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Rencontre avec Loïc Depecker, nommé Délégué général à la langue française et aux langues de France

le 22 mai 2015

Loïc Depecker, professeur et directeur de recherche en sciences du langage à la Sorbonne Nouvelle, a été nommé Délégué général à la langue française et aux langues de France et préfigurateur de l'Agence de la langue française, en Conseil des ministres, le 20 mai 2015.

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  • Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J'ai été élève professeur à l'Université de Nanterre avant d'intégrer l’École normale supérieure de la rue d'Ulm en 1976. Passionné par les langues anciennes et les sciences du langage, j'ai passé l'agrégation de grammaire. Je suis entré à Matignon en 1980 pour m'occuper de questions de politique linguistique, particulièrement celles liées à la recherche d'une méthode de traitement des termes angloaméricains et de leur traduction en français. J'ai soutenu pendant cette période ma première thèse d'université, en sciences du langage : Les commissions ministérielles de terminologie en France (1970-1993).

Je suis entré à la Sorbonne nouvelle en 1996 comme professeur agrégé et j'ai gravi les échelons, jusqu'à la soutenance d'Habilitation à diriger des recherches, que j'ai passée à la Sorbonne en 2000 : Entre signe et concept : éléments de terminologie générale. Parallèlement à mes enseignements, j'ai continué à travailler à l'Afnor, où je suis expert depuis 20 ans pour la terminologie, et dans les commissions officielles de terminologie.
 
  • Quels sont les thèmes de vos recherches à la Sorbonne Nouvelle ?
Les vocabulaires scientifiques et techniques et toutes les problématiques qui leur sont attachées, notamment les discours spécialisés, avec leurs caractéristiques particulières, style, images, métaphores, tropes, etc. Ce qui nécessite de puiser dans l’histoire de la langue française, du latin et du grec, ces deux langues dites "mortes" étant des langues vivantes pour les techniciens et scientifiques.

Je travaille aussi sur les imaginaires et sur les langues comme fictions. Je publie sur ces questions, mais également sur la politique linguistique. J'ai également créé dans notre université un séminaire de Master 2 recherches, intitulé "Politique linguistique et aménagement des langues : constitution d'un champ scientifique" qui, à ma grande surprise, intéresse beaucoup les étudiants.

C'est sans doute ce qui a attiré l'attention du Gouvernement, qui souhaitait nommer un technicien au poste de Délégué général à la langue française et aux langues de France. Rassurez-vous, si je me considère comme un technicien, attaché à la théorie, je suis aussi très attaché aux applications. Je me considère également comme un  sociologue, un philosophe, un traducteur, un psychanalyste, un poète... On ne peut pas, d'après moi, aborder le langage, sans avoir en perspective ses prolongements existentiels et métaphysiques.
 
  • Le 20 mai dernier, vous avez été nommé, en Conseil des ministres, Délégué général à la langue française et aux langues de France et préfigurateur de l'Agence de la langue française. En quoi consistent vos missions ? Pouvez-vous nous en dire plus sur l'Agence de la langue française ?
C'est un grand honneur que d'être nommé en Conseil des ministres. Ce qui montre l'importance qu'attache le Gouvernement à la question des langues. Je dis "des langues", car il serait réducteur d'envisager le français indépendamment des autres langues, langues de France, langues européennes, langues partenaires de la francophonie, langues hispanophones, lusophones, etc.

En ce qui concerne la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui est l'une des 4 grandes directions du ministère de la Culture et de la Communication, elle a pour tâche de développer la langue française dans tous ses aspects. Notamment, ceux liés à la néologie scientifique et technique. Elle a aussi pour rôle d'aider à développer les langues de France, aussi bien en métropole que dans les départements et territoires d'outremer. C'est un aspect très important de ma tâche en tant que Délégué général à la langue française et aux langues de France, considérant que les langues sont inscrites dans la Constitution de la République  comme faisant partie, et je dirai "pleinement" partie, du "patrimoine de la France".

De son côté, mais sans qu'il y ait séparation avec les travaux de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France,  l'Agence de la langue française, que le Premier ministre, Manuel Valls, m'a demandé de préfigurer, aura notamment pour rôle d'aller plus loin dans l'apprentissage de la langue française, en tant que langue d'intégration. II faut élargir son apprentissage en direction de personnes ou de populations qui n'ont pas spontanément les moyens d'accéder à la culture. Cette idée de "langue d'intégration" est une idée universelle : qui n'a rêvé un jour d'accéder à une autre culture ? Et sur ce chemin, qui n'a expérimenté que l'accès privilégié à une autre culture passe nécessairement par la langue ?

L’Agence de la langue française devra donc "renforcer l’ensemble des dispositifs de lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme et proposer une politique linguistique qui redonne […] le goût et l’envie de pratiquer le français". C'est là l'un des cœurs de mes recherches antérieures, dont j'ai fait plusieurs livres, dont le Petit dictionnaire insolite des mots de la francophonie (Larousse, 2013). Il s'agit d'essayer de rendre accessibles au grand public les vocabulaires de tous les jours, mais utilisés seulement par certains d'entre nous. En tant que ch'ti, c'est-à-dire homme du nord de la France,  je peux vous dire que je dis chicon plutôt qu'endive, cliche plutôt que poignée, maronne plutôt que pantalon, et quand je tombe, je queille ! Toute cette diversité qui fait notre richesse culturelle intime doit être mieux mise en valeur. Il faut honorer les personnes et les rendre fières des langues qu'elle parlent, que ce soit des variétés de français, ou des langues étrangères. Apprendre une autre langue c'est entrer dans un autre monde de pensée et de perceptions. C'est pleinement honorer l'étranger, l'autre. L'Agence de la langue française aura aussi à se pencher sur les variétés du français, tout en gardant le cap sur l'apprentissage d'un français compris et partagé par tous.

Il est indiqué dans les documents préparatoires à la création de l'Agence de la langue française que "près de 6 millions de personnes rencontrent des difficultés dans la maîtrise ou le maniement de la langue française". Alors que la maitrise de la langue est un "facteur majeur de la réussite scolaire". Elle fait  partie des 11 mesures annoncées par le ministère de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, à la suite des attentats de  janvier 2015.
Ce sont là de magnifiques missions et de formidables défis.

  • Quels conseils donneriez-vous aux étudiants de la Sorbonne Nouvelle ?
Les conseils que je ne cesse de donner à mes étudiants de langues étrangères appliquées, essentiellement futurs traducteurs ou spécialistes des langues qui seront amenés à travailler en entreprise en milieux multilingues : il faut lire régulièrement, pour consolider la mémoire visuelle ; se tenir informé, pour pouvoir comprendre le contexte des informations à traduire ;  écrire, -écrire régulièrement son propre journal par exemple-, pour se poser les questions qui ne manquent pas de se poser quand on donne forme à sa pensée. Et avoir, comme l'Orator de Cicéron, une curiosité sans limite !

Type :
Portrait
Contact :
Sous-direction de la Communication

mise à jour le 9 décembre 2015


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