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du 22 mai 2018 au 23 mai 2018
Organisation :
Brigitte Foulon - Université Sorbonne Nouvelle / CEAO
Mohamed Bakhouch - Université d’Aix-Marseille / Iremam
Présentation :
Peu d’études académiques ont été consacrées récemment, en Orient comme en Occident, à la satire dans la littérature arabe et celle-ci n’est plus guère étudiée que pour son aspect documentaire, qui nous renseigne sur l’histoire des Arabes, sur leurs croyances et leurs mentalités. Pourtant, sa valeur littéraire et poétique est reconnue par les spécialistes, et elle constitue bien un genre à part dans le paysage littéraire arabe, qui ne saurait être réduit à un simple réceptacle d’insultes rimées ou à la diatribe grossière d’un prosateur aigri ou partisan.
Ce colloque se propose d’envisager la satire dans toutes ses dimensions et à toutes les époques. Celles-ci sont nombreuses. Nous pourrons nous pencher d’abord sur la dimension surnaturelle du hiğāʾ que les Arabes anciens percevaient comme « une incantation, une malédiction » [I. Goldziher, 1896].
En effet, les ouvrages consacrés à ce genre poétique nous apprennent qu’avant de déclamer une satire, les poètes de l’époque antéislamique se livraient à un véritable rituel, dans le but d’impressionner leur auditoire. Ils enduisaient, nous dit-on, une partie de leurs cheveux de henné, faisaient traîner les pans de leur robe et portaient une seule chaussure [Muḥammad Muḥammad Ḥusayn, 1947].
Par ailleurs, les satires (souvent courtes et composées en mètre rağaz) servaient de préliminaires lors des conflits armés politiques, religieux ou intertribaux. Les poètes cherchaient à saper le moral de l’ennemi et à galvaniser celui de leur parti ou de leurs contribules.
La satire est également perçue comme une violence verbale, un outrage qui marque l’individu et/ou le groupe satirisé à tout jamais. C’est que l’auteur d’un hiğāʾ attente, dans son poème, au ‘irḍ [l’honneur] de sa victime, stigmatisant ses tares, avérées ou non.
Les réactions des victimes d’un hiğāʾ sont généralement violentes, l’auteur de la satire pouvant être emprisonné, avoir la langue coupée, voire être mis à mort. La moins violente d’entre elles consiste à composer une satire-réponse, une naqῑḍa (pl.) naqā’iḍ. L’échange de satires peut se prolonger dans le temps [ex. : l’échange de naqā’iḍ entre al-Aḫṭal et Jarῑr dura vingt-trois ans, et celui ayant opposé ce même Ğarῑr à al-Farazdaq quarante ans !].
En revanche, l’auditeur non concerné par les traits venimeux de l’outrage, trouve dans la déclamation d’un hiğāʾ l’occasion de rire, de s’amuser et d’applaudir l’habileté du poète à caricaturer sa victime, à l’affubler des sobriquets les plus saugrenus, à la traîner dans la fange, en l’accusant ou en accusant ses proches, notamment les femmes, de pratiques « contre nature », etc.
La satire en prose, en particulier la littérature d’adab, n’est pas moins mordante. Les grandes plumes abbassides (al-Ğāḥiẓ, al-Tawḥῑdῑ pour ne citer que les plus fameux) ou andalouses (Ibn Šuhayd et de nombreux kuttāb) ont laissé dans ce domaine des pages d’anthologie.
Au fil du temps, le hiğāʾ devient un moyen privilégié d’exprimer ses critiques et sa défiance à l’encontre des puissants. En al-Andalus, par exemple, les poètes de la période almoravide fustigent à travers leurs satires le comportement des fuqahāʾ malékites, certains auteurs prennent même pour cible des villes avec les habitants desquelles ils ont des comptes à régler. Cette dimension contestataire du genre satirique ne s’est pas épuisée au fil du temps, bien au contraire, elle a trouvé dans les politiques des régimes arabes du XXe et XXIe siècles et jusqu’à nos jours une source d’inspiration qui a irrigué la littérature arabe moderne.
Aix-en-Provence - Maison méditerranéenne des sciences de l'homme
mise à jour le 8 janvier 2018