Écrire avec les livres - 2017
Andrée Chedid, une mère
Je me perds en détours, je divague et digresse
Quand, toi, tu trouves le mot juste.
Chacune de mes figures de style me rend perplexe
Tandis que tu réussis même à faire parler la virgule !
J’essaie de suivre tes pas,
Avec maladresse.
Charles Baudelaire, un père
Alors que les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Un père donne ses conseils et guide sur le chemin à suivre.
Se méfier de l’ennui qui cherche à nous détruire
Trouver ce qui nous procure ivresse et plaisir
Partir à la recherche d’un idéal inaccessible
Jon Kalman Stefansson, un frère
Je te vois comme le garçon voyait Bardur. Un frère qui ressemble à un ami.
Tes mots frappent, et s’immiscent au plus profond de moi.
Une sombre histoire de vareuse. Le souffle de la mer. L’écume qui jaillit de tous côtés.
Je me souviens du garçon qui restait à rêver et qui attendait une réponse.
La poésie peut-elle tuer ?
Médaillons
Par Matthieu Bousquet
Artaud, mon père.
Tête électrisée poème en explosion
Momo de Marseille et la peste que toi, papa, tu as avalée
Vomi sur feuillets, sur poussières, sous la peau, sous les paupières, dans la chair, dans la bile…
Réveil sensible, hors des champs des érudits, j'ai vu le cri dans ton œuvre
Les écrits abreuvent mon corps d'une éducation nouvelle pour une poésie libérée.
Rimbaud, mon frère.
Éternel enfant de la poésie,
Lors d'une saison, j'ai vécu avec toi un songe
Emporté dans un voyage cauchemardesque
Ivre de poèmes prosaïques, après un séjour en Afrique, s'est éteint le voyant
Jadis, si je me souviens bien.Arbre généalogique
Shane Haddad
J’ai trois frères.
L’ainé je l’appelle Aragon
Il est comme un soleil d’hiver qui se lève doucement
Il pleure d’un œil une seule larme brillante
Je le regarde
et d’un coup saisissant cette larme que je voyais tomber
coule désormais le long de ma joue marquée
Le cadet c’est Apollinaire et on s’entend bien
un jour il m’a fait lire ses lettres à Lou
et m’a montré la passion désespérée
d’un cœur trop grand pour un homme trop seul
oublié dans la foule d’une guerre affamée
Quant à Queneau que je connais comme ma poche,
c’est le plus petit des trois mais il reste plus grand que moi.
Après que les larmes aient trop coulé il est là pour me rappeler
qu’écrire c’est facile il faut simplement s’exercer
sans jamais oublier que le plus important dans tout ça
c’est d’se marrer.
J’ai un oncle aussi, que je déteste
il écrit des fables près de la fontaine
avec des vers qui riment parfaitement
et toutes les images qu’il dessine me font grincer des dents
Mais je parie que le sentiment est partagé
puisqu’en tant que misogyne renommé
il ne pourrait contenir son irritante animosité
envers la féminité
J’ai un cousin proche et un autre éloigné,
Celui qui est loin connaît bien mon frère aîné
on l’appelle Eluard
et j’aime bien comment il regarde les femmes :
un profond respect pour une grande fascination
j’ai su, avec lui, oublier mes appréhensions
Baudelaire c’est mon autre cousin
Il est particulier, il me fascine un peu
j’ai la sensation qu’il peut être poussiéreux
mais quand je l’écoute lire c’est comme si
le monde était à la portée de mes yeux.
Et je n’oublie pas mes parents
Michaux c’est mon père
avec lui c’est le vide que j’ai senti
comme si j’avais plongé sans le vouloir
dans les abîmes de la poésie
tout est devenu noir puis blanc puis j’ai su
que je pensais comme lui
Ma mère ce n’est pas une poète
c’est bien plus que ça je crois
elle est arrivée juste à temps, son nom c’est Sagan
Dans mes jours revêches elle a dit bonjour à ma tristesse
et a accepté
de traverser à mes côtés cette drôle de terre incandescente
qu’est l’adolescence.
Un frère surréel
Pour notre fra-éternité
Regarde
A l’encre de mes rêves
Une femme
Pleut des terres orange
Je dessine dans tes mains
Lascive
La ronde de ta bouche
Ton écriture surnaturelle
Perdu dans l’image
Femme étincelante
Sentir sur sa peau
Passion polygame
Ton cœur dans tes mots
Etreinte de page.
Mon lien sans sang, Paul.
A mon grand-père, Renaud.
Tu sais papi, on m’a dit d’écrire un poème sur toi. Papi, ah ! je t’imagine en train de marmonner quelque chose tout bas. C’est bizarre papi, je n’ai pas vraiment connu le mien. Mais pendant toutes ces années tu as été le lien entre moi et min papa. Mon père a eu la même jeunesse que toi, lui aussi vivait dans un HLM, il m’en a raconté des histoires avec la gosse du 8ème. Enfant j’hurlais tes paroles dans la voiture. Mon père s’est arrêté sur une aire et m’as acheté des roudoudous et des mistrals gagnants. J’ai pas aimé et t’avais raison ça nique les dents. Pour mes dix-huit ans, on m’a organisé une énorme soirée. Mon père est arrivé, il avait noué autour de son cou le même bandana que toi, le rouge. Il m’a pris dans ses bras et m’a chanté Morgane de toi. Pas mal de gens disent que t’es une simple racaille ; Ils ont tort. Tu es un poète, un poète ça fait passer du rire au larme et ça abime ses godasses. C’est ce que tu fais. Pour mes dix neufs ans tu as repris ta tournée. Je suis arrivé dans la salle et j’ai agrippé la barre qui nous séparait. Je ne sais pas si tu m’as vu grand-père, j’étais tout devant avec papa. Je ne t’ai pas lâché du regard, tu m’as fait devenir une loubard.
GRAND-PÈRE
(Charles Baudelaire)
Derrière la place de l'église dans le cimetière
J'ai vu un jour ton squelette qui tombait en poussière.
J'ai su que sur toi il y aurait une grande fête
Probablement même un obscène repas
Qu'on y jouerait au tarot au poker à la belette
Et peut-être aussi qu'on rirait aux éclats.
J'ai su que sur toi il y aurait un monde qui crépite
Une foule bigarrée qui éclate et flamboie
De celles qui subites apparaissent et puis choient
Depuis cet autrefois de l'ancienne capitale
Tu m'as légué la foi de trouver beau l'immonde
Et de puiser ma joie même dans l'outre-monde.
PÈRE
Francis Ponge
Sous mon œil qui scrute
Un monde neuf se déploie:
La matière en proie au doute
S'ouvre en son centre
Là où l'encre est bue
Et où le papier boit.
Alors seulement j'entrevois
Le possible d'un réel qui bute
D'un réel qui s'obstacle
S'hallucine et chute.
MÈRE
Andrée Chedid
Écluser le navire
Atteindre mon rivage
Tu es la source vive
L'inabouti virage
FRÈRE
Paul Valéry
Avec ce plaisir complice
Qu'on ne reconnaît qu'aux frères
Aux amants et au vice
Tu livres tes mots
Comme de petites pierres
Cernes le contour du verbe
De la goutte qui s'amenuise
Le long d'un toit
Coulant de lumière.
Depuis où j'habite
Je vois clignoter les caténaires;
C'est toujours la loi du silence
Qui triomphe insoumise.
père, Victor Hugo
Comme le lion affamé guette sa proie
Et l'artiste passionné qui travaille sur son œuvre.
Tel l'amoureux transis qui attend sa bien aimée,
Le chien fidèle qui ne quitte pas son maître.
A l'image du malheureux désespéré, plongé dans sa souffrance
De même que l'enfant innocent qui saute dans les flaques.
Comme l'aveugle au jour,
Je pense à vous, mon père
Et je vous aime,
Jusqu'aux étoiles.
grand-père, Jacques Prévert
A vous, le chevalier de l'indignation,
A tous ces mots incompétents couchés sur papier
Qui tentent de vous dire merci.
Merci pour ces mots utilisés par tous
Mais que vous maniez comme personne !
Pour cette musique des mots
Qui résonne avec douceur dans mon cœur.
Merci pour vos mots simples mais épurés
Qui s'amusent à chanter dans ma tête
Et puis...merci d'être vous papi, simplement vous.
frère, Paul Verlaine
Tes poèmes sont mon médicament,
Des mots sur mes maux.
Cette ambiance de fête galante,
Un baume descendu du ciel,
Un bonheur contagieux.
Et même si je lis d'autres mots, d'autres âmes...
C'est toujours vers toi que je reviens
Car j'aime mieux quand c'est toi,
Toi, le frère que je n'ai jamais eu.
Je n'ai pas de patrie, je n'ai que toi.
mère, Louise Labé
Une poésie à l'encre du cœur
Un pansement sur mes plaies
Un guide de vie
Un miroir de mon âme
Un sonnet d'amour
Un vecteur d'émotions
Une écriture familière
Une partie de moi
Une aide certaine
Ta plume, maman.
Mes haines
« Je n'ai jamais tenu sa tête entre mes mains. »
Pardon ? Et donc ? C'est tout ?
« Elle se forge son travail
Avec des métaux indolents. »
Oui ? Et alors ? C'est à dire ?
« Jeunesse du fauve
Bonheur en sang
Dans un bassin de lait. »
Mais encore ? Comment ? Quoi donc ?
Décidément...
Paul Eluard, Les Mains libres
Toi mon père,
Fou de ma mère,
La connaissant sur le bout des doigts,
Ses mains me touchèrent, je crois,
Son regard fleurit au plus profond de moi.
Toi l'inspirant, de ses yeux inspirés,
Tu puisais ta beauté
Dans leur perçante bleuté.
Ce n'est qu'armée de mon stylo
Que je t'envoie ces quelques mots,
Je ne te remercierai jamais assez
D'avoir ouvert mon coeur à t'es vers eclairés,
D'avoir ouvert mon âme à ta poésie recherchée.
C'est cent ans après toi que je fis mes premiers pas,
Rêvant déjà de rencontrer celle,
Elsa, la belle,
Que tu me fis aimer autant que toi.
(Poème à Louis Aragon.)
Orpheline non-voyante, École m'offrait,
À force de comptines, les premières lueurs
Je rencontrai Poésie
Et Carême et Prévert
Bercèrent mon enfance
Avec Verlaine, je versai
À l'encre d'eau, les longs sanglots,
Noyant les feuilles,
Noyant l'automne,
C'est là le fruit de mon printemps
Ô Baudelaire, compagnon...
Il m'invitait, il me guidait
À travers la ville d'éclat,
Déployant ses ailes dorées,
Sombrant dans les méandres de l'exactitude
Pour les aèdes, je ne sens aucune haine
Je ne retiens des géants que grandiloquence,
Leurs soupirs au passé, aux enfants de demain,
À la fille perdue, la muse disparue
Et je vois résonner le silence inconnu
Mon grand-père : Victor Hugo
Les paroles des anciens souvent nous incommodent
Tes romantiques arabesques bouleversent. Tu es le maître.
Tu as perdu ta chair, tu as vécu l’exil. Le monde t’adule.
Pourtant tu restes pour moi le petit père
Et l’écrivain, de l’art d’être grand-père.
Tolkien, mon frère :
Des vieilleries des lais de jadis, les mots de l’oubli ressurgissent
Les castels des bois, de la pierre, tu les as bâtis de tes mains
Tes milliers de langues donnent vie par le chant à ton esprit
Lindar : chante ! Luthien : danse ! Durin : sculpte !
Les terres de Beleriand, ton œuvre, mon poète…
Dans le premier poème, il s'agit de William Blake que je considère comme mon père :
Tu t’es distingué de tes pairs
Par un don dérivé de tes visions.
En dessin ils te savaient expert ;
Tu as écrit ton monde
Pour que la magie opère.
Ainsi ton nom à présent
Jouit d’une reconnaissance prospère
Et je te rends hommage ;
Thou the Evening Star, mon repère.
Dans le deuxième, il s'agit de William Shakespeare que je considère comme mon grand frère :
Ton prénom si familier n’a cessé
De me suivre ces dernières années
Tu es partout, tu sais tout faire ;
C’est presque ennuyant
Tu es tel un frère que pourtant
Je ne peux m’empêcher d’admirer
Et à qui personne ne peut être comparé
Généalogie poétique
Benjamin Duburcq
Mère : Anna Akhmatova
Glaçon docile qui de demande qu’à fondre
Tu es la lumière maternelle d’amour
A tes côtés pourtant les oiseaux se morfondent D’un sort inconnu que leur annonce le jour.
Père : Paul Eluard
Papa, ils t’ont exclu du parti communiste Mais tu as élu l’art
Avec tes amis surréalistes
Comme seul et unique étendards
Frère : Charles Bukowski
Ce frère sauvage en cage lyrique
De ta misere en mosaïque
Tu empoignes l’Amérique
De ta plume prosaïque
Et de tes discours prophétiques
Généalogie de poètes
Kamila Cherif
Tes fleurs des enfers
Comme des épines coupent,
Délétères infamies,
Infaillibles amantes,
Puis-je me reposer
Auprès de ces fleurs-là ?
Baudelaire, tes mots résonnent
Depuis mille ans, dans mon inspiration.
Frère (Musset)
Délicates attentions, précieux amours,
À Laure, à Julie, à Georges Sand,
Tu as loué et pleuré, l’amour impétueux,
Et l’orage incessant de tes serments blessés ;
La justesse malheureuse de tes vers si beaux,
Ont dessiné pour moi l’idéal des mots.
Frère (Vian)
Quand tu ne danses pas la Java,
Et fait rire l’auditoire,
Ton cynisme héroïque fait taire tous les éclats.
Rebelle et décalé,
Ton chemin de croix amène à déserter
Tous les bancs des Écoles.
Poème sur les poètes non aimés
Sacré poète – ô ton masque je le vois,
Fossoyeur de Musset, Baudelaire et Rimbaud,
Ce que tu fais est une blague pour la littérature,
Et tes multiples faces se jouent de l’écriture.
Sans grâce, sans chaleur, tu construis
Des poèmes si faux qui se déguisent,
De toute provocation et toute fantaisie,
Et qui attirent les partisans du beau,
Avant-gardes du goût – dégoût a contrario.
Faux poètes (modernes),
J’aime la liberté, moins la laideur des mots.
Mes poètes
Christelle Akoh
Ray Bradbury, mon père
Fantastique est son univers
Il m'y plonge
Il me berce,
Dans la brousse,
Dans l'espace,
Me tenant par la main
Tout en poésie, il ouvre le chemin
De la Littérature.
Roald Dahl, mon oncle
Mon oncle farfelu,
Un peu fou, un peu nu
De toute complexité.
Il fait rire, il surprend,
On s'amuse, on se perd,
On le traite de génie.
Du cynisme à l'anglaise !
Moi, il m'émerveille
Par ses nouvelles fabuleuses.
Ionesco, mon frère
C'est un trait de famille,
La folie des mots de ces parents me touchent.
Ionesco le grand frère que j'ai connu
Un peu tard,
Sans aucun sens aucun,
Il emmêle les mots, les langues, les noms...
Un peu perdue, un peu secouée,
Immobile, me laissant aller à la perplexité,
Comment décrire cela ?
Un bon fou rire pour désamorcer la gêne.
mise à jour le 25 juillet 2017