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XIAO FAN / Ode à la méditation (Luisa CICIRELLI)

Notice


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XIAO FAN Ru, Ode à la méditation, 2012, Paris, Musée Guimet. Porcelaine, couverture qingbai et biscuit.
Source des images : photographies personnelles de Luisa Cicirelli


Né en 1954 à Nankin en Chine, ville où l’artiste a également commencé son parcours artistique aux Beaux-Arts de l’École Normale Supérieure de 1977 à 1982, Ru Xiao Fan complète sa formation en Europe, entre la France et l’Espagne : il intègre les Beaux-Arts de Paris en 1983 et sera ensuite deux fois artiste invité de la Casa Velasquez à Madrid, en 1988 et en 1990. Actuellement, il vit et travaille à Paris. Artiste contemporain éclectique, capable de maîtriser en même temps la peinture et la sculpture, Ru Xiao Fan réunit dans ses œuvres des éléments très particuliers ; il s’avère donc très difficile d’assigner une étiquette précise à ses recherches artistiques. Si le spectateur assiste d’un côté à une hybridation entre fleurs et figures humaines, de l’autre il exploite aussi des sujets plus « populaires » et quotidiens – comme des bouteilles en plastique représentées dans la série Blubblegame (fig. 1). Ce qui semble réunir ses œuvres est une veine onirique, inscrivant sa production dans le domaine de la rêverie.

Parmi ses œuvres les plus connues, nous comptons la série Cent fleurs (fig. 5).


Compte rendu (février 2022)


Respire. Ferme les yeux. Inspire. Éloigne-toi. Respire. Trouve ton équilibre. Inspire. Respire. Garde cet équilibre. Inspire. Respire. Inspire. Respire.

Qu’il s’agisse de méditation au sens propre ou de tout autre exercice nous permettant de parvenir à la paix intérieure, l’isolement mental s’impose comme une condition essentielle pour arriver à cet état de sérénité intime. Ces dernières années, la crise sanitaire nous a enseigné que prendre du recul, se distancier du quotidien, est une pratique plus que souhaitable pour ne pas se laisser bouleverser par les événements. L’Ode à la méditation, une œuvre de l’artiste chinois Ru Xiao Fan datant de 2012, se prête parfaitement à une telle lecture actualisante.

Par le biais d’un support millénaire tel que la porcelaine, Ru Xiao Fan représente la délicatesse de l’exercice de méditation : non seulement les couleurs très claires de la figure se révèlent apaisantes, grâce aux nuances bleutées offertes par la couverture en qinbai1, mais la sculpture semble aussi écraser nos craintes par les formes douces et délicates de la figure assise en tailleur. Au centre d’un disque turquoise, comme au point le plus profond de tout miroir d’eau, trône un être à la fois homme et fleur en position méditative. Les habits de cette petite figure sont mouillés de vert d’eau et les plis, de très petites vagues sinueuses, parcourent son torse en laissant ses mains et ses pieds découverts. La vision aquatique qu’elle suscite auprès du spectateur est générée également par la forme ronde du disque et par la position de la figure. Les petits bords relevés, presque crispés du premier, la silhouette émergeante et la tête qui rappelle une petite goutte de la deuxième, donnent l’impression d’être l’ultime cercle concentrique, le plus large, d’un caillou jeté à l’eau avec, au centre du cercle, la figurine comme une goutte renfermant le mouvement de l’eau sur lui-même.

C’est précisément cette petite silhouette sculptée qui a attiré mon attention au milieu des œuvres de de la très riche collection de sculptures chinoises du Musée Guimet. Son élément le plus frappant est sans aucun doute le bouquet de fleurs blanches qui compose sa tête. Ni nez, ni yeux, ni lèvres nous permettent de déterminer son visage : cette boule florale donne lieu à une abstraction hors pairs, en permettant à tout spectateur de s’identifier à la figure. Cette tête florale permet à toute pensée de s’épanouir et de parvenir à la paix intérieure. Tous les détails d’Ode à la méditation invitent le spectateur à s’immerger dans les profondeurs de sa pensée. Très dynamique dans son ensemble, la floraison de la couronne englobe des boutons et de fleurs plus ouvertes qui s’étalent au-dessus des autres. Ce jeu floral incite le spectateur au silence, comme s’il assistait à l’éclosion d’une pensée. L’épanouissement se déroule donc sous nos yeux. Donnons-lui le temps qu’il faut.

La fusion entre la nature et les figures humaines est monnaie courante dans l’œuvre de l’artiste, autant dans ses œuvres sculptées – voir la série des Louhans2, les pièces de l’exposition Carte blanche à Ru Xiao Fan (Fig. 2) – que peintes – voir par exemple Méditation (Fig. 3) ou Timetable_1 (Fig. 4). Cet intérêt pour les fleurs naît après le rôle que la campagne des Cent Fleurs de 1957 a joué dans la vie privée de l’artiste. S’il n’avait que deux ans à l’époque et qu’il ne peut se souvenir de ces événements, ceux-ci ont néanmoins marqué ses parents, qui n’ont pas manqué d’en parler à leur fils tout au long de son adolescence. En effet, si les fleurs ont toujours été en Chine augure de bienfaits, de longévité, de bonheur ou de fertilité, il en a été bien autrement au moment de la Révolution Cultuelle. Hou Hanru rappelle qu’au milieu des années cinquante, « devant la nécessité de renforcer l’autorité du parti Communiste, Mao Zedong (…) décida de tendre un piège aux intellectuels afin de mieux les contrôler. Il annonça publiquement une nouvelle politique pour la liberté d’expression représentée par le slogan ‘Que cent fleurs s’épanouissent et que naissent cent écoles de la pensée combattante’ ». Cette proposition se révéla être une machination politique qui lui permit de connaître ses opposants et de les exclure de la société. L’événement dit des Cent Fleurs marqua définitivement une génération de Chinois qui cessent alors de croire à une possibilité de changement ou d’ouverture politique dans leur pays3.

En 1996, à l’occasion des trente ans du début de la Révolution culturelle, la presse française avait consacré certains articles à ce sujet. Leur lecture semble avoir été pour l’artiste une véritable épiphanie car c’est à partir de cette époque qu’il a subitement commencé à représenter des fleurs dans son œuvre : pensons à la série Cent fleurs (voir fig. 5). D’ailleurs, comme il le rappelle dans un entretien avec Debaille :

« […] J’ai [Ru Xiao Fan] eu envie de peindre un mur de fleurs, comme un monument de mémoire. À partir de là, j’ai réalisé plusieurs séries de cent toiles pour lesquelles j’ai essayé de créer toutes sortes de fleurs, des fleurs imaginaires, certaines érotiques, voire sexuelles, d’autres architecturales. »4

Tout en les détachant du simple idéal de beauté qu’on leur attribue habituellement, cette nécessité de représenter plusieurs formes de fleurs pourrait être expliquée par d’autres événements historiques remontant toujours aux faits accompagnant la Révolution culturelle. À la même époque, en effet, la culture des fleurs – luxe ostentatoire que seuls les riches peuvent s’offrir – fut interdite en Chine. Nien Cheng raconte ainsi, dans Life and death in Shangai, l’entrée des gardes rouges dans sa maison, écrasant toutes les fleurs, ce qui l’amena à devoir se séparer de son jardinier « parce que le seul fait de planter des fleurs était une faute, un acte contre-révolutionnaire ». Plus tard, dans les années soixante-dix et alors qu’elles ont peu à peu réinvesti les maisons et les lieux publics, fruits d’une longue tradition qui se refuse à disparaître, elles sont à nouveau interdites dans les bureaux et les usines5.

La fleur est ainsi devenue un symbole révolutionnaire, l’emblème de l’endurance et de l’épanouissement malgré les menaces provenant de l’extérieur.

Nous pouvons ainsi considérer Ode à la méditation comme un véritable hymne à la résistance : cette petite œuvre de Ru Xiao Fan nous inspire pour lutter contre les aspérités. Dans la fragilité de notre présent bouleversé par de nombreuses crises, il faudrait pouvoir mettre de côté l’actualité, et laisser finalement notre pensée fleurir.


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1 Il s’agit d’un type de couverture qui confère aux porcelaines une teinte bleue, voire verte. La production de ce type d’artefact est surtout liée à Jingdezhen (en Chine) : la ville est véritable capitale mondiale pour la production de la porcelaine.
2 Il s’agit d’une figure entre l’homme et Bouddha, « un méritant, un apprenti-bouddha, presque un saint » (Henry-François Debailleux, Sophie Makariou et Musé Guimet, Paris, 2020. Ru Xiao Fan : Ode du cheminement, Catalogue exposition (11 mars-8 juin 2020), Paris, Éditions Beaux-Arts de Paris, 2020, p. 16). Comme l’artiste nous dit dans son entretien avec Henri-François Debailleux, outre qu’accompagner les bouddhas, nous confions aux Louhans des tâches plus simples, journalières.
3 Pacale Le Torel-Daviot, Xiao Fan : La culture des fleurs, dans Villa Tamaris, La Seyne-sur-mer, 2001. Xiao Fan Cent Fleurs, Catalogue exposition (5 mai-10 juin 2001), La Valette-du-Var, Hémisud, 2001, p. 2-3.
4 Henry-François Debailleux, Sophie Makariou et Musé Guimet, op. cit., p. 17.
5 Pacale Le Torel- Daviot, art. cit., p. 3.


Ressources


Annexe :

Fig. 1 : Ru Xiao Fan, Bubblegame n° 42, 2004, huile sur toile, 130x97 cm.

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Fig. 2 : Ru Xiao Fan, Boire seul, dans Ru Xiao Fan : Ode du cheminement, Paris, Éditions des Beaux-Arts de Paris, 2020, p. 47.

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Fig. 3 : Ru Xiao Fan, Méditation, 2012, huile sur toile, 250x160 cm.

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Fig. 4 : Ru Xiao Fan, Timetable_1, 2009, huile sur toile.

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Fig. 5 : Ru Xiao Fan, Cent fleurs, 1998-2002, détail.

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Bibliographie :


Source primaire :

DEBAILLEUX Henry-François, MAKARIOU Sophie et Musé Guimet, Paris, 2020. Ru Xiao Fan : Ode du cheminement, Catalogue exposition (11 mars-8 juin 2020), Paris, Éditions Beaux-Arts de Paris, 2020.

Source secondaire :

LE TOREL-DAVIOT Pacale, Xiao Fan : La culture des fleurs, dans Villa Tamaris, La Seyne-sur-mer, 2001. Xiao Fan Cent Fleurs, Catalogue exposition (5 mai-10 juin 2001), La Valette-du-Var, Hémisud, 2001.

Sitographie :


mise à jour le 22 février 2022


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