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MONET / La pandémie et Monet à Étretat (Gabrielle WINDSTRUP)

Notice

Claude Monet, Étretat, la Porte d’Aval : bateaux de pêche sortant du port, 1885, huile sur toile, musée des Beaux-arts de Dijon

Source de l'image

Claude Monet est un peintre impressionniste du XIXe siècle. Au cours de ce siècle, la ville d’Étretat se développe et de nombreux peintres s’échappent de Paris pour aller peindre les falaises. Claude Monet sera un habitué des lieux et peindra une cinquantaine de toiles de la côte entre 1883 et 1887.


Compte rendu (janvier 2021)

Lors d’une promenade le long des falaises d’Étretat, j’ai vu ce tableau pour la première fois. Avec ma mère nous avions décidé spontanément de nous échapper un moment pour aller voir la mer. Il y avait peu de monde sur la promenade, à cause du confinement et du mois d’hiver. En ces temps, l’amour que nous portons à la culture ne s’est jamais autant fait ressentir. Un panneau touristique présentant ce tableau de Claude Monet m’a intriguée et je me suis arrêtée pour l’étudier. C’était le premier tableau que je voyais depuis un bon moment. Je me suis habituée à voir des images sur mon écran et soudain j’avais devant moi une peinture. Certes, il s’agissait d’une simple photographie imprimée, une copie entourée de griffures et de graffitis. Mais j’avais devant moi une copie tangible de l’œuvre, et qui finalement dans ces circonstances devenait pour moi, par appropriation, le véritable tableau.

La composition de ce tableau est à la fois d’une simplicité naturelle et d’une complexité mathématique. Aujourd’hui, lorsqu’un promeneur met le pied sur la plage de galets d’Étretat, son premier réflexe est de prendre son téléphone pour photographier la fameuse falaise qui s’étend devant ses yeux. Ce jour de décembre, tous les promeneurs avaient dans la galerie de leur Smartphone une dizaine de photographies avec la même composition que le tableau de Monet. La plage en bas à gauche. La mer en bas à droite. La falaise en haut à gauche. Le ciel en haut à droite. Cependant, la complexité ingénieuse de cette composition repose sur le regard du spectateur. Avec ses yeux, il se déplace sur ce paysage. Il débute sa promenade sur la plage de galets tout en bas, dans le coin gauche du tableau. Ensuite, il longe le bord de l’eau tout en trébuchant maladroitement sur certains galets. Il gravit la falaise, s’accroche facilement aux roches et avec fierté se place en haut pour regarder droit devant lui la mer qui s’étend. Il s’agit d’une spirale d’or, celle de Fibonacci, qui s’adresse à la précision de la science pour convenir de la composition parfaite. Guidé par cette spirale, l’œil finit toujours sous l’arche de cette falaise. Au rythme des vagues qui clapissent sur la roche, le temps coule en-dessous. Entre 1880 et aujourd’hui, ce pont n’a cessé de captiver nos regards. Et enfin, lorsque le spectateur finit sa flânerie, il s’échappe, comme le font ces bateaux, en suivant de l’œil cette diagonale qui quitte la France pour rejoindre l’Angleterre par la mer.

Mon expérience de ce tableau était meilleure que celle que m’aurait donnée la vue du vrai tableau au musée. Puisque je pouvais le toucher, mettre mon doigt sur chaque petit bateau et dire à ma mère qu’ils ressemblaient à des tâches colorées. Je pouvais, en soulevant très légèrement les yeux, voir la source du tableau et comparer l’original à sa représentation. Je pouvais étudier l’appropriation de cette falaise et comparer les creux et les fissures des roches. Je pouvais ressentir le plaisir de voir une imitation bien réalisée. N’était-ce pas la première leçon d’Aristote sur le sens du plaisir qu’on éprouve devant la peinture ? « [En] effet si l’on aime à voir des images, c’est qu’en les regardant on apprend à connaître et on conclut ce qu’est chaque chose comme lorsqu’on dit : celui-là, c’est lui. » (Poétique, chap. IV, 48 b 4-27) Je peux même vous dire que l’endroit où était placé le panneau n’était certainement pas le même endroit où Claude Monet dans les années 1880 a posé sa petite chaise, son chevalet et ses pinceaux. En revanche, et par chance, ce jour-là, le ciel Normand était comme celui qui avait surplombé Monet lorsqu’il peignit. Il y avait un nuage entre deux rayons de soleil, puis un rayon entre deux nuages. Absorbée dans mon observation, je pouvais presque oublier la pandémie mondiale qui nous étouffait. Presque. Il y a 18 bateaux sur le tableau de Monet alors qu’il n’y en avait que 1 sur ma vue à 360° degrés. Un bateau blanc qui semblait vide et longeait la côte. C’était le seul bateau que j’avais vu de la journée. Même au fond de l’horizon, il n’y avait personne. J’avais devant moi un seul heureux, sur son bateau, et derrière moi dans les maisons et les appartements aux volets poussés tant de malheureux. J’aurais préféré vivre au temps de Monet, au temps où les bateaux défilaient en mer, où l’on pouvait déambuler librement le sourire aux lèvres.

Merci à la culture présente dans nos rues et à ces panneaux touristiques que nous lisons souvent trop distraitement. Celui de la promenade d’Étretat a pleinement accompli son objectif, puisqu’il m’a fait découvrir une œuvre fabuleuse, et inspirée à ajouter à cette triade de représentations la mienne, en peignant à mon tour la fameuse falaise par ces mots.

 

mise à jour le 3 février 2021


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