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Primeurs

Atelier de poésie - 2015


LE LITCHI
Mélissa Bertrand     

Frimousse ronde au rose coquet qui s’hérisse parmi les autres fruits, le litchi roule sur sa carapace bosselée et rugueuse. Attirant par son teint osé, comme rougi par une proposition honteuse, il est découvert, petit et caché, au milieu des mangues tapageuses et des bananes ensoleillées. Séparé de ses confrères, seul dans sa cagette de marché, ce petit hérisson résiste au toucher et se recroqueville sur ses pensées molles et rêveuses.

Mais lorsque la coquille se brise enfin, dans l’éclatement des petits cris aigus, le litchi se dévoile dans une blancheur grise et décevante. Sa pâleur terne contraste avec l’aspect nacré de l’intérieur de sa carapace soudain exposé au regard. Corps légèrement informe, la texture du litchi rappelle celle du mollusque mais avec une senteur plus sucrée que salée. La chair tendre se déchire sous les dents en appétit et le jus collant satisfait les papilles pour compenser enfin la fadeur de sa couleur. Mais rapidement, trop rapidement, la langue se heurte à la douceur moite du noyau d’ébène, lisse et sombre, perle ovale qui rehausse la palette de couleur, de matière et de forme du litchi.


LA GRAPPE DE RAISIN
Salomé Soares

À la fois une et plusieurs, la grappe de raisin est formée d’un lot de billes, violettes ou blanches, d’une taille variable, et d’une tige la reliant à la vigne. Ces grains qui la composent, d’une rondeur presque parfaite, contiennent un liquide se buvant frais, ou fermenté.

L’explosion des baies dans la bouche procure une sensation pareille à des mains pressant du papier bulle. Et les pieds, foulant ce fruit pour en récolter le jus, éclatent les grains de la grappe comme les alvéoles d’air qui crèvent sous la pression.

Le suc extrait de la grappe, conservé et fermenté quelques temps, évolue en un tout autre liquide. Le jus se transforme et devient enivrant.


L’AUBERGINE
Flavien Bellec

Aubergine patronne.

Aubergine maîtresse des courges et des navets.

Règne forte et voluptueuse sur les fleurs de la terre.

Robuste.

Violette.

En cône.

Sa forme aléatoire effraie les petits fruits.

Aubergine confortable.

Aubergine confiture.

Peuplée d’eau, de noyades gratinées.

Rugueuse en peau.

Molle à gogo dans sa purée de coeur.

Belle aubergine.

On la rencontre près du feu de cheminée, à l’orientale, dans la Chaleur du Rare.

Dans tes poches, ta potion.

Dans ton ventre, tes gauloises et tes chopes.

Dans ton coeur, ton petit monde confit.

Protégée de ta peau lisse et costumée.

Aubergine, imposante noix de pécan.


LA POMME
Camille Naze

Fruit du péché et de tous les désirs

De l'arbre elle tombe et définit sa gravité.

Elle roule péniblement, attend d'être mangée.

C'est sous mes mains que sa peau lisse

révèle l'attrait de ses délices.

Semblable au rare soleil d'hiver,

elle brille , éclatant plaisir vert.

Une caresse sur ta peau douce,

tendresse qui cache un cœur plus dur.

Et j’entends déjà résonner

le fracas sonore de son corps croqué.

Sa peau comme une barrière fragile,

cédant aux coups de dent habiles.

Pareille à celle de Guillaume Tell,

elle éclate sous mes assauts.

Elle résiste, fruit entêté,

elle craque et croque , dévoilant sa fermeté.

Une fois laissée aborder, sur son corps glisse les premières gouttes,

d'un jus tout juste acidulé, mettant les papilles en déroute.

Sa chair sucrée retentit sous les assauts de mâchoire.

Je sens les compotes d'antan, les tatins des grandes occasions.

J’entends gémir en la croquant Blanche Neige qui succombe au poison.

En son cœur souvent délaissé, trognon indigne d'être ingéré.

Vit la naissance même de ce monde, le pépin brunâtre esseulé.

Il règne seul sur la carcasse du fruit déjà dévoré.

Il attend que le temps passe avant de renaître premier.


L’ABRICOT
Camille L'Hostis

Une mince frontière sépare deux pays, réunis en un seul globe. Encore que l’abricot n’est pas rond, il est plutôt allongé comme un visage de femme. Sa face tendue vers le soleil, le fruit semble vouloir prendre son envol mais retombe toujours, entraîné par son propre poids. C’est que la femme a les hanches, les lèvres lourdes, attirantes à dessein. Alors la femme se fait amoureuse, soignant son teint lumineux pour plaire au monde entier. L’oiseau vient lui faire sa cour, la picorant de milliers de baisers, et l’insecte rampe sur sa peau si douce.

Enfin la main saisit le fruit, l’arrache de sa branche, de son abri, pour le caresser longuement de la paume. L’abricot roule entre les doigts, peau contre peau. Dressée au sommet du monticule, la petite queue fait écho aux mouches des fières élégantes d’autrefois. Les doigts se font pressants, la main retient puis écrase l’objet de son désir. La chair se déchire sans résistance sous les ongles aiguisés, les frontières s’éloignent sans retour possible, ça y est, l’amoureuse est ouverte toute entière pour son amant trop brutal.

Un jus odorant perle goutte à goutte, divin nectar que la langue recueille prestement, voulant happer avec le goût la fragrance rare de ce miel rougi par le soleil. Cette saveur annonce celle de la chair, à laquelle le teint pourtant éclatant de la peau ne rendait pas hommage. Le parfum de l’abricot est entêtant, enivrant. C’est que l’amoureuse est toujours soigneusement apprêtée, même pour son agresseur. Les lèvres se collent au fruit, aspirent cette pulpe gorgée de jus qui fond dans la bouche tant elle est sucrée. L’amant engloutirait bien l’abricot tout entier en une fois, avant de se lécher consciencieusement les doigts poisseux pour ne perdre la moindre trace du nectar de l’amoureuse, si le noyau ne tenait pas lieu de seul obstacle.

Sur le noyau, l’impatient pourrait bien se briser les dents. L’amoureuse si sensuelle, si douce jusque là, fait voir une dureté insoupçonnée à l’intérieur d’elle-même. Peut-être, si les doigts parvenaient à forcer aussi cette carapace, se découvrirait un nectar mille fois plus divin que celui de la chair. Une huile si douce, si sensuelle que l’amant perdrait la raison en y plongeant les doigts, s’enivrerait de son parfum et s’empoisonnerait de sa saveur. Mais l’amoureuse le protège d’une muraille inviolable, et l'El Dorado demeure inaccessible.


LA PASTEQUE
Kristina Kinn

La pastèque, ballon de rugby oblong, d'apparence robuste est comme une planète inconnue désirant être découverte.

Ses zébrures vert olive et vert sapin captivent et apaisent le regard.

Aussi lourde et fragile qu'un nouveau-né, elle peut se briser à tout instant.

Coupée en quartiers, elle révèle enfin son rouge envoûtant et sanguinaire oscillant entre passion et honneur.

Cousine du melon, croquante sous la dent, sous une cascade de saveurs enivrantes,elle exhale un parfum doux et frais qui flatte notre odorat.

Prenez garde néanmoins aux pépins enfouis au plus profond de sa chair juteuse.

Innocents d'apparence, ils protègent farouchement leur reine à laquelle ils sont passionnément attachés.

La pastèque engloutie, on voit alors apparaître une myriade de quartiers lunaires. Transformés en compost, enterrés sous les fleurs blanches et jaunes des futures citrulus lanatus, nom latin de la pastèque, ils permettent d'accélérer le long processus de germination.


LA BETTERAVE
Eva de Hargues

Elle cligne de l'œil sans le fermer. Suinte le nectar rose foncé. Betterave dépravée : racine au grand cœur. Epave édulcorée en entrée, elle offre le charme de ses fermetés.

Fibreux enserrés sous terre, fibres solaires ombragés.

Aussitôt, le t-shirt blanc se tache.

Aussi, la betterave persuade comme un organe.


LA POMME
Marie Romsee

Comme dans la Bible, la pomme est discorde. Manger la pomme, est-ce alors pécher ou croquer à cet instant de saveur ? Pris la main dans le sac, il convient alors de se demander laquelle sera l’heureuse élue. La pomme d’un verger est si banale, la pomme d’un marché si ridicule. Tandis que cette pomme que tu croques, est tout l’aspect juteux de l’orange qui t’éclabousse les mains, tout l’aspect sucré de la prune un peu mûre.

Faut-il prendre parti pour une pomme rouge, verte ou jaune ? La pomme est un dégradé de couleurs en pointillés inégalables. Cette peau est si joliment maquillée, qu’on n’ose parfois même pas la manger. Un taille-crayon bien affuté permet alors de séparer la chair de l’esprit. On fait des ronds avec les épluchures, des tourbillons. La pomme est invitation à danser. Ces serpentins courent dans nos assiettes comme des serpents dont le venin est tentation et poison.

Attention avant de la manger, n’oublie pas de t’assurer que ce n’est pas la pomme de la sorcière. Laisse son goût discret et parfumé te charmer. Il ne faudrait alors pas se limiter à la neutralité de son goût mais déguster la fraîcheur de ses entrailles. Il te suffit alors de croquer un morceau pour devenir aussi puissant qu’un Mac.

Mais il n’y a rien de plus subjuguant que la compote de pommes. A la casserole bien chaudes, poêlées à la cannelle, ou en pot bien frais, elle t’apporte toute la douceur souhaitée. Son teint vert et sa texture feutrée de tendresse et de sensualité donnent une note de gaieté à la journée qui commence, quand tu étales ta compote sur ton pain le matin.

Cette rondeur de la pomme, tu ne la retrouves nulle part ailleurs car tout objet rond qui t’entoure comporte des facettes. La pomme rappelle notre existence terrestre. Le voyage au centre de la terre devient alors un voyage au centre de la pomme. Cette cavité fait apparaître quelques pépins dont la noirceur agresse le teint un peu malade de la pomme. Ce pépin a la forme de la larme, la larme qu’a versé le premier homme quand il a mangé la pomme.


LA FIGUE
Bérénice Gruenais

Telle une larme d’été tombée au creux de notre main, la figue nous présente ses formes rubicondes. Sa peau violette est lisse, douce et fine, ce qui rend son corps mou peu aisé à écorcher.

Celui qui a nommé la figue ne s’est pas trompé, car il ne fait aucun doute que celle-ci est féminine. Comment expliquer, sinon, que lorsqu’on l’entaille elle saigne d’une humeur blanchâtre, un lait maternel aux saveurs sucrées ? De plus, par ses formes voluptueuses, il est certain qu’elle ne peut être masculine.

La figue est femme, mais femme mondaine. Elle se pare de pudeur et de retenue mais s’acoquine avec les mets les plus prisés. Il n’y a qu’à celui qui sait l’apprécier qu’elle dévoile les trésors qu’elle contient. C’est une géode molle, tendre et éphémère, une coquette mystérieuse aux fragrances suaves et mielleuses. En son sein se cache un tapis de rubis, aussi agréable à l’œil qu’au palais.

La figue est femme, mais femme mère. Si son ventre est rebondi, ce n’est pas par péché de gourmandise, car s’il est vrai qu’elle en est souvent la cause elle ne mange jamais plus que nécessaire. Quand on inspecte son intérieur ensanglanté, on découvre ce que cachent tous ces ornements : de minuscules graines pâles comme un rayon de lune, qui s’en iront un jour former un nouvel arbre et une nouvelle figue.


AVOIR LA BANANE
Ladji Samba Keita

Des régions humides africaines aux vastes plantations ultramarines, la banane pend sur les hauts feuillages des bananeraies. On a la banane ou on ne l'a pas. Avoir la banane ? On aurait donc la banane comme on a la patate. Non ! La banane mérite mieux. Aucune ressemblance de sa forme oblique avec les plis des commissures des lèvres ne doit justifier cette méprise. De la banane on se souvient enfant quand nos yeux émerveillés découvraient cette chair blanche et fondante. On enlève sa peau comme on entre dans une humanité. Une humanité aux saveurs tropicales, où l'explosion gustative sur notre palais sonne comme un appel impétueux à prendre le large. Ah ! à moins qu'"avoir la banane" ne soit la métaphore des délices du voyage. Etrange banane !

On aime cet aspect incurvé comme l'horizon qui s'éloigne, on aime cette chair tendre et ferme à la fois, mais quel dédain, quel destin tragique pour cette peau dont le jaune luisait dans nos yeux il y'a si peu. Quand elle ne finit pas dans la bouille indigeste des sacs poubelles, elle traîne sur le bitume telle une âme en déshérence. Une déchéance qui ne donne pas la banane.

Qu'elle est bizarre la banane ! En le tenant nerveusement entre nos doigts frémissant de bonheur, elle se mue en une espèce de micro dont chaque coup d'incisives dompte un peu plus l'écho. Etrange destin ! On avait ainsi la banane à elvis presley, icône de cette génération rock'n roll qui claironnait avec la banane, faites l'amour pas la guerre. On aime la triturer, la torturer, jouer avec, la faire parler, pas toujours en des termes galants, elle nous questionne, cet aspect voûté, cet instant où le contact de sa chair avec notre palais sonne le réveil de tous nos sens. Elle nous porte, nous insupporte quand dépossédée de sa chair, sa peau gît sur nos routes et nos champs, quand sa volupté originelle cède place à une matière pâteuse et glissante comme si le monde perdait son équilibre en perdant la chair de la banane.




mise à jour le 30 juin 2017


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