui madame, A2, 1970-1981), en passant par une application encadrée (Les dossiers de l'écran, A2, 1967-1991), jusqu'à une application encadrée et sélective (De vive voix, Interrogations).
Comme toute stratégie télévisée, celui de la confrontation ouverte comme mode d'organisation des programmes sous-tend ou pour le moins implique des principes idéologiques particuliers : loin d'aller de soi, les normes, règles, principes collectifs ne peuvent être que l'aboutissement d'une recherche d'accord ou de conclusion contradictoire. Règles finalement caractéristiques des débats et des magazines juridiques des années 70.

    • Parole captée, parole capturée, G. Soulez (Maître de conférences à l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)

Le rapport de la télévision à la parole a fortement évolué entre les années 1950-60 et les années 1970, passant d'un art de l'écoute et du recueil à une " libération " polémique et égalitaire. Dans cette perspective, le travail de Pierre Schaeffer et du Service de la Recherche de l'ORTF (1960-1974) se situe au carrefour de ce passage progressif d'une parole comme " moment " - et de la télévision comme art du moment - au " temps de parole " que l'invité se voit reconnaître sur le plateau de télévision, en faisant entrer la parole dans une " ère du soupçon " qui lui fait jouer un rôle pivot afin d'introduire un trouble dans la représentation audiovisuelle. Suivant une phrase de Pierre Schaeffer à propos de ces expériences, " nos paroles sont portées au laboratoire pour être analysées ", le Service de la Recherche contribue non seulement à briser l'innocence de la parole télévisée, mais il souligne peut-être, par avance, les apories de la " prise de parole " spontanée de l'après 68, en imaginant d'autres voies pour une télévision de la parole, proposant une forme de " contre-modèle " vis à vis des conceptions de la parole qui se mettent en place après 68 dans le reste de la télévision.

    • La réflexivité des années 70. Une télévision en devenir (Virginie Spies, Maître de conférences, Université d'Avignon, CEISME)

La télévision des années soixante-dix ouvre de nouvelles perspectives à la réflexivité télévisuelle. Cette période, forte en matière de changements structurels est aussi, du point de vue des programmes, une période de transition. Les émissions réflexives font parfois la promotion de l'institution qui est encore en quête de légitimité, mais ils laissent également une nouvelle place à une logique de chaînes, et à un esprit de concurrence. Cette décennie présente aussi les premiers programmes sur l'histoire de la télévision et sur la place du public dans la réception télévisuelle. Mais sa principale originalité réside dans une interrogation de l'énonciation qui invite le téléspectateur à réfléchir aux images.

    • Les jeux télévisés dans les années 1970 (Laurence Leveneur, allocataire de recherche, CEISME)

Que nous enseigne l'étude des jeux télévisés des années 1970 sur la société de l'époque ? Comment caractériser l'évolution de ce type de programme durant cette décennie ? Ce genre est-il le produit du " bouillonnement créatif " évoqué par François Jost ou bien assiste-t-on comme semble l'indiquer la lecture de la presse audiovisuelle de cette période, au passage de " l'artisanat à l'ère d'usine " et à la fin des grands jeux télévisés ?
Les années 1970 voient exploser la programmation de jeux : l'on passe ainsi d'une cinquantaine de collections créées entre 1951 et 1969 à 93 collections rien que pour la décennie qui nous intéresse ! Certes le volume global des heures diffusées est en augmentation durant cette période, sans compter la création de la troisième chaîne le 31 décembre 1972. Mais cette profusion de jeux - dont la durée de vie varie de quelques semaines à plusieurs années pour les formules " qui marchent " - témoigne également d'un tournant dans la programmation des émissions de divertissement. 1974 représente pour ce genre une année charnière faisant passer de l'époque de la diversification des formules à celle de la rentabilisation et de la fidélisation annonçant la bataille acharnée des chaînes autour de certains créneaux horaires dans les années 1980.
Partant des quelques archives télévisuelles rendues accessibles par l'Inathèque de France, des journaux de programmes des années 1970-1979 et des rapports des chefs d'antenne, nous tentons d'esquisser une typologie des jeux proposés durant cette période afin de comprendre d'une part comment ce genre s'insère dans la programmation de l'époque et, d'autre part en quoi les formules des jeux des années 1970 peuvent être révélatrices de la société qui les a vu naître. Au delà de ces deux aspects historiques, notre analyse nous conduit à une réflexion plus générale sur ce que représentent les années 1970 dans l'évolution de ce genre télévisuel particulier qu'est le jeu. Héritier de genres tantôt médiatiques, comme la radio, tantôt extra médiatiques, comme la devinette, le jeu télévisé semble être à la fois le lieu où jaillissent les tensions des chaînes prises de plus en plus dans un système de concurrence et l'un des " laboratoires " fondamentaux grâce auxquels la télévision cherche à affirmer son ego.

    • Les émissions culturelles : proposition de typologie, Katia Martin

Une réflexion menée sur la programmation culturelle de la télévision publique française ne peut ignorer les années soixante-dix. Au centre de cette décennie, l'éclatement de l'O.R.T.F et l'élaboration des premiers cahiers des charges et des missions constituent une période charnière pour cette programmation.
Optant pour la définition d'une culture au sens large, l'étude des émissions culturelles de 1972 à 1976, révèle déjà quelques tendances. Eludant l'existence d'un genre " émission culturelle ", nous proposons les bases d'une classification des différents types d'émissions culturelles selon l'influence qu'elles subissent des trois forces agissant sur la programmation : informer, cultiver et distraire. Certaines évolutions s'amorcent, comme la multiplication des émissions culturelles généralistes et un éventuel tournant vers celles d'actualité culturelle par exemple.


Annexes : publication des grilles

mise à jour le 6 janvier 2017


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