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Projet théâtral

Projet théâtrale - Violette Cala

Manon Murray
1) J'étais en Espagne, là où je suis en Erasmus. Je venais de rentrer des courses, j'étais en train de les ranger et de glander, en fait. Journée totalement banale.
2) Je l'ai appris par mon meilleur ami qui m'a envoyé un message sur Whatsapp. "Putaaaaain t'as vu pour Charlie Hebdo !! Je suis trop choqué. Putain j'espère que c'est pas des islamistes ça va être explosif".
3) J'ai pensé... au début je n'ai pas beaucoup pensé, j'enregistrais juste les informations et c'était tellement hallucinant, même ma coloc ne l'a pas cru au début. Et puis je vais sur Twitter et là... explosion, j'ai les larmes aux yeux depuis que c'est arrivé, même si je ne connaissais pas bien Cabu, Charb & Charlie Hebdo, le fait de s'attaquer à la liberté d'expression, aux institutions républicaines... Gros choc. Le fait d'être en Espagne me coupe un peu de la France et ça m'a fait du bien de voir sur les réseaux sociaux que tout le monde était uni, que tous étaient révoltés contre ce drame. En attendant, j'ai toujours le cœur lourd et j'espère que cette unité entre tous les Français, et même entre tous les citoyens du monde, va continuer, et qu'on ne se laissera pas diviser.

Maréva Moulinot

J'étais en train de réviser mon partiel de droit qui avait lieu l'après-midi même lorsque mon amie m'a envoyé un SMS : "oh mon dieu, Cabu et Charb ont été assassinés au siège de Charlie Hebdo...". À cet instant, la presse ne faisait pas encore état de tous les morts. J'ai été sur internet pour m'informer, je n'y ai pas cru au début. J'ai été choquée, horrifiée, j'ai eu l'impression d'apprendre la mort d'un proche. Et plus que cela, j'ai été abattue en constatant que l'humanité pouvait être capable d'une telle cruauté. J'ai été au rassemblement à République hier, l'émotion et l'unité qui y régnaient m'ont un peu consolée. Je craignais des réactions violentes et la récupération par les extrêmes. Aujourd'hui je me sens endeuillée, quelque chose a également été ébranlé en moi, et j'ai absolument besoin de le dire et de ne pas être seule. J'espère que l'unité et l'intelligence répondront à l'ignominie et à la facilité de l'amalgame.
   
Amélie Ciccarelli
En fait, je suis rentrée en partiel à 12h. Je n'ai pas regardé les journaux ni mon portable. Donc je n'étais pas du tout au courant de ce qui se tramait. J'ai fait mon partiel, stressée au possible de ma prochaine note. Je suis sortie de la salle, assez contente de ce que j'avais pu écrire et il y avait un petit groupe de gens sorti avant moi, sur leur téléphone. Et là ils m'ont dit, de manière tout à fait normal "il y a eu un attentat à Paris, 12 morts". Je n’ai pas réalisé, je me suis demandée pourquoi, qui, comment. Et là ils ont dit "Charlie Hebdo". Là aussi je n’ai pas compris. Puis j'ai lu, je me suis documentée, j'ai regardé facebook, tout le monde ne parlait que de ça, je voyais toutes les images noires, les "je suis Charlie" à foison. Et pourtant à la fac, personne ne semblait si préoccupé. Mon partiel semblait bien loin, anodin. Je suis rentrée, en pleurs. Je me suis fait un gâteau au chocolat. J'ai voulu penser à autre chose. Mais pas possible. J'en ai parlé avec mon copain, longuement. On a compris qu'on était d'accord, sur nos principes, sur notre liberté et sur nos créations.
J'étais en train de bosser pour ma semaine de partiels, machinalement je me suis connectée au site du Monde.fr surement dans l'espoir de penser à autre chose qu'a mon partiel de droit.  Et là j'ai vu, j'ai compris ....  Plus je lisais, plus l'horreur devenait réelle.  J'étais à la bibliothèque et je crois que mon portable et ceux des gens autour de moi n'ont cessé de sonner et de vibrer dans les 10 minutes qui ont suivi. Hier soir quand je suis rentrée chez moi, je suis passée par l'esplanade de la Défense. J'avais besoin de marcher un peu, d'être seule. Alors que je regardais la Grande Arche éclairée, sur tous les panneaux publicitaires de l'esplanade se sont affichés ces mots : Je Suis Charlie. Je n'ai réussi à contenir les larmes de l'injustice.

Estelle Marie
Au moment où j'ai appris la nouvelle, j'étais chez moi, il était 12h, je me préparais pour aller à la fac, et puis il a eu le petit check de twitter avant de mettre mes chaussures. C'est là que j'ai su. Via twitter, via le tweet de France Inter. Alors sur le chemin du bus, j'appelle ma mère, lectrice du canard enchaîné et occasionnellement de Charlie Hebdo (quand la première page n'est pas trop osée). Je lui demande si elle au courant pour avoir une confirmation, je lui apprends la nouvelle. On a toutes les deux pensé à un canular, quoi? En France? Contre des dessinateurs? Puis on change de conversation et je raccroche. J'appelle mon père, qui, lui aussi, a du mal à y croire. Dans le RER, j'écoute France Inter et autour de moi personne ne le sait encore. Les gens sont assis et lisent, écoutent de la musique, regardent le paysage. La journée passe et je reste sous le choque. Et me voilà, plus de 24h après, et je réalise enfin. Je réalise que des gens sont morts pour de l'encre et des dessins. Ces personnes étaient les amis d'autres gens, la famille, le modèle. Je ne peux imaginer leur peine. La France va se rassembler autour de cette tragédie, quelque soit nos religions et nos idéologies.

Edouard Coste
Il devait être 14h00. Je me réveillais tranquillement ou presque après avoir passé la nuit à jouer. Je suis réveillé par mon portable. C'est mon frère. Je décroche tant bien que mal, un peu dans les vapes. Commence alors une conversation habituelle entre nous, du genre « salut-ça-va-ouais-et-toi-ouais ». Puis il me passe ma mère. Elle me demande si je vais bien. De ce que j'ai compris, il y a eu une fusillade à Charlie Hebdo, vers Bastille. A côté de chez moi. Je lui dis que je ne suis pas encore sorti. Elle me conseille de rester chez moi : la police a fait mettre plusieurs barrages dans le coin ou quelque chose dans le genre. Je raccroche.  Ce que j'en ai pensé ? Vraiment ? Je m'en foutais. Je ne connaissais pas Charlie Hebdo, seulement les polémiques qu'il y a pu avoir concernant leurs dessins (Mahomet, tout ça...). Mais ça avait l'air de toucher tant de gens. Sur Facebook, les gens ne parlaient plus que de ça. Certains écrivaient même des manifestes de la liberté d'expression et changeaient leur photos de profil pour un très sobre : « Je suis Charlie. ». Comment dire ? J'ai pensé à une sorte d'uniformisation. Tout le monde se sentait concerné, TOUT LE MONDE voulait soutenir Charlie Hebdo. Tout ça m'a semblé être de la malhonnêteté. Qui était là pour le soutenir quand, justement, Charlie ne faisait pas parler de lui ? « Pour la liberté d'expression ! ». Des gens sont morts, c'est triste. Mais ça m'a fait le même effet qu'un génocide en Syrie : ça m'a indifféré.

Clara Morin
Je révisais mon partiel de droit de la culture que j'avais l'après-midi même, porte de ma chambre ouverte, lorsque j'entendis le son de la télévision en haut de chez moi qui parlait de Charlie Hebdo. Le nom m'a interpellée, sachant que négligemment, dans la panière à journaux devant moi, traînaient de nombreux numéros, pas tous lus en entier, souvent mis là en attente d'être finis, et jamais repris. Charlie Hebdo était un journal que j'avais eu plus ou moins l'obligation de lire pour mes cours, devant lequel j'ai ri souvent oui, été aussi en désaccord. Mais un journal que je soutenais, au même titre que le Canard enchaîné, Le Monde, ou Libération, un journal que je prenais à présent plaisir à consulter, moins souvent, mais de façon plus légère. J'ai donc premièrement entendu le nom, sans y prêter attention, ce n'est que lorsque j'ai ensuite entendu le mot « attentat » que j'ai réagi. J'ai abandonné mes fiches de révisions pour monter à l'étage voir la télévision et retrouver ma mère, médusée devant l'écran. Dans un premier temps, j'ai dû lui demander de m'expliquer les images que l'on voyait, certaine de ne pas croire à ce que je lisais et entendais. J'avais la certitude d'être française et que ce genre d’événements puissamment violents ne se déroulaient qu'aux États-Unis, très loin de chez moi, où dans des pays en guerre, très loin de chez moi aussi.
Je ne saurais décrire pourquoi ce fut un si grand choc émotionnel pour moi. C'est une certitude que j'ai eu toute ma vie : être à l’abri. Pour moi, la liberté de la presse, la liberté d'expression coulent dans mes veines depuis la naissance. Pourtant, étudiante dans le domaine culturel, je connais le combat de mes ancêtres, je sais à quel prix est arrivée la fin de la censure : je sais, quels efforts ont été faits pour que j'ai cette liberté. Mais justement : jamais je n'aurais pensé que l'on puisse y porter atteinte, car à mon sens c'était un acquis. Un intouchable.
J'entendis d'abord les noms de Cabu, Tignous, Wolinski et Charb, autant de noms que je connais très bien, ayant fait une spécialité Bande Dessinée dans mon DUT métiers du livre. Lorsque je réalisais qu'ils étaient morts, ces artistes dont les dessins avaient rendu jaloux mon crayon, mais fait la fierté de certaines de mes bibliographies, j'ai ressenti un trou au cœur. Comme s'ils avaient été de vieux potes, pas vu depuis 20ans, et que j'apprenais soudainement qu'ils étaient décédés d'un cancer. J'étais touchée que de si grands artistes (à mon sens) soient ainsi disparus. Quel gâchis ! Puis je compris qu'ils n'étaient pas les seuls, que des policiers avaient donné leurs vies, pour que notre pays soit protégé contre ces grand fous qui avaient osé s'attaquer à nous ; enfin, que les membres de la rédaction avaient été vilement assassinés, ces gens qui faisaient vivre un journal que tous les Français n'ont pas forcément lu un jour, mais dont le nom était connu de chacun.
 J'ai ensuite eu un sentiment d'abattement, pourtant foncièrement humaniste, j'ai perdu d'un coup ma foi en l'humanité : sommes-nous vraiment capables de tuer pour quelques dessins ? La mort est-elle si facile ? Les informations se sont succédé, j'appris qu'une Kalash coûtait moins cher qu'un chevalet haut de gamme. Je me suis demandé si la vie humaine pouvait avoir si peu d'importance aux yeux d'autrui. Je regardais twitter et tombais sur une grille de haine, qui, autant que les morts m'a porté un coup au cœur.
Puis je me suis sentie émue, en voyant la cohésion des français. Finalement, dans l'horreur nous savons nous unir, faire preuve d'empathie. Je ne me suis jamais sentie foncièrement française mais plutôt citoyenne de ce monde ;  j'eus soudain un élan d'amour pour mon pays. Pays dont j'ai pourtant si souvent critiqué la politique et la population. Aujourd'hui, comme hier, j'ai eu un élan d'amour pour tous mes semblables. Mais aussi pour l'Europe, en voyant que nos voisins, immédiatement, réagissaient et nous montraient leur soutien, malgré nos différents. J'ai retrouvé ma foi et mon amour en l'être humain, que deux terroristes avaient su mettre en péril ; plus jamais je ne veux la perdre, plus jamais je ne veux l'oublier.
Alors, je me suis sentie révoltée : j'avais envie de changer le monde, de châtier ces hommes qui n'avaient aucun respect pour la vie ; pour le droit des idéaux. J'ai eu envie de crier au monde : cultivez-vous, révoltez-vous, ne laissez plus jamais cela se passer, soulevons-nous !
En mon esprit, a germé l'idée : nous sommes tous un peu cette personnalité mythique qu'est devenue hier Charlie. Charlie Hebdo, nom d'un journal, mais aujourd'hui martyr au nom de la liberté d'expression. Mais le débat ne reste pas là pour moi. Les problèmes sont là : on manque à ce point de tolérance pour ne pas supporter d'idées différentes venant d'autrui ; on est assez violent pour tuer parce qu'une personne a osé formuler cette idée tout haut ; notre société est peuplée de gens assez ignorants pour confondre extrémistes islamistes et musulmans et en faire pâtir une communauté qui ne demande qu'à nous soutenir ; enfin, certains sont assez emplis de haine pour oser formuler, maintenant : « ils l'ont bien mérité ». Alors j'ai envie de me battre pour que tous ces problèmes trouvent solution, plus que jamais, j'ai pris la mesure de mon corps de métier, la médiation culturelle, plus que jamais j'ai envie de travailler et de transmettre des valeurs de tolérance au monde.
Voilà le message que je voudrais maintenant faire passer à chacun : la liberté d'expression, qu'elle soit orale, écrite, dessinée, est l'un de nos droit. Personne n'a le pouvoir de porter atteinte à ce droit. Plus jamais la censure, jamais la fin de cette liberté, jamais le silence ! Nous nous sommes battus, pour atteindre cette liberté, journalistes, éditeurs, écrivains, artistes et bien d'autres ! Battons-nous encore, contre ceux qui voudraient nous en priver, mais ne laissons jamais leur haine et leur mépris nous gagner.
Nous vivons dans un monde où la mort est bien trop simple, bien trop banale à nos yeux, apprenons à prendre la mesure de ce que nous sommes : chaque vie compte. Chaque individualité compte. Dans cette période de trouble, n'oublions pas que l'on ne mérite jamais de mourir. Qui que l'on soit, la mort n'est pas une fin. Pour un criminel, la mort est une échappatoire ; pour les autres c'est une douleur. Ne blâmons pas ceux qui risquent leur vie pour leurs idées : ce sont là à mon sens les plus admirables. Blâmons plutôt ceux que l'idée effleure de tuer autrui pour avoir eu des idées différentes. N'oublions pas de rire, aussi, car c'est cela que Charlie Hebdo fait : rire.
Non, ce n'est pas Charlie que nous devons pleurer : Charlie Hedbo n'est pas mort, ce journal renaîtra de ces cendres car nous sommes tous derrière lui, car symboliquement, avec lui, c'est la liberté d'expression qui se redressera du coup que l'on a essayé de lui porter. Sans oublier le deuil, n'en restons pas qu'à pleurer : agissons. Que cet attentat soit un coup de réveil pour notre société, une source de réflexion, de maturation, et d'inspiration pour évoluer vers le mieux. Une prise de conscience doit à présent nous gagner pour empêcher que des choses comme celles-là arrivent, mais aussi d'autres tragédies.
N'oubliez jamais : la haine mène à la haine, c'est l'encre de vos plumes qui doit couler, pas celle du sang.

Louise Bernard
1)    J'étais à la fac, dans le hall des amphis pour réviser mes partiels, assise par terre la tête dans des fiches. Ailleurs.
2) Une amie m'a juste dit "Tu es au courant pour la fusillade ?", Non je n'étais pas au courant. Une fusillade, à Charlie Hebdo. Puis tout le monde en a parlé. Chacun avec un bout d'information. Tous en train d'essayer de reconstruire le puzzle.
3) Je n'ai pas compris. Je n'ai pas été choqué. Comme si c'était une habitude. Comme si ça ne me concernait pas. Des morts dans un journal ? Ça semblait déjà fait, presque banal. Et puis je n'ai pas voulu en savoir plus. Je ne voulais pas y penser. J'avais autre chose à faire.
Le soir j'ai juste vérifié les informations qu'on m'avait rapportées en deux clics sur internet. Je suis partie rapidement, je ne voulais pas voir l'internet se déchaîner, comme toujours, sur ces cadavres. J'avais un peu peur de ce que j'y lirai, des réactions, des interprétations, des manipulations ... Mon copain m'en a parlé en coup de vent. Je n'ai pas développé. Je suis partie ailleurs. J'ai révisé, j'ai révisé, j'ai rempli ma tête de tas d'autres choses et j'ai oublié.
C'est seulement le lendemain matin, après avoir versé mon cerveau sur ma feuille de partiel que j'ai réalisé. J'ai compris ce qui c'était passé. J'ai compris l'horreur. Comment j’avais pu laisser ça m’effleurer sans me toucher ? Après la minute de silence à midi j'étais enfin là. J'étais mal. Puis tout ce que j’avais évité de voir la veille m'est arrivé dans la gueule en en parlant : l'horreur, la connerie, l'utilisation par tous les connards de la terre ... Et des questions, des tonnes de question sur nous la France, sur nous l'humain, sur le pourquoi, sur les gens et leurs réactions.
Enfin ce soir pour la première fois de ma vie les réseaux sociaux m'ont rassurée d'une chose : je suis à ma place et je suis bien entourée. Je n'y ai vu que des messages d'amour, de douleur, de tolérance et d'incompréhension. Je ne suis pas seule à être mal ce soir. Et je ne suis pas seule à ne pas comprendre.

Loreena Paulet

Hier, je révisais sagement mes partiels, pas d'ordinateur, pas de portable, juste quelques sirènes qui retentissaient du dehors. C'est lorsque ma colocataire est rentrée, vers midi, que j'ai appris ce qui s'était passé. Pour être honnête, je n'ai pas vraiment réagi au début, j'avais l'esprit dans mes révisions et je n'y ai pas accordé tout de suite de l'importance. Puis au fil de la journée, j'y ai réfléchi, beaucoup. La mobilisation sur Facebook m'a donné du baume au cœur, sachant qu'aucun de mes amis, réellement pas un seul, n'a eu de propos déplacés envers l'islam. J'ai trouvé ça très beau, toute cette cohésion, cette prise de conscience, cette peur unanime. J'ai regardé le Grand Journal qui accueillait l'imam de Paris, l'avocat de Charlie Hebdo. Les larmes me sont souvent montées aux yeux mais je ne voulais pas réagir sur le vif, je voulais parler, exprimer mon incompréhension face à cette appréhension de la vie qui me semble tellement erronée et lointaine. On a beaucoup discuté avec ma colocataire, on s'est assises et on a regardé un reportage de Vice sur l'État Islamique, qui fut très révélateur pour moi. Et j'ai pensé à ce que disait Luther King: La violence ne résout aucun problème. Face à cette montée en puissance de l'obscurantisme, la seule solution me semble être l'union, malgré les clivages qui forment notre société cette réaction unanime me donne beaucoup d'espoir, même si des vies devront être enlevées, brisées, si c'est au nom de la liberté et non au nom d'un Dieu qui prône la violence, je ferai partie des gens qui défendront ces valeurs.

Haude Etienne
Je suis doctorante à Paris 3. Ce mercredi, j'étais de surveillance de partiels. J'ai eu le plaisir d'encadrer des étudiants de L2 anglais à Paris 3 ce semestre pour leur raconter les échanges entre les colons anglais et les amérindiens du 17ème siècle. On a passé le semestre à parler de colonialisme culturel, d'acculturation, d'expansion économique, d'esclavage et de vivre ensemble. J'ai donc dit au revoir à mes étudiants que je n'aurai plus au second semestre, avec la certitude leur avoir un peu ouvert l'esprit car nos échanges s'étaient vraiment bien déroulés. J'allais pour prendre mon RER qui me ramènerait vers ma grande banlieue, et j'ai croisé une jeune fille en larmes. Puis une dame plus âgée, en manteau de fourrure, lui a sourit tristement en lui posant la main sur l'épaule avant de descendre à son arrêt. Je n'ai pas compris, et j'ai été touchée par cette solidarité entre deux parisiennes qui d'habitude ne se parlent pas, et se touchent encore moins. Puis, pour tuer l'ennui de mon heure et demie de transports, j'ai sorti mon téléphone pour aller perdre du temps sur les réseaux sociaux. Je suis interpellée par une publication de ma mère qui partage un encart en noir et blanc "je suis Charlie". J'avais cru entendre en montant dans le RER qu'il s'était passé quelque chose à Charlie Hebdo et puis je m'étais dit que ça ne pouvait pas être grave. Puis je fais glisser l'écran de mon téléphone et je lis "pour Cabu, Charb et les autres. 10 morts" Et là je lève la tête, et regarde les autres passagers. Tout le monde sur son téléphone. Tout le monde le regard un peu vide, plus que d'habitude. Cabu. Pas Cabu, si? Le même Cabu que j'avais étudié au lycée? Le vieux rigolo avec les cheveux? Pourquoi on aurait voulu tuer Cabu? Pour excès de blagues? et Charb, c'est pas celui qui fait les bonhommes jaunes? Merde! Les auteurs de Fluide Glacial! Tués? Vraiment? Pour la première fois, ce jour là j'ai failli raté mon arrêt. Pour la première fois aussi, j'ai pleuré à cause de l'actualité. Je me suis sentie touchée bien plus que de raison, comme si le monde devenait tout d'un coup bien plus menaçant, bien plus lourd, bien plus gratuit. Et je ne te l'ai pas dit, mais en tant que doctorante, je travaille sur la propagande de guerre, sur le terrorisme, sur la militarisation de nos divertissements. Merde. Charb et Cabu. Dont le métier c'était de nous permettre de rire en étant un tout petit peu moins des moutons que d'habitude. Morts à cause de leurs opinions, exprimées à travers des blagues. Comme Clément Méric, un ami de ma famille. En France, en 2015, on meurt encore parce qu'on a donné son avis à la mauvaise personne. Les copies de mes étudiants sur les échanges entre John Smith (colon anglais) et Powhatan (chef indien), qui parlent d'amour et de tolérance m'attendent. Ca fait deux jours que j'essaye de retrouver la foi et que je me dis que peut-être un jour, on y arrivera.

Joanna Delaplanque
1) J'étais à la fac, dans un cours sur Balzac, quand j'ai appris la nouvelle
2) Je l'ai appris par ma meilleure amie, par texto : "il s'est passé quelque chose de grave dans le 11ème"
3) J'ai pensé "putain"

Roxane Merlin
J'étais en train de faire mon shopping quand ça s'est passé ! J'avais réservé mon aprem, hyper contente de m'acheter des nouvelles fringues. Quand je suis rentrée chez moi en fin d'aprem j'avais qu'une hâte c'était de montrer mes achats a ma môman. C'est la qu'elle m'annonce la grande nouvelle. Je ne réalise pas trop donc je décide d'allumer ma télé. J'me rappelle plus trop ce que j'ai pensé, peut-être un truc du genre : putain mais c'est pas possible, comment c'est possible que des enculés de merde comme ça existe !! J'ai mis un long temps avant de comprendre quand même. Et je suis tombée en larmes...

Maud Pérez-Simon

J’ai appris la nouvelle devant la Comédie Française, où j’avais rendez-vous avec Eric Ruf pour une lecture. J’étais avec mon fils de 4 ans. Impossible de rentrer dans la Comédie française. Surprise, j’essayais chaque porte, sans comprendre cette clôture soudaine. Un garde est venu nous chercher. Un ancien de la légion. Encore sous le choc. Dans l’ascenseur, il nous a expliqué ce qui s’était passé, les morts, et surtout les armes, dont le calibre l’avait sidéré. Alors il a surtout détaillé les kalachnikov. Mon fils : « Alors ça tue plus que les arcs ? ». C’est sur cette remarque déconcertante que nous sommes sortis de l’ascenseur pour nous plonger dans un univers de velours rouge et de travail.
Une remarque pour finir : j’habite à Belleville, lieu cosmopolite. Une chose qui m’a frappée dans le quartier après l’attentat est que les gens essayaient d’être extra-gentils dans le cadre de tout échange intercommunautaire. La boulangère maghrébine était particulièrement souriante, les clients exagérément reconnaissants… Ce n’est pas rare qu’il y ait des soldats autour des synagogues, mais maintenant, tout le monde leur dit bonjour en passant. Un immense effort secret et partagé par tous pour dire nous on veut vivre en paix.

mise à jour le 29 avril 2015


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