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du 21 juin 2018 au 23 juin 2018
A Holiday from War ? “Resting” behind the lines during the First World War
Que font les soldats des pays belligérants quand ils ne se battent pas? L’élargissement de la définition de l’expérience de guerre dans l’historiographie récente, a transformé notre compréhension spatiale, voire temporelle, du conflit, déplaçant la focale à distance des premières lignes et de l’activité combattante. Hors du champ de bataille et des représentations martiales traditionnelles se dessinent ainsi une autre figure du guerrier et du soldat, une expérience seconde de la guerre.
Situé à quelques kilomètres du front, l’arrière-front est le lieu où l’on ressort de l’enfouissement des tranchées après plusieurs jours passés en première ligne ou en ligne de réserve, où l’on ressurgit à la surface pour trouver des cantonnements de repos, des zones d’entraînement, des dépôts de munitions et de nourriture, des hôpitaux, des bordels, des postes de commandements ou des foyers de soldats dévolus aux moments récréatifs. Dans cet entre-deux qui n’est, traditionnellement, ni le lieu des combats ni celui de la vie civile, les soldats sont moins exposés au danger et obéissent à une routine de caserne ponctuée d’activités de détente destinées au ravitaillement moral. Si certains soldats trouvent sur l’arrière-front une forme de repos loin du bruit et de la fureur de l’artillerie, d’autres souffrent de la discipline qui y règne, des efforts inutiles imposés («l’esquinte-bonhomme ») ou de la promiscuité avec des soldats qui ne sont plus des frères d’armes dans cette zone tampon. À la fois lieu d’abandon et lieu contrôlé, l’arrière-front se confond également avec le monde civil par certains aspects car il peut occuper des fermes ou des villages et accueillir des non-combattants comme des médecins, des infirmières, des bénévoles. Ainsi à l’« arrière de l’avant » (Paul Cazin), se rencontrent en marge des batailles livrées à proximité des soldats des différents corps armés et de pays alliés, des officiers et des simples soldats, des soldats et des civils, des hommes et des femmes, des troupes étrangères et des populations locales dans les zones occupées. L’arrière-front n’est pas seulement un lieu, c’est aussi un temps : le temps d’un oubli passager ou d’une liberté illusoire, « un temps libéré » (Thierry Hardier et Jean-François Jagielski) qui représente 3/5 du temps passé au front pour le soldat. C’est un repos relatif entre les combats et la permission, un répit de courte durée avant le retour sur les premières lignes. Si le combattant est en droit de jouir d’une détente et de temps à soi, le règlement impose qu’il ne doit pas cesser un instant d’être soldat.
Certaines activités récréatives de la vie civile, en apparence peu compatibles avec l’expérience guerrière, font leur chemin jusqu’au l’arrière-front, avec l’aval du commandement militaire. Des temps de décompression et de loisir sont laissés aux troupes pour tenter de maintenir une forme de bien-être émotionnel et ne pas couper les soldats de la vie dite normale. Cette détente sert à se ressourcer tant physiquement que moralement et tente d’apporter un certaine forme de réconfort en particulier aux soldats qui ne bénéficient pas de permissions. Le temps libéré n’est pas du temps libre, le temps sans guerre n’est pourtant pas le temps de la paix.
Ces moments de vacance(s) ne constituent pas réellement du repos puisque les hommes sont occupés de manière presque continue pour combattre l’ennui (revues, exercices d’entraînement, instruction). Ils s’articulent autour de pratiques collectives comme les jeux, les activités sportives, la chasse et la pêche, les promenades, les bains, les discussions, la création de journaux de tranchées, les projections de films, les spectacles de théâtre et de chansons, les concerts, les offices religieux, mais aussi des pratiques individuelles comme la lecture, la correspondance ou la création artistique.
Entre communion avec le groupe et isolement méditatif, le vécu des soldats à l’arrière-front n’est pas le même en fonction de leur origine sociale, de leur niveau d’éducation et de leur grade militaire, et hors des tranchées on observe une rupture de l’équilibre égalitaire qui naît parfois au contact du combat. La socialisation s’organise ainsi différemment pendant les périodes d’affrontement et de récupération et n’est pas toujours vécue de manière positive par les soldats. Cependant, malgré ces tensions entre l’être-ensemble et le besoin d’isolement, les moments de vacance et les périodes d’oisiveté sont souvent représentés de manière idéalisée comme des « moments de pastorale » (Paul Fussell) dans les productions écrites et visuelles des combattants. L’interlude enchanté entre deux moments de guerre devient ainsi un trope littéraire et artistique, le contraste avec le front évoquant le retour momentané à la vie, l’innocence et l’harmonie retrouvée, la redécouverte des plaisirs du corps qui succéderait à son aliénation et son humiliation lors du combat.
Afin de comprendre les enjeux historiques, politiques et esthétiques de la vie sur l’arrière-front, de déterminer la place et le statut de ce temps de vacance longtemps analysé comme une parenthèse dans l’expérience de guerre, ce colloque interdisciplinaire nous amènera à nous interroger plus en avant sur les thèmes suivants:
La construction et l’évolution de la notion (idéologique, médicale, administrative) de “repos” du soldat ainsi que du personnel auxiliaire pendant la Première Guerre mondiale
Les différentes activités paramilitaires et récréatives ainsi que les productions créatives qui voient le jour à l’arrière-front; l’organisation de la vie à l’arrière-front et en particulier du divertissement, le rôle de l’armée et des intervenants extérieurs (associations de civils, particuliers, etc.)
les relations entre combattants (hiérarchies, tensions, camaraderie) sur l’arrière-front; l’arrière-front comme lieu de sociabilité et zone de rencontre avec l’autre (soldats/personnels auxiliaires, combattants/habitants, hommes/femmes, troupes étrangères, etc), lieu de passage, d’exploration, d’initiation, ou de retour à la “normale” (“cabanes de repos” destinés à reconstruire un “foyer loin du foyer”, etc.) ; témoignages des habitants des zones occupées
Les articulations et dissonances entre la vie communautaire et le temps à soi, l’expérience collective et l’expérience individuelle
La conceptualisation historique et artistique de l’espace de l’arrière-front; les modes d’écriture et pratiques artistiques spécifiques à l’arrière-front par contraste à l’écriture du front
Les représentations de la vie à l’arrière-front: paysages de campagne, mises en scène idylliques du non-combat et du farniente ou images infernales, partie de campagne ou univers carcéral, figure du soldat dilettante, flâneur et promeneur solitaire, de l’observateur, dans les productions de guerre (témoignages, correspondances, mémoires, romans, poésie, arts visuels, etc.) des combattants et des non-combattants (infirmières, médecins, etc.) ;
La (re)construction médiatique, culturelle et politique du « repos du guerrier », les représentations du corps masculin et du corps féminin au repos, la construction d’un nouveau modèle de masculinité (sexualité et sport) dans les photographies de guerre, cartes postales, chansons, etc., ainsi que leur place dans la production de guerre
Afin de privilégier le dialogue entre les sphères anglophones, francophones et germanophones, le colloque portera principalement sur l’expérience de l’arrière-front ouest pris dans sa totalité. Néanmoins, des propositions concernant les autres fronts peuvent être envoyées. Les communications se feront, de préférence, en anglais.
mise à jour le 22 mai 2018