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Place aux rues

La poésie sur les lieux - 2016


Rue de Rivoli
Faiza Khemar
 

"Le vieux Paris n'est plus qu'une rue éternelle

Qui s'étire élégante et droite comme un I


En disant : Rivoli, Rivoli, Rivoli "

Victor Hugo

Depuis la Tour Saint­Jacques,

je t'observe
Toi reine italienne,


Tu t'étends nonchalamment

sur deux arrondissements

Et ton souffle noble et froid

s'évapore,
c'est ton passé qui s'endort


Napoléon avait gagné,


Ton nom à l'Autriche dérobé,


Un pont italien entre les Places.


"­20 % sur les besaces!"


Et puis te voilà aujourd'hui à la mode,


On te chausse, on te rhabille,


à toutes les marques on te relie


Et les enseignes qui défilent,


Sont comme un maquillage grossier.


Bâti en l'honneur d'une bataille


Tu ne jouis que des querelles de tailles


"C'est ­50% sur les mailles!"


Et tu vois arriver en rafales


Des soldats du luxe empalés,


Dans des cartons remplis d'articles,


On ne parle pas de ton histoire,


"­30% sur les peignoirs!"


Et dans Paris, cette ville d'histoire,


Soldé est le prix de la mémoire.


Rue de Verdun
Julia Saint Martin 

Chaussée encadrée de bâtiments, une tranchée, à l’ombre du soleil. Portes qui claques, l’odeur des croissants chauds, rires d’enfants. Il est huit heures, rue de Verdun, l'église sonnera le glas, d’une nuit  qui fût trop courte.

Une sonnerie, midi et demi, le lycée Simone de Beauvoir se vide les poches, sacs à dos trop pleins, des têtes trop vides. L'Église Saint-Martin sonne le coup symbolique, rappel du temps et du dieu qu’on oublie. Rue de Verdun, les époques s’entrechoquent.

Voitures en double file, klaxons, l’un ira chercher des cigarettes, l’autre une simple baguette. Embouteillages et brouhaha à dix-huit heure rue de Verdun.


 L'Avenue du Lac
(Villiers sur Marne, 94350)
Joanna Spagnoli 

Elle est longue la route aux cinq cents numéros.
Reculée du centre de la banlieue,
Elle cache au milieu
Un Lac.
 

Le quotidien, les chats, une balle frappe aux carreaux.
C'est un enfant qui joue au cent-vingt-deux.
Un vélo rentre dans
Le parc.
 

Regarder le lac,
Regarder les canards,
Le panneau "Baignade interdite" aussi.
Ô temps suspends ton vol ! Le bonheur est ici.


L'Allée du temps perdu
Marina Escartin

 C'est une petite allée, sinueuse et silencieuse

A la fois si proche et si loin

De la grande figure géométrique de la ville

Et de la cacophonie de ses multiples voies.

Chemin entouré d’arbres et pourtant baigné de lumière

Son ruisseau prend fin avec la rue de la Faïencerie

Quand, à Paris, la rue de l’Industrie, bordée de géants de ciment

Fait de l’ombre à la rue du Tage, au cœur du 13ème arrondissement.

Sentier sans but et qui n'aspire qu'à lui-même

Pour un moment fugitif, il attire les esprits solitaires

Qui, perdus dans leur folle course à l’utilitaire

Espèrent se retrouver, à la lisière de ce monde factice.

Comme a pu le dire Paul Morand,

« Que de temps perdu à gagner du temps ! »

Car ici tout travailleur redevient un instant humain

Afin de contempler d'un peu plus loin 

Ce qu'il a accompli, mais avant tout ce qu'il a manqué,

Finalement tout ce qui "ne se rattrape plus",

C'est l'allée du temps perdu.


Rue Maximilien Robespierre 
(Commune de Plaisir et parallèle à la Rue Saint Just)
Ilham Duduch 

Deux grands hommes et amis s’en étaient allés,
Mais le présent les unit : ils refont surface. 
Aujourd’hui séparés par une longue allée,
Robespierre et son ami Saint Just se font face...


Robespierre et Saint Just : deux très grands personnages.
Ces deux célèbres noms sont portés par deux rues,
 Dont les longs bâtiments beiges à sept étages,
Font face à l’immensité de certaines grues1.


Un petit vieil homme en arpente les trottoirs,
Et regardant une plaque il ne peut y croire.
Lui qui connaissait ces révolutionnaires,


Voit apparaître leurs deux noms sur cette plaque.
Eux, qui savouraient les délices du Cognac,
Goûtent aux malbouffes des quartiers populaires.
 

1 Des travaux ont actuellement lieu dans ces rues d’où l’emploi du mot grue.


La Rue des Antiquaires (Rouen)
L.j. 

L'étroite rue expressionniste,


peinte de rayures colorées,

faite de planches déplacés,

de contorsions géométriques


de bric à brac au rez de chaussée


semble avaler le ciel

 

L'or dans les vitrines n'a pas perdu de sa couleur

étincelante


à l'ombre des maisons qui chancellent.

Passée la voûte et les guitares à réparer

une ptite boutique, forme d'atelier


avec des choses, des trucs et des bouquins

revenus du temps ou du Levant.

 

Le vendeur cheveux de craie, chemise bien mise

et barbe grise observe la mécanique d'un vieux réveil


l'aiguille tordue, le verre rouillé
a-t-il cent ans?

Comme ces branches toutes écorcées

grimpant les murs aux quatre coins de la cour

carrée, pavée et ombragée


il sourit

 


Rue Louis Pasteur
Julia de Reyke

23h42

Le vent siffle et s’engouffre dans la rue

Bruit d’une voiture, puis deux, puis trois

Froid

Calme plat

23h43

Au numéro 17 les volets sont fermés

Quelqu’un dort dans la maison

23h46

Quatre réverbères oscillent en cadence

Et reflètent chacun

Un halo tremblotant

Sur les briques rouges, sur chaque façade,

Dans toute la rue

23h51

Clair obscur de la nuit

La pluie

Tombe

Sur le bitume un homme court

Et puis plus rien

23h51

Un homme court sur le bitume

Et puis plus rien

23h54

Rue Louis Pasteur

La dernière lumière de la dernière fenêtre s’éteint

Froid

Calme plat 

 


La rue de l’Insouciance 
Mathieu Coucaud 

Anciennement rue des Petits Champs,

Désormais dans le deuxième arrondissement,

Fait la jonction entre un souverain opportuniste

Et un auteur révolutionnaire.

 

Entre la cave à vins, le tatoueur et les articles péruviens,

C’est le marché d’à côté qui approvisionne les inconscients.

 

Entre matchs de foot, enceintes et quelques tours de mains

C’est le tableau d’une bande organisée au quotidien.

 

L’emprunter afin d’expier les pulsions libertaires.

Cette route de la connaissance,

Nous a tous menés à l’indépendance.

Presque rien à faire qu’elle se nomme rue Voltaire.


Rue Gobineau (Bordeaux)
Joanna Gourdin

Gobineau se caractérise par une taille étriquée,

Heurté par les différentes races humaines

Il prône 'alignement des façades

Alors que l'origine est décrite par un angle
 

Voilà la dure réalité :

Ceux qui ont un petit creux iront au marché

Mais cette Vénus qui s'exhibe, pourquoi

elle crâne ?


Industrie 
Mathieu Coucaud 

Quitter l’Italie.

Longer les rives indiennes,

Débouler rue de l’industrie.

 

Pavés trempés éclaircis

De reflets lunaires.

Un bruit retentissant emprunte ce raccourci.

 

Une vague désordonnée de jeunes gens

Battent les pavés.

La douzaine me frôle brusquement,

Un retardataire haletant tente lui aussi de détaler.

 

Fuir l’individualisme

Du post-industrialisme.

Loin d’être ouvrier,

Portrait d’une génération désabusée.

 


Rue de Charonne
Mathieu Coucaud
 

De Bastille à Bagnolet,

Du vendredi à minuit

Jusqu’au dimanche midi,

163 tu disparais.

 

Chercher le petit-déjeuner

Pour éviter l’esprit gris

Que vend le ciel de Paris.

Du lit j’ouïs les oiseaux chanter.

 

Malgré cette peur de l’amour

Je l’aimerais à chaque jour.

Et cela jusqu’à cette fin.

 

Quand il faut sécher les larmes,

L’imposture du désespoir

Finalement, un amour vain.

 


Rue du souvenir
Flora Yahmi

Dans la rue de mon enfance,
Où toujours nous passions nos vacances
Une lumière particulière nous assommait
Rose, jaune, orangée
Celle qui présageait des apéros prolongés
Que personne n'aurait voulu manquer


Dans la rue de mon enfance,
Où toujours nous passions nos vacances
Colère et prises de bec ne faisait que passage
La promesse d'une journée en mer nous ôtait toute rage
Insouciance et innocence se mêlaient à nos rires
Acides et amers  maintenant que nous ne savons plus nous en réjouir


Dans la rue de mon enfance,
Où toujours nous passions nos vacances
Seuls les fantômes du souvenir y font désormais errance.

 


Le Jardin des Plantes
Ninon Cantaloube 

Supernova des sciences naturelles.

Autour ses satellites gravitent,

Rue Buffon, rue Geoffroy Saint Hilaire, rue Mirbel, rue Cuvier ;

Et j’en passe.

En petit caractère sur la plaque on nous rappelle leur illustre état :

Zoologiste, botaniste, naturaliste, anatomiste…

On se presse pour voir la ménagerie.

 


Rue Descartes
Ninon Cantaloube 

Elle file droit comme un raisonnement de René,

Elle est traversée en un point par la rue Clovis.

À l’intersection,

Le Ministère de l’éducation nationale.

Sur la route du savoir on peut faire halte

Au Mayflower, à la Maison Verlaine.

 


La rue des Contes de Fées (Vitry-sur-Seine, 94)
Ines Khemira
 

À la rue des Contes de Fées
On croise Le Petit Poucet,
Perdu dans le ghetto
À trois minutes de l'hosto.

 


Place Saint-Michel
Laly Wehbe

Les chimères crachent leur poison liquide

Les voitures crachent leur poison gazeux.

1860. Sous Napoléon III Haussmann élève

Le contentement des touristes asiatiques.

Nous avons bien vu Paris.

Saint-Michel se dresse, ailes bombées, muscles bandés

Et pose face aux flashs


Sous le regard de Justice Force Tempérance et Prudence

Et d'eux

Qui attendent on ne sait qui


Qui attend peut-être de l'autre côté.

Feu vert.


L'archange victorieux.

 


L'avenue
Charles Mauduit

En 97, l'avenue Tjibaou fut rebaptisé par la maire Front National de Vitrolle « Avenue Stirbois » en hommage à l'élu d’extrême droite. De retour a une municipalité socialiste en 2002 elle est devenu l'Avenue des droits-de-l'homme.

Avenue Tjibaou, 
Sous le trottoirs le ciel,

Noir ébène

Dont la typicité profane un blanc souverain

D'un peu de sang Kanak, rien d'important je crois

Puisqu'un jour un crachat a effacé ton nom.

Avenue Stirbois
Sous les hommages le fiel.

Couleur cèdre

Que non sans ironie, tu t'es prit dans le train

Ton sang de fascisant, dans tes veines décroîts.

Puisqu'il coule en Vitrolle ou s'est gravé ton nom

Avenue Droits-de-l'homme

Sous le symbole, le miel.

Teinte chêne

Ce sucre somnifère, arrière goût de purin

Sang changeant de couleur, de lois et puis de croix

Puisqu'il en est ainsi ton lieu n'a plus de nom

 


Rue Marguerite Duras
Sakina B

"Se trouver dans un trou, au fond d'un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l'écriture vous sauvera". 

Entre la rue François Dolto et la rue Thomas-Mann elle se trouvait.

Elle se cherchait, elle cherchait à se trouver

à se retrouver

Elle a rencontré des passants,

Certains seuls, d'autres pas.

Un accès au Parc des Grands moulins?

ça ne l'intéresse pas.

Elle est seule, si la rue est vide parfois,

Elle se sent seule,

Au milieu de la foule aussi,

Elle est seule,

Alors dirigez-la à quelques pas

Place Robert Antelme. 


mise à jour le 30 juin 2017


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