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RIVES / La chapelle des Papeteries de Rives (Lucie ROCHER)

Notice

La Chapelle dite des Papeteries, 1847, Rives

Photographie personnelle de Lucie Rocher
 
Alfred Berruyer (1819-1901), nom quelque peu tombé en désuétude, fut l’architecte diocésain de Grenoble, élève de Louis Visconti, auteur du tombeau de Napoléon 1er, et de Viollet le Duc. Il fit bâtir et rénover de nombreuses églises au cours du XIXe siècle, faisant même de l’Isère le département ayant le plus reconstruit de bâtiments religieux à cette époque. En 1847, à l’abri de tous les regards, ce sont les plans d’une petite Chapelle dite des Papeteries, érigée en haut d’une colline d’un village isérois, qu’il réalisa. Une œuvre inconnue, presque invisible, de notre patrimoine local que nous redécouvrons aujourd’hui.

Compte rendu (janvier 2021)

Pendant toute mon enfance, jamais, non, mes yeux n’avaient eu la curiosité de se lever au-delà de la ligne d’horizon en empruntant la route qui me menait au centre équestre. En ce mois de décembre, je découvris pourtant inopinément à Rives, village d’Isère où j’avais grandi, la Chapelle dite des Papeteries, érigée en 1847, selon les plans d’Alfred Berruyer et à la demande de la famille Blanchet, des industriels papetiers qui dirigeaient la ville et qui souhaitaient permettre à leurs ouvriers de célébrer la messe du dimanche. D’une dimension modeste, ce bâtiment produit pourtant une émotion singulière. C’est le confinement – mot nouveau qu’enfant et adolescente je n’aurais pu inventer – qui m’a incitée aux précieuses escapades, et fait rencontrer ainsi, en haut de la colline alors recouverte d’une fine pellicule de neige, cette chapelle à la petite facture qu’on aurait dite sortie d’un conte. Au fil de mes pérégrinations dans Rome, Prague ou Barcelone j’avais pu m’arrêter, ébahie, devant la beauté d’un bâtiment, frappée par la grâce des courbures ou la force des lignes. Ici, rien de cela. Pas de moment épiphanique, pas de stupeur, mais un sentiment de douceur, un sursaut de l’enfance face à ces murs qui paraissent appartenir à une petite maisonnée.

Le plan est simple : une nef unique à trois travées prolongée par un chœur en hémicycle, et des dimensions modestes (douze mètres de long et six de large). Le bâtiment n’a rien de majestueux, mais les matériaux ont été choisis avec soin et les techniques sont maîtrisées. Érigé en 1847 à la demande de la famille Blanchet, des industriels papetiers, le porche néo-romain est coiffé d’un imposant clocheton ajouré construit en encorbellement. Du calcaire blanc en pierre de taille, pierre que l’on trouve en grande quantité dans cette région, a été employé pour les emmarchements, les colonnettes – classiques et sans aucune fantaisie – du porche d’entrée ainsi que pour la flèche du clocheton et les soubassement des contreforts. Le tuf, utilisé depuis les Etrusques et les Romains, a été privilégié pour les murs gouttereaux, la corniche ou encore les colonnettes du clocheton. Des matériaux somme toute assez classiques. La porte, très sobre, est surmontée d’un tympan orné d’une Vierge à l’Enfant dans une mandore, présentée et soutenue par deux angles de profil de part et d’autre. Là encore, aucune fantaisie dans le choix et l’exécution d’un motif connu depuis des siècles et où d’autres, tel Andrea della Robbia et sa Madone aux chérubins exposée au Louvre, ont déjà excellé, mais il faut reconnaître une réelle délicatesse dans la taille, et un souci du détail. Ce qui frappe, qui étonne, c’est le riche décor, qui associe, non sans harmonie, inspirations orientales et médiévales. Loin du modèle néo-roman classique souvent sollicité pour les productions dans les villages, ces motifs quelque peu fantasques sacralisent le courant éclectique du XIXe siècle. Une originalité de l’artiste qui annonce, peut-être, les fantaisies architecturales que l’artiste se permettra de réaliser à Grenoble.

Cette petite chapelle est donc bien modeste, et bien inconnue. Qui pourrait-elle bien intéresser ? Pourquoi la décrire ici avec tant de soin ? Le seul élément important, celui pour lequel elle est notée dans les livrets touristiques, se trouve à l’intérieur. Ce sont les vitraux et les peintures, qui sont l’œuvre d’Alexandre Debelle, qui d’après les brochures valent la peine d’être admirés. Mais ces vitraux, je n’ai pu les voir en raison du confinement qui tient toute porte close depuis de longs mois. Les œuvres à l’intérieur, les seules un brin connues de ce monument sans intérêt, me restent donc inconnues, tandis que je porte tout mon intérêt au bâtiment seul, à ces murs blancs qu’on juge insignifiants.

Pour moi, ils ne le sont pas. En découvrant cette petite chapelle, j’ai senti que l’enfant en moi se réconciliait avec ce village dont il était parti sans regret et sans un regard en arrière il y a plusieurs années. Face à la Chapelle, je me suis mise à imaginer ce maire, grand industriel, qui avait commandé à un architecte, bientôt reconnu dans toute la France, une petite chapelle pour ses ouvriers. La nostalgie d’un lieu qui n’avait pourtant jamais été mien, m’a saisie. Et c’est ainsi que le bâtiment, au fil des observations, devenait une Chapelle de renom où avaient résonné des rires d’enfants et des chants de communion. Les murs en ruine et le portail rouillé qui l’entourent ne donnent pas une impression d’abandon mais lui confèrent une atmosphère onirique. Je trouvais dans ce modeste bâtiment de quoi être fière, une beauté brute, insoupçonnée, et invisible aux yeux de tous. Alfred Berruyer devenait un architecte prodige, peut-être même avait-il parlé de ce projet à son maître Louis Visconti ?

Je ne suis donc pas déçue de n’avoir pu entrer dans la chapelle, et voir les vitraux et les peintures qui sont très certainement admirables. Je préfère rester devant la grille rouillée, contourner le porche, rêver devant le clocheton. Je n’aurais pas voulu entacher cette découverte artistique avec mon passé, et j’aime à penser qu’une part de mystère soit ainsi préservée, et que seule mon imagination a un droit de regard sur ce qu’abritent les murs blancs, qui sont désormais miens.

mise à jour le 3 février 2021


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