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SATIE / La Mélancolie des Gymnopédies (Jade Kuszner)

Notice


Erik Satie est né en 1866 à Honfleur en Normandie, et est mort en 1925 à Paris des suites d’une maladie. Il passe son enfance entre sa Normandie natale et Paris, où il finira par prendre des cours de musique au Conservatoire. Jugé sans talent particulier par ses professeurs, Satie est renvoyé. Il s’engage alors dans l’armée mais rebrousse rapidement chemin pour reprendre la voie de la musique. Il s’installe dans un premier temps à Montmartre (1887), où il commencera sa carrière musicale, puis il déménagera à Arcueil (1898), loin des mondanités et des excentricités de la ville.

À l’âge de vingt-deux ans, Satie compose trois Gymnopédies entre février et avril 1888. Ces trois pièces deviendront emblématiques au XXIème siècle, mais ne connaîtront le succès qu’à partir de 1910, après une orchestration donnée par Claude Debussy. Ce petit coup de pouce amical propulsera en effet notre compositeur sur le devant de la scène et lui permettra de s’ouvrir non seulement à la musique, mais aux Arts de manière générale.

De nos jours, Satie est étonnamment connu pour sa folie et ses extravagances ; mais nous souhaitons célébrer ici son génie créatif en portant notre attention sur les trois Gymnopédies et leur tonalité mélancolique.


Compte rendu (février 2022)


(Lent). Un. Deux. Trois ; Un. Deux. Trois. Ainsi bat la cadence des Gymnopédies d’Erik Satie. Ces pièces pour piano ont été composées entre février et avril 1888, alors que Satie faisait ses grands débuts dans la musique.

La première Gymnopédie est adressée à « Mademoiselle Jeanne de Bret ». Ce nom est peu connu, toutefois il apparait à quelques reprises dans la revue musicale Le Ménestrel, notamment dans le volume paru le 20 avril 1890. Cette femme serait une amie d’enfance et camarade pianiste du compositeur. En outre, la première instruction d’exécution indique à l’interprète de créer une tonalité « lente et douloureuse ». Les premières notes s’enchaînent ainsi, et Satie crée un univers doux, rassurant et lumineux. Cependant, l’ambiance change peu à peu pour devenir un brin mélancolique et beaucoup plus sombre. La mélodie est jouée un peu plus legato et plus forte alors que la nuance habituelle se voulait pianissimo. Le compositeur enchaîne les variations d’intensité et crée de la discorde. Il associe à de multiples reprises crescendos et decrescendos, mais modifie aussi l’armure instaurée à la clé. Il change ainsi la tonalité pour quelques mesures. Toutefois, notre compositeur ne déroge pas à sa lenteur. La musique envahit la pièce. Lentement. Des frissons me parcourent l’échine. Pourquoi toutes ces tensions? L’accord grave qui clôt la pièce est un mystère. Il résonne dans le silence. Perdure, et laisse l’histoire de Satie en suspens.

- Fin de la première Gymnopédie -

La seconde pièce est dédiée à « Conrad Satie », le frère cadet d’Erik et son plus proche confident. Erik entretient une importante correspondance avec son frère ; il n’est donc pas surprenant qu’il lui adresse une de ses pièces. Toutefois, les instructions relatives à ce second opus incitent à jouer avec une tonalité « lente et triste ». Les émotions de Satie vont crescendo. Il ne s’exprime plus avec douleur mais avec peine. L’univers musical se veut plus sombre, plus mystérieux. Le compositeur transpose le thème principal et la structure de la première Gymnopédie et les adapte à la seconde pièce. Encore une fois l’atmosphère est mélancolique, mais cette fois, elle est aussi semée d’incertitudes. L’auditoire est mis dans la confidence. Il part en balade. Satie partage avec nous ses songes et ses inquiétudes. Lorsqu’il joue forte, et que le rythme s’accélère, on peut apercevoir un tableau lumineux, un espoir, mais dès lors que revient la délicatesse et la lenteur initiale, le tableau redevient mélancolique et s’assombrit davantage. Le rythme redevient lent et met un terme aux rêveries. Seuls demeurent ces derniers accords flottants dans les airs. Ce sont les quatre dernières mesures. Ainsi se termine une part de découverte. L’étape d’un grand parcours.

- Fin de la seconde Gymnopédie -

Enfin, la troisième Gymnopédie est consacrée à « Charles Levadé », un compositeur français et ami de Satie. Ce dernier préconise pour cette troisième valse de jouer de manière « lente et grave ». La pièce s’ouvre donc sur un accord grave et un ton légèrement plaintif. Ici encore, le thème et la structure de la première Gymnopédie sont perpétués. Cependant l’atmosphère est plus pesante que lors des précédentes pièces. Les accords sont quelques peu dissonants, mais sans perdre leur harmonie. La mélodie évoque la fin d’une bonne époque, comme un souvenir monochrome. C’est un instant de nostalgie, fugace. Satie semble avoir mûri. On le sent à travers sa musique. Le dernier accord de la pièce est joué d’un ton sec. Il résonne et met un point final aux trois œuvres. Il marque ainsi l’acceptation du compositeur et la fin de son voyage mental. C’est un retour à la réalité aussi bien pour le compositeur que pour l’auditoire. La musique peut éventuellement être interprétée de manière cathartique. Satie purge sa bile noire par le biais de son art. Il se détache de ses idées mornes et embrasse la nouvelle vie qui s’offre à lui. Il ouvre un nouveau cycle.

- Fin de la troisième Gymnopédie -

De mon point de vue, ces trois pièces montrent une évolution chez le compositeur. Elles forment une sorte de voyage initiatique. Satie est encore jeune, mais il entre dans la « vie active » lorsqu’il compose ces trois pièces. Il semble s’engager avec douleur dans le premier opus, puis il continue avec tristesse sur cette voie. Enfin, il accepte avec gravité de devoir passer de la jeunesse à l’âge adulte. C’est un peu l’histoire d’une vie qui nous est donnée à écouter aujourd’hui. Ornella Volta, grande musicologue spécialiste d’Erik Satie précise dans son essai Erik Satie: Correspondance presque complète que le compositeur se serait inspiré des Gymnopédies, danses rituelles en l’honneur d’Apollon qui se tenaient à Sparte. Il s’agit d’une cérémonie religieuse qui symbolise le passage de l’enfance à l’adolescence et rend hommage aux guerriers perdus pour la nation. Les participants doivent endurer différentes épreuves sportives et faire des démonstrations en tenue d’Adam. On peut imaginer qu’il s’agissait de taches éprouvantes dues aux longues expositions sous le soleil. Ainsi, Satie expose sa propre interprétation de la cérémonie rituelle. Il propose d’écouter une musique novatrice, une musique d’ambiance qui rejette les normes académiques du beau et de la musique harmonisée. L’auditoire est transporté dans un monde onirique et mélancolique où il peut voyager entre ténèbres et lumière, espoir et désespoir. Il se laisse envoûter au son des accords mi-harmonieux, mi-dissonants ; et peut ainsi se laisser bercer par la lente mélodie envoutante d’Erik Satie.


Ressources

  • Jean-Pierre Armangaud - Erik Satie / Fayard 2009 / 782 pages
  • Ornella Volta - Erik Satie : Correspondance presque complète / Fayard - Musique 1994 / 1240 pages
  • Partitions certifiées des Trois Gymnopédies.

mise à jour le 10 février 2022


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