Olinda Kleiman (CREPAL)
Leonardo Silva (CREPAL)
Eliane Moraes (USP)
De tous temps, l’écriture du sexe et de la sexualité – et nous entendons par là toute forme de représentation, qu’elle ressortisse à la matière littéraire, sur laquelle nous souhaitons concentrer notre intérêt, à la représentation théâtrale ou cinématographique, ou encore aux arts picturaux – a fait l’objet d’une attention particulière qui a, en certaines périodes, confiné à la passion. À la méfiance et aux contrôles souvent ravageurs de l’« autorité », même dans les temps les plus obscurs, les créateurs ont su opposer une détermination farouche et faire preuve d’une imagination souvent surprenante dans la mise en place de stratégies de contournement qui leur permettent de tromper la vigilance de l’adversaire, de dire l’indicible en ne le disant apparemment pas, et en l’affichant ainsi d’autant plus. Le plaisir, certain, qui résulte de cette mise en mots, en images ou en scène, souvent, mais pas toujours, clandestine est à vrai dire redoublé, pour celui qui le produit comme pour celui qui le reçoit. C’est un plaisir triomphant, en tant que plaisir interdit ou tout au moins peu orthodoxe : non seulement il a eu raison du censeur toujours sur le qui-vive ou de l’ingénu qui n’y voit que du feu, mais il est partagé avec un public informé, de connivence, lecteur isolé dans le secret de son alcôve ou spectateurs multiples dans le cadre d’une réception collective de surcroît. Le plaisir, en général privé, du sexe a son pendant dans le plaisir de son évocation créative et transgressive, un plaisir qui se fait d’autant plus intense lorsqu’il est celui du groupe et atteint par des chemins biaisés, dans des circonstances inattendues ou en décalage avec la situation dans laquelle il se donne libre cours (espace religieux, noble – ou docte – assemblée, moment sérieux, voire solennel…).
À des degrés divers, le genre, érotique ou pornographique – la frontière n’est pas aisément traçable et peut-être n’est-elle pas non plus stable, figée dans le temps, mais elle est certainement affaire de degré –, est fortement redevable au ludique, en lien avec les postures transgressives et provocatrices. Et si la matière, érotique, voire pornographique, a traversé les siècles, et probablement laissé sa marque dans toutes les civilisations, ce n’est pas pour autant que ces postures se maintiennent toujours à l’identique. Elles ne le font ni pour ce qui a trait à l’acceptation du dire, de l’écrire ou du donner à voir le sexe, ni pour ce qui est de l’autre face de la médaille, le lire, l’entendre ou le voir. Toutes les époques ne sont pas également réceptives, ou pareillement hermétiques, aux « choses » de l’amour qui ne sont pas non plus d’un seul tenant.
Tout est affaire de dosage, de goût et surtout de mentalités, celles-ci étant du reste susceptibles d’éduquer le goût et de définir le degré d’acceptabilité. Ce qui est permis et apprécié aujourd’hui peut ne pas l’avoir été hier, voire ne plus l’être demain. Aux périodes de tolérance, parfois étonnamment permissives, succèdent des périodes d’une intolérance tout aussi radicale. Les temps changent » et avec eux les désirs, comme dit le poète, qui est aussi « le » poète de l’amour. Mais ce n’est pas la seule raison. La matière amoureuse présente des variantes multiples, allant de l’amour idéalisé aux accents platoniciens jusqu’aux représentations très libertines, voire plus, de l’acte sexuel et du plaisir corporel dans tous ses excès, sous la plume du marquis de Sade, par exemple.
Notre recherche n’entend pas porter sur les premières, que la littérature a largement accueillies, dont elle a probablement fait sa matière de prédilection. Elle s’intéressera aux manifestations moins consensuelles, plus polémiques, d’une sexualité, « acte par excellence » ou « faire par excellence », dans les termes de Pierre Guiraud, qui s’affirme précisément en actes. Les littératures en langue portugaise constitueront la matière privilégiée pour notre réflexion. Nous ne nous y limiterons cependant pas. Comme l’amour lui-même, le langage de l’amour est universel et se prête à une exploration qui, la traduction aidant, n’est pas soumise aux lois des frontières, ni linguistiques, ni géographiques, ni temporelles. Nous étudierons ainsi le vaste champ qui s’offre à nous depuis les traités et les cancioneiros médiévaux jusqu’aux œuvres de la contemporanéité extrême, en dialogue avec les autres littératures et leurs spécialistes, en accueillant aussi les autres arts dans notre réflexion.