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POEM, historiquement
Les lectures publiques de poèmes sont très répandues dans les pays anglophones, cela depuis longtemps. Les récitals de Dylan Thomas et de Ginsberg, pour prendre ces seuls exemples emblématiques, sont encore dans toutes les mémoires. Outre la dimension civilisationniste ou culturelle du phénomène (qu’une comparaison avec la faible pratique en matière de lecture publique en France ferait ressortir), il paraît utile de s’interroger sur la matérialité des supports sur lesquels ces sessions furent, le cas échéant, enregistrées. On rappellera que Robert Browning est le premier à avoir procédé à l’enregistrement d’un de ses poèmes, en 1888, quand sa voix « imprima » sur un cylindre de cire «How they Brought the Good News from Ghent to Aix »; L’enregistrement est aujourd’hui disponible, avec cent-vingt sept autres, dans l’ouvrage compilé par Rebekah Presson Mosby qui servira de base de travail, Poetry on Record, 98 Poets read their Work 1888-2006 (Shout ! Factory, 2006). Quant à l’histoire de la poésie dite et/ou faite en public, si elle plonge ses racines dans la nuit des temps, elle s’est renouvelée depuis que Marc Smith a initié à Chicago, dans les années 1980, les premières « battles » de Poetry Slam. Prolongée par le succès de la dub poetry, d’origine jamaïcaine, cette poésie à base d’oralité et d’oralisation est aujourd’hui portée par Jean Binta Breeze, Michael Smith et Benjamin Zephaniah, pour qui performance et performativité de la parole poétique se rejoignent. Il existe enfin une tradition, forcément moins longue, de poèmes portés à l’écran : ainsi, le film de Mike Newell, Four Weddings and a Funeral (1994) donne t-il à « (ré)entendre » le poème de W.H. Auden, « Funeral Blues ». La qualité souvent inégale de films scénarisant la vie de poètes (Bright Star (2009) de Jane Campion, The Edge of Love (2007) de John Maybury) ne devrait pas nous détourner de notre objectif, qui est de réfléchir aux moyens de rendre visible l’invisibilité de la poésie.
POEM, théoriquement
Le changement assez profond des conditions de réception et de compréhension du poème au XXe siècle se marque par une montée en puissance de la vocalité, de la « voix-action » et par un discrédit symétrique, celui qui frappe les formes de fixité écrite. Est-ce à dire pour autant, comme le prétend Christian Doumet, que la poésie dite « sonore » créé un « triple effet d’assignation » (Doumet 40) : assignation du poète à un rôle de performeur ; assignation du lecteur à un rôle d’auditeur ; assignation du texte au statut éphémère que lui confère telle réalisation sonore particulière, datée et située ? N’est-il pas plus constructif d’observer que si la poésie est faite « pour un œil-oreille » (Roubaud 126), l’énoncé recouvre au moins trois réalités distinctes : d’une part la voix-oreille de l’auteur (comment le poète s’est-il lui-même entendu dire son poème ?) ; d’autre part la voix écrite du poème, c’est-à-dire les prescriptions vocales (effets rythmiques, échos phonétiques, liaisons et ruptures…) qu’il contient ; enfin sa voix vocalisation, autrement dit telle ou telle de ses réalisations sonores (Doumet 38-39) ? D’un mot, la théorie aura pour visée de sonder les degrés d’accord ou de désaccord entre la pratique orale de la poésie et « l’essentielle aphonie du poème » (Doumet 37).
POEM, pratiquement
L’atelier est un atelier et se réunira trois fois par année universitaire. Axé sur la dimension pragmatique de la poésie et attaché à étudier les phénomènes de collaboration (ou de rivalité) sensorielle, il prendra en compte des pratiques et ne répugnera pas à organiser des événements. Il bénéficiera en la matière de l’expérience accumulée par Cliona Ni ‘Riordain qui, depuis plus de 5 ans, organise des lectures publiques bilingues de poésie irlandaise, en présence des poètes traduits et en partenariat avec le Centre Culturel irlandais, ainsi qu’avec des maisons d’édition (Dedalus, PSN). Ces lectures publiques témoigneront de notre volonté de nous ouvrir à nos étudiants de Licence et de Master, mais aussi au grand public parisien – à l’image du colloque International « Cage Transatlantique » organisé par PRISMES du 20 au 22 septembre 2012. L’Atelier a pour vocation de travailler, dans le cadre du PRES, en association avec les poéticiens anglicistes de Paris Diderot
POEM, en conclusion
On le voit, les questionnements présentés sont nombreux et complexes. C’est le moment de rappeler que les membres de PRISMES disposent de compétences reconnues dans des domaines multiples et variés—en linguistique, en littérature, en traductologie, en civilisation, en didactique— et qu’ils s’engagent à les mobiliser autour d’un thème et d’actions à caractère fédérateur. Porté par Marc Porée, co-responsable de VORTEX, ce projet n’existera que s’il est relayé et co-animé par des représentants d’au moins trois (idéalement cinq) des cinq équipes qui composent PRISMES, de façon à garantir dans la durée un fonctionnement véritablement transversal. À ce titre, les trois volets, historique, théorique et pratique, de la problématique, n’ont été dissociés que pour la clarté de l’exposition. Ils sont résolument complémentaires et c’est donc de manière complémentaire que les membres d’ATP entendent répondre à la triple question qui présidera à leurs travaux menés et réalisés en commun : « La poésie, comment la lisez-vous, comment l’entendez-vous, comment la voyez-vous ? »
Qu’apporte la lecture publique de la poésie ? Distinguer la lecture par les poètes eux-mêmes, c’est quand même l’occurrence la plus fréquente, et la lecture par des comédiens, des lecteurs professionnels, en présence ou non du poète.
Que change la lecture à la réception, à la compréhension du poème ?
En quoi, pour prendre ce cas particulier, les lyrics composés par des artistes de la scène rock ou pop relèvent-ils, ou non, de la poésie ? Christopher Ricks a écrit sur l’œuvre de Bob Dylan, qu’il est l’un des premiers à traiter avec le même sérieux que le même brillant universitaire accorde à T.S. Eliot ou à Tennyson. En 2008, aux Final Exams de l’Université de Cambridge, un « song-lyrics » d’Amy Winehouse a fait l’objet d’une épreuve écrite de littérature, dans le cadre d’une comparaison avec un poème de Walter Raleigh, et des paroles de chansons de Bob Dylan et de Billie Holliday. Signe des temps ?
Pourquoi la réticence chez certains poètes à se livrer à l’exercice de la lecture en public, voire de l’enregistrement, alors que d’autres estiment au contraire que si la poésie ne veut pas disparaître des radars, elle doit franchir le pas, passer l’épreuve de la rampe. Le soupçon d’histrionisme, adressé dans un passé récent à Dylan Thomas, a-t-il encore cours ?
Comment lire le poème : d’une voix neutre, avec le ton, avec ou sans recherche d’effet ? Comment lit-on au mieux le poème ? Lire, ou réciter… parce qu’on a appris le poème « par cœur » (Derrida) ?
Que voit-on quand on voit un poète à l’écran, quand on entend un poème (« Ode to a Nightingale ») lu (admirablement) en voix off pendant que défile le générique de fin, et que les lumières se rallument dans les salles obscures des cinémas (Bright Star) ?
Que vaut la promesse d’un retour à « la jubilation d’un bouche-à-oreille public » (Doumet 37) ?
Bibliographie (très) sélective
Le modernisme consiste l'un des pôles de spécialisation de l'équipe VORTEX. L'une des incidentes les plus remarquables de cette approche de la pratique poétique est la relecture des grands corpus de la poésie moderniste.
C'est particulièrement vrai, par exemple, pour Gertrude Stein, dont la pratique inclusive de l'écriture et la manière radicale de repenser la grammaire commencent seulement à faire l'objet de recherches systématiques sur le plan international (Ulla Dydo). Une journée d'étude a rassemblé, en juin 2012, linguistes, traducteurs et poéticiens autour de cette révision steinienne de la grammaire du poème et, notamment, son invention d'une forme de présent continu de l'écriture (cela s'inscrira dans la suite d'un travail collectif mené actuellement par linguistes et poéticiens dans le cadre d'un séminaire de l'École Doctorale ED 514). Une telle réflexion sur la grammaire du poème rejoint un autre projet, portant sur la place de Wittgenstein dans la poésie irlandaise contemporaine (à travers, notamment, la poésie de Muldoon et Carson). Il a donné lieu à une journée d'études, «Wittgenstein en Irlande», en 2009 ; ce dernier projet s'inscrivait dans le cadre de la programmation scientifique portant sur l'Irlande et l'Est impulsée par le Pôle «Irlande». Une autre grande œuvre moderniste dont la relecture s'avère très fructueuse est celle de T.S. Eliot : le Colloque international sur «T.S. Eliot et la Mémoire des oeuvres», organisé en septembre 2010 à Paris 3, a permis, entre autres, de comprendre pourquoi Marjorie Perloff ouvre son livre 21st-Century Modernism, The "New" Poetics, par un texte sur "Avant-Garde Eliot", mais également pour quelle (bonne) raison il reste possible de voir en T.S. Eliot une sorte d'«Anti-moderne» (selon la terminologie d'Antoine Compagnon).
Dans une telle perspective, l'ambivalence ou la plurivalence du statut de la traduction fera l'objet de recherches et d'actions spécifiques. On s'est attaché à définir les modes de la " traduction-écriture " (Maryvonne Boisseau) en tant qu' " opération " (au sens linguistique) " de séduction ", mais aussi en tant que mode de connaissance, ou encore comme espace et mode critique.
Des ateliers avec les doctorants seront organisés autour de poètes anglais, irlandais ou américains pratiquant eux-mêmes la traduction (il serait intéressant de travailler, par exemple, sur les traductions de Saint-John Perse par Devlin, Fitzgerald, Eliot et, plus récemment, Mahon). Un second type de recherche portera sur la pratique qui consiste pour le poète à mêler écriture et traduction de ses propres œuvres (Derek Mahon, Irl. ; Cole Swenson, US).
A la faveur de la sortie récente de films,tels Bright Star de Jane Campion, Poetry de Lee Chang-Dongou bien encore Howl de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, d'après le poème d'Allen Ginsberg, une réflexion s'est engagée au sein de l'atelier POEM sur la façon dont la poésie peut s'envisager ou non comme objet cinématographique. Une première journée d'étude, en mars 2012, au Centre Culturel irlandais, s'est intéressée à la mise en images d'un poème de Ian Duhig (réalisation : Paul Casey), en présence du poète et du cinéaste. Après quoi, on réfléchira à l'opportunité de théoriser cette pratique.
mise à jour le 28 octobre 2019