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Poèmes-sandwichs

Atelier de poésie - 2015


LE SANDWICH
Sarah Intili

C'est un fragment d'intestin avec de profondes entailles fossilisées, sortes de croûtes brunies – vestiges d'une blessure d'air. Ses deux bouts arrondis, deux moignons polis, arrêtent brutalement sa croissance vertigineuse, comprimant une masse qui fermente.

Le sandwich a une signification pleine; nul autre élément ne peut être admis dans ce bourrage débordant qui fend en deux étuis cette masse énergique. Son trop-plein semble gonfler, respirer à mesure que les doigts pressent la croûte. On y mord, on ne tient plus, la truculence produite par cet empilement généreux tente le geste animal. Et les strates se dévoilent, toute une surface géologique qui révèle les divers degrés de fraîcheur qui se sont amoncelés progressivement. Les strates-strophes tantôt retiennent les prime-vers dans une limite frustrante, tantôt sont excédées par leur dilatation.

Et c'est avec la satisfaction d'une empreinte de dents ferme que l'on chemine sur ce parcours horizontal, ce parcours vertical, enfin tout l'espace tra-versé. Et les éléments se dispersent, et l'harmonie se dé-verse: un agrégat informe.


LE SANDWICH
Mélissa Bertrand

Met peu reconnu dans l’art culinaire, le sandwich, loin des soupes de grands-mères, des raclettes hivernales et des caviars luxueusement tartinés, se révèle être un franc compagnon. Sa taille et son contenu s’ajustent à l’envie. Entre salade, tomate, jambon ou thon, il dégage une vraie personnalité et se tient prêt à nous accompagner dans un voyage d’une journée. Du simple et humble jambon-beurre à l’assemblage compliqué du pastrami, le sandwich appartient à une communauté diverse et variée.
Enfin, mes mains s’approchent du sandwich, avec la tendresse de l’affamé et la fermeté de l’obstiné. Entre ses deux tranches de pain croustillant, le poulet cuit à merveille glisse sur la douceur vert clair de l’avocat timide. Quelques feuilles croquantes d’une coquine laitue taquinent les tranches rouges vif d’une tomate mûre. J’empoigne mon sandwich et l’approche de ma bouche avide de saveurs lorsque, soudain, la tomate s’échappe d’un côté, l’avocat se dandine de l’autre, le poulet glisse sur la moutarde ! Ô mon sandwich, je ne t’aimerai pas tant si tu étais facile à manger !


LE SANDWICH
Johana Mechaly

Le sandwich de nos jours, est un repas très personnel.
Il se mange avec amour, car il contient tout ce qu'on aime.
On le façonne soigneusement.
Un à un, on choisit les ingrédients, dont celui sera fournit,
dans le seul but de nous être exquis.
Du pain à la sauce, le sandwich est notre.
Tout ce qui le compose, nous révèle aux autres.
Nos goûts et nos couleurs se reflètent, 
Dans le pain tel un interprète.
Entre la croustillante baguette, le pain de mie avec ou sans croute, le pain beagle, le pain complet - le choix nous coûte.
Car le pain est à la base de tout sandwich, il est comme sa colonne vertébrale. Il doit pouvoir contenir tout ce qu'on y étale.
A l'intérieur les aliments s'entassent, ne se distinguent plus,
Et finissent par former une épaisse farce.
Le sandwich achevé, semble prêt à exploser.
Dégoulinant sur les côtés, il se déguste en plusieurs bouchées.
Nos papilles en attente, la première bouchée est intense.
Le plaisir du goût s'impose sur les autres sens.
Texture et saveur, sont différentes à chaque mélange.
Renouveau continu pour le palet, il intrigue dès qu'il change.
C'est la surprise que l'on y recherche, la surprise du goût.


Le sandwich
Marie Romsee

L’accordéon sandwichéen est merveilleux d’abord à cause de cette gamme d’aliments qui se déploie dès qu’on ouvre l’instrument : s’affaissant et pliant sous notre mâchoire à chaque bouchée il fait un son, puis par un jeu de mains sur ces petites notes de croûte, retrouve sa forme initiale par une décompression. Ainsi donc le sandwich est cette idée de monde, privilège que se donnent les gens pressés, solitaires, au détour d’un quai. Le sandwich n’a en effet jamais tant voyagé. Il a tout vu, tout connu. Il a observé toutes les gares du monde, pénétré toutes les universités. Il a assisté à des cours de philo ou a expérimenté le fond des caniveaux. Tous ces plans lui confèrent alors un degré de connaissance quasi encyclopédique. Il suffit de tourner le jambon, tu découvres une feuille de salade, puis une tranche de gruyère et tu parviens enfin à cette mie tendre et mordante du pain. Tu ne te poses pas la question de savoir quel étage de l’immeuble tu dévoreras en premier. Dans un défoulement gratuit, tu déchires violemment ce sandwich. Ce travail de maçon façonné de couches plus ou moins étanches, est anéanti en bouillie dont les derniers éclats craquent sous ton palais. Rythme saccadé ou decrescendo, dans un tumulte de mâchoires ou en toute discrétion, lorsque tu dévores ton bon sandwich tu fais ta partition.


LE SANDWICH
Eva de Hargues

C'est un américain.
La baguette d'or dorée roule des mécaniques et fait la promesse.
Tandis que le méli-mélo de ses entrailles est de plus en plus incertain !
Impulsion bénie basée sur une photo passée.
Le sandwich se la pète dans les têtes.
On lui dit "oui".
Mais  il oublie que la mayonnaise pressée ne panse les blessures de l'enfance.


Le sandwich
Floriane Larut

Chaque semaine c’est la même chose
D’abord le choix du pain italien, alsacien… Nature.
Ensuite la taille, pas trop grand pas trop petit, et puis merci.
Jambon, dinde, pliage de jambon, pliage de dinde
Fromage et four !

Viennent le temps des ingrédients
Que faire ? choisir mais vite ! Salade-Maïs-sauce-huile-d’olive.
Oui mais pas…Trop.
Vite dans le métro et déjà en retard !

Là tu mange. Enfin tu essayes parce qu’il faut encore démêler le sandwich
de l’emballage et c’est long, long et tortueux mais encore tiède… Ah !
Ca y est tu peux manger, enfin oui mais non pas debout. Tu cherches une place, tu trouves. Ah ! Tu manges. Et non le monsieur d’à côté te dis Bon Appétit !
Et là, enfin tu peux mordre dedans.


Sauf que le maïs profite de l’huile pour sauter sur la joue du voisin qui n’a pas vraiment envie de déjeuner parce qu’il est quinze heure. Merci ! Et la salade qui se faufile entre tes doigts pour que tu puisses la manger plus vite alors que ce n’est pas le cas.
Finalement, tu as encore faim, et tu es en retard


LE SANDWICH
Flavien Bellec

Petit encas, à croquer.
Anglo-saxon croquant. On le retrouve bien rangé, dans les vitrines des boulangers.
Superpositions exposées, et tous se tiennent à la baguette!
Le sandwich est comme un livre avec ses deux couvertures rigides en extérieur et ses pages qui s’entassent en intérieur, et on le bouffe comme on dévore un livre.
Pain de mie, pain de sève, destination craquante.
Tomates, salade, mayonnaise, pris dans le sac.
Tels des martyrs qui s’offrent à la goule de l’humain.
Rapide, efficace, burger, pain bagnat, il se développe dans toutes ses faces à la limite de l’oeuvre d’art.
Dans le coin de la cuisine, on se prépare pour pique-niquer.
Dans le gouffre du métro, on l’avale en moins de deux.
Enveloppé comme un trésor par de l’alu ou du plastique, on le conserve près des canettes, comme le cadeau près du sapin. 
En faim, pour le mien on y mettra une page blanche sur le haut et une noire sur le bas, à l’intérieur deux paragraphes, quelques mots et dans son coeur de l’encre chaude, qui, si la cuisson des lignes est bonne, dégoulinera dans l’estomac.


Club
Arthur Foucaud

Triangles, triangles, encore des triangles. Des triangles de seigle, adroitement disposés. Des étages de condiments, salade, tomate, céleri, savamment empilés. Des lignes multicolores, jaunes, rouges, vertes, des horizons. Parfois une lamelle de dinde égarée, d'un rose vif vient s'ajouter à la palette. Quand on le croque, l'ordre est rompu: les étages s'écroulent, ses habitants se sauvent, et sur les joues du badaud, coulent le sang des pauvres condamnés.


Pris en sandwich
Ladji Samba Keita

Compagnon de route de nos après-midis qui n'en sont plus, la pause-sandwich est de ces instants où la faim vient à justifier tous les moyens. Le sandwich donne à la poésie cette explosion de saveurs, d'odeurs, un "je ne sais quoi" de savoureux.

On a le poème-sandwich, procédé poétique consistant à étaler les ingrédients du sandwich entre le premier et le dernier vers comme si entre la première et la dernière bouchée, la poésie devenait la métaphore de la transcendance sensorielle qui nous saisit après un sandwich. Convoquant tous les sens, le sandwich est un monde en soi où à coups d'un savant mix, on arrive à entrevoir sur la mie du pain cette sauce et ces ingrédients dont la seule vue nous plonge dans un état de transe palpable.

Il décontenance d'abord. Ce pain aux abords bien fermes cache en son sein cette mie délicate, soyeuse, dont le contact avec la sauce laisse percer fugacement sur notre visage un instant d'une béatitude inouïe.

De toutes les saveurs, le classique mais non moins populaire jambon-beurre, le mélange subtil de pain moelleux avec cette mayonnaise bien fine avec laquelle se marient harmonieusement cette fraiche feuille de salade, cette tomate pulpeuse, littéralement prise en sandwich entre la salade et le poulet. Pourquoi chercher le bonheur quand il nous tend savoureusement le bras ?


Le sandwich
Bérénice Gruenais

Le sandwich est le coffre au trésor des gourmets. Caparaçonné dans une caisse de pain de mie si fragile qu’elle s’effrite au contact des doigts se cache un palais de délices. Un lit de beurre imperméabilise le tout, empêchant le jus des tomates d’imbiber le pain et de salir les doigts de l’affamé. Sur la couche des tranches rouges repose non pas une feuille de chou ou une feuille d’or mais une feuille de salade. Comme dans la chaîne alimentaire, le règne animal supplante le règne végétal : le jambon se croit roi. Cependant il est lui-même retenu par le couvercle moelleux du coffre.

Croquons à pleines dents ce monde de saveurs : même le beurre, qui graisse la patte du pain, n’en réchappera pas. Dévorer un sandwich est bien plus agréable que de se manger un pain. Le croquant de la verdure s’ajoute à la texture tendre de la mie et du jambon tandis que le sang juteux des tomates agonisantes dégouline le long de nos commissures. Que certaines d’entre elles tentent de s’échapper : on les rattrape bien assez vite, et on commence à grignoter l’autre extrémité du sandwich pour leur interdire de fuir une nouvelle fois. L’équilibre de ce monde miniature, de ce coffre si délicat, est alors rétabli et on n’a plus qu’à déguster ce qu’il en reste.


Le Sandwich
Salomé Soares

Pain. Dessus. Dessous. Fromage sur le dessous. Une. Deux. Deux ou trois. Deux ou trois tranches de tomates. Quelques lamelles. Des lamelles de saumon. Fondant. Laitue. Et aussi de la laitue. Croquante. Fait soigneusement. Ingurgité à la hâte.



mise à jour le 30 juin 2017


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