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VERNET / Un port de mer au clair de lune (Kimberley REIMERINGER)

Notice

VERNET Joseph, La Nuit, un port de mer au clair de lune, 1771, Huile sur toile (98 x 164 cm), Musée du Louvre

Source de l'image

Claude Joseph Vernet (1714-1789) est un peintre et académicien français. Il vécut près de vingt ans à Rome pour étudier les grands maîtres de la Renaissance et s’imprégner de l’art antique. Il connut rapidement un succès immense pour ses paysages, et les commandes affluèrent de toute l’aristocratie européenne. En 1753, le roi Louis XV lui commanda vingt-quatre tableaux représentant « les plus beaux ports du royaume ».

L’œuvre de Vernet se situe dans l’héritage de celle de Nicolas Poussin et Claude Lorrain. Il s’inspire de la réalité pour représenter des paysages imaginaires et poétiques. Grâce à une maîtrise parfaite de la dimension spatiale et une restitution fidèle de la lumière, Vernet est considéré jusqu’à aujourd’hui comme l’un des plus grands peintres de marines. La Nuit, un port de mer au clair de lune fait partie d’une série dédiée aux quatre parties du jour, commandée en 1771 par la comtesse du Barry, favorite de Louis XV, pour le pavillon de son château à Louveciennes. (rivagedeboheme.fr et Wikipédia, voir Ressources).  

 
 

Compte rendu (avril 2021)

Dans son Salon de 1771, à propos de La Nuit, un port de mer au clair de lune, Diderot saluait le « grand talent » de Vernet

  « de savoir opposer la lumière du feu pendant la nuit à celle de la lune. Ces deux contrastes font un effet merveilleux dans ce tableau, et par un mystère qui tient à la force de l’art ils s’entraident mutuellement. Les effets qui résultent de ces deux lumières sont séduisants par leur extrême vérité. »

Les deux sources de lumière de cette marine créent sous nos yeux deux mondes distincts : sur la gauche, le monde marin, sur la droite, le monde terrestre. La pleine lune, à hauteur des mâts, éclaire les nuages et se reflète sur la surface calme de l’eau. Bien que la nuit soit tombée, plusieurs voiliers s’éloignent du port pour se diriger vers l’immensité de l’océan, comme s’ils hissaient les voiles pour naviguer vers la lune. Le feu de la marmite semble en appeler d’autres à revenir toucher terre ; autour des braises se réchauffent des personnages attendant leur part du ragoût.

Ici, Vernet sublime un contraste entre différentes couleurs : les tons clairs obscurs de la mer et de la lune, et les tons chauds de la terre et du feu. C’est bien un parallèle que le peintre a souhaité créer entre les deux sources de lumière de son tableau, la lune et le feu. Plusieurs oppositions en découlent : la terre et la mer, le rivage et le lointain, les personnages peints en couleur et ceux peints dans des tons plus froids. Les hommes de la mer, indistincts dans cette obscurité, ne représenteraient-ils pas le passage vers l’abandon dans la rêverie, dans le sommeil ? Seraient-ce les hommes de la terre rêvant de partir à leur tour, et qui sont voués à la nostalgie du voyage ? Au centre du tableau, l’homme qui pêche à la ligne se trouve sur la ligne de démarcation entre ces mondes marin et terrestre. Il fait le lien entre les marins pêcheurs - peints comme des ombres et éclairés de face par la lumière blanchâtre de la lune, et dans le dos par celle du feu - et les hommes sur le rivage, dont je m’approche insensiblement pour aller me réchauffer avec eux près du feu. Mais le double éclairage généré par la lune et le feu crée en moi une autre ligne de rupture : celle entre le tableau et moi, celle entre la réalité et le rêve peint. Je me trouve à la fois dans le port et devant le tableau. Une large fumée s’élève dans le ciel, produisant d’autres ombres qui m’incitent à mieux en scruter les contours. L’imposante bâtisse portuaire surplombe la scène, et reflète les rayons lunaires sur ses murs parfaitement lisses. Sur le promontoire, on entend les conversations des autres personnages, et on perçoit à peine, dans le silence, l’homme rêveur appuyé sur le parapet. Malgré l’obscurité de la scène, on ressent la douce brise de la nuit et la chaleur du feu. 

Cette marine offre un tableau réaliste d’une scène portuaire nocturne, mais l’atmosphère irréelle qui s’en dégage la rend mystérieuse et poétique. Au fur et à mesure de ma contemplation, je remarque des détails qui m’avaient échappés jusqu’alors : un anneau d’amarrage cloué au sol, des palans et cordages entremêlés, une lueur orangée émanant de la proue du voilier de gauche, de la fumée qui s’échappe du voilier de droite. On entendrait presque les rames des chaloupes caresser l’eau, les ronflements de cet homme avachi sur une ancre de bateau, et les aboiements de ce bien trop maigre chien noir.

Penseriez-vous que je vous ai emmené en promenade en ma compagnie vers ce paysage portuaire, pour vous faire rêver à un départ prochain vers le grand large ? Diderot aurait bien tenté de vous tromper, en simulant de décrire un authentique port de mer, jusqu’à ce qu’il trahisse son jeu par une inadvertance feinte :

 « Oui, mon ami, l’artiste. Mon secret m’est échappé ; et il n’est plus temps de recourir après : entraîné par le charme du Clair de lune de Vernet, j’ai oublié que je vous avais fait un conte jusqu’à présent, et que je m’étais supposé devant la nature (et l’illusion était bien facile), et tout à coup je me suis retrouvé de la campagne, au Salon. » (Diderot, « Promenade de Vernet », Salon de 1767).

Quant à moi, je reviens à la réalité non pas grâce au bruit des visiteurs du Salon, comme ce fut le cas pour Diderot, mais en tournant les pages de mon livre La peinture au fil du temps (Caroline Desnoëttes, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2000), où la photographie du Port de mer au clair de lune de Vernet occupait toute la page 104.
Le souvenir de cette marine contemplée naguère au Louvre, mêlé à mon imagination que le feu a échauffée, m’a permis de retomber sous le charme de ce tableau.

Série des Quatre parties du jour de la comtesse du Barry (1769)


Le Matin, les baigneuses, 1772
Huile sur toile (98 x 162 cm), Musée du Louvre

Marine et paysage sur les bords de la Méditerranée, 1773
Huile sur toile (166 x 263 cm), Musée du Louvre

Marine, soleil couchant, 1774
Huile sur toile (109 x 159 cm), Musée du Louvre

La Nuit, un port de mer au clair de lune, 1771
Huile sur toile (98 x 164 cm), Musée du Louvre


Vues des ports de France (15 tableaux au total)

L’entrée du port de Marseille, 1754
Huile sur toile (165 x 263 cm), Musée du Louvre

Deuxième vue du port de Bordeaux, 1759
Huile sur toile (165 x 263 cm), Musée national de la Marine


Ressources

  • Base Atlas – Musée du Louvre
  • Images d’Art - RMN
  • Sur La Nuit, un port de mer au clair de lune :

Diderot, Salons, Gallimard, coll. « Folio Classique », 2008, p. 415

https://utpictura18.univ-amu.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=A4443
  • Sur Vernet :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Joseph_Vernet

https://www.rivagedeboheme.fr/pages/arts/peinture-18e-siecle/claude-joseph-vernet.html




mise à jour le 29 avril 2021


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