La poésie sur les lieux - 2016
« Sous le Pont Neuf les corps de ceux qui recherchaient une aventure »
On y vient respirer Paris comme on fumerait
Un joint ; il disait il est l'heure de s'enivrer
Le vent criait à notre saule de nous gifler
« Vous cherchez l'aventure là où elle vient jamais »
On était là pour ça pour crier pour l'excès
En tailleur les jambes griffées sur les pavés
Ca sentait la poussière de Paris l'été
A cette heure-là je savais même pas où j'étais
J'y trébuchais sur des amoureux comme sur des
Débris de bouteilles éclatées par la joie vraie
Ils disaient à leurs gosses là c'est le Pont Neuf mais Leurs gosses ils s'en foutent ils savent pas lire alors quoi L'aventure la vraie c'est là bas que j'la crois Par les gifles du vent et celles des femmes – J'y étais.
Oups, j’avais pas vu mes aïeux toujours cachés,
Crack, qu'avezvous à me déchirer en lambeaux?
Vos noms de sauvages qu’il a fallu chercher,
Recouverts de verdures et traînées d’escargots.
Oups, une femme me regarde, de côté,
Crack, un paquet dans la main, dans les yeux des mots;
Elle tricote et ses doigts froids tissent le passé,
Elle me fixe, dans ses yeux sont les idéaux,
Crack, la vieille femme mange des cacahuètes,
J’ai bien cherché partout, elles sont où mes lunettes?
Derrière tout ce fouillis, je ne vois plus leurs noms!
La buée sur l’Histoire, quelques fleurs pour l’enrober,
D’Afrique, d’ailleurs, des vies on dérobait,
“Je viens faire mes papiers! – la mairie est au fond !”
Notre-Dame de Paris
Célia Safer
Nous avions marché des lustres il me semble
Tant mes pieds d’enfant étaient las et fourbus
De cette promenade et de toutes ces rues.
Mais ma jeune Tata nous voulait là, ensemble.
J’ai sept ans et je crois qu’elle voudrait que je voie
Une sorte d’église avec de hautes tours.
« Qu’ils doivent avoir faim tous ces petits vautours... »
« Peut-être mais ce sont des pigeons. Tais-toi : vois ! »
Voilà Notre-Dame de Paris. Incroyable.
La Notre-Dame de Disney en plein Paris !
Je commence à chanter une espèce de fable
De dessin animé mais je suis dérangée
Par tous ces touristes grouillants, éparpillés
Et puis par les gargouilles. Et par mon ventre : à table !
Statue de Jeanne d’Arc (Orléans)
Julia de Reyke
Sur son cheval de pierre, et l’épée à la main
La voici qui s’élance, entourée de drapeaux,
Accomplissant, immobile, un grand et long saut,
Et son cœur bat de plus en plus fort en son sein.
Jeanne, regarde comme cette ville a changé :
Vois-tu la foule qui se presse autour de toi ?
Entends-tu le tramway, et entends-tu les voix ?
Penses-tu aux anglais, penses-tu au bûcher ?
Silencieuse, immobile au centre de la place,
Tu t’en vas à la guerre, tu t’en vas à la chasse.
Moi, assise en terrasse, je bois un chocolat.
Jeanne, seule, s’en va combattre pour la France,
Au milieu des passants, elle saisit sa chance,
Et moi je la regarde, une dernière fois.
Fontaine des innocents
Johanna Gourdin
Il fait nuit tu me suis je m'élance
Et je plonge une jambe pour savoir si
Je ferais de toi mon meilleur ami
Nos belles chaussures on s'en balance
Je m'empêtre tu t'empêtre dans l'eau
La renaissance transcende les gens
Curieux qui comme nous parcourent cent
Recoins insipides donc vraiment beaux
Tu sais la vie ne devrait consister
qu'à escalader les fontaines pour
se vanter enfin d'être au sommet
des absurdités qu'on fait par amour
Dans le métro nous voici nous voilà
C'est si bon d'attraper froid
Le pont des arts
Charles Mauduit
Il s'est passé un truc/ disparu ce n'est rien
Les parapets sont nus/ c'est dans l'ordre des choses
Ton cul comme en ressac/ ton entre maison close
Cadenas disparus/ tout autant que nos liens
Je trottine « tout doux »/ sur le pont dit des arts
Muet et mal-baisé/ pas différent d'avant
Du vent, le parapet/ qui fait son paravent
L'eau est peut-être tiède/ il est déjà très tard.
Il est déjà trop tard/ sans un bruit je me laisse
Tomber comme un métal/ dans cette écume épaisse
Il n'y en avait pas/ mais la rime est pas mal
Ça tient à peu de chose/ un cœur qui se dérouille
Lorsque c'est dans le flot/qu'un corps se déverrouille
On le trouve matin, lui et sa peau bleu pâle.
Sonnet sur la rue Curnonsky
Charles Mauduit
T'as slalomé sans fin/ dans la rue Curnonsky
De ses toits suicidaires/ à ses caves à Gang-bang
Tu sauras rencontrer/ le canon froid d'un bang
Dans cet univers glauque/ de D. Aronofsky
Le chef dans les rosiers/ un lycaon exangue
Quittera la cité/ drapé d'allu', la bête
Sa cage s'est ouverte/ en même temps que sa tête
Pour tes gars le grillage et l'horizon qui tangue
Tuerie dans le huit-clos/ car l'enfer c'est les autres
S'ils sont indifférents/ vos merdes sont les nôtres
C'est pas le bataclan/ c'est l'envers du décor
C'est l'animal cloîtré/ dans un lieu de silence
La jeunesse enchainée/ sous ces demeures immenses
La mécanicité/ de la chute des corps
N.B : Les lycaons sont de Koffi Kwahulé, l'inspiration de Thiefaine.
Martin Luther King Memorial
Marina Escartin
Veillant sur Washington, géant immaculé
Façonné dans ce grès, à jamais immobile
Regardant l’horizon, admirant cette ville
Immense pierre blanche, toi pourtant coloré.
Toi toujours si actif, ne cessant de lutter
Tu venais d’Atlanta, suivi par ta famille
Et de ton vif discours, de ton sermon habile
Ici tu fis un rêve, qu’on voudrait exaucé
Ton symbole érigé comme sorti d’un roc
Montre à tous les hommes qu’avec un simple bloc
C’est à eux de sculpter leur propre destinée.
Et moi je ne te vois qu’au travers d’un écran
Te pensant candide mais aussi plein de cran
Ta froide figure criant : « égalité » !
Souvenir d’une statue de sable de Samuel Beckett (Dublin)
Célia Safer
Samuel, les mots sont tout ce que nous avons, isn’t it ? Ton visage de sable, attaqué par le temps qui a dégouliné sur toi comme camembert au soleil, ne me contredira pas. Pas cette fois. Yes, Samuel : ta voix rauque, dévorée par des mégots aussi usés que Nagg et Nell réunis, vocifère régulièrement dans ma tête depuis que je t’ai lu. Vu. Chaque grain de ta personne reconstituée me gueule dessus, dans ma propre langue. Quel outrage ! Quatre ou cinq années et une insomnie à jouer à la littéraire de comptoir pour déchiffrer ton foutoir de mots et je commence à peine à te comprendre, il me semble. Mais je me sens Moll. Le physique de magot en moins. Tu as raison, Sam, ça n’en finira jamais.
Danton
Sakina B.
Sixième arrondissement, place Henri Mondor
Boulevard Saint-Germain. Elle l'attend encore
Ce n'est pas là qu'elle habite, mais Danton y réside
Danton y résiste
Il y a du monde au Danton
Le serveur en sueur, dit quelques mots bretons
Pharmacie, cinéma, tout est autour de toi
Mal aimée, mal assise, elle subit
Un adieu, un café – "Ne m'oub-
Lies pas."
-"Je ne me souviendrais de rien d'autre"
Il a été dit, écrit, quelque part, un jour, un soir
Pour vaincre il nous faut écrire, encore écrire, toujours écrire
Et la France sera sauvée.
Dame de Paris
Flora Yahmi
Ta dame de Paris se tient droite, sourit
Mais quand elle aperçoit ta mine dégrisée
Elle n'envisagerait que de te délaisser
Tu arpentes ses cous lisses lasse du bruit
De ton fracas grossier elle te jetterait
En pâture aux pigeons qu'Hitchcock a oublié
Et les hommes aux nez rose grisés et gueulant au gré
Des saisons des hivers aux printemps desséchés
Loin sont les barrières qui te sépare d' eux
Quand à la nuit venue, le rose tu as bu
Gueulant, gueulant, sifflant bouteilles et mégots
Il ne reste plus rien de l'arrogance crue
Quand ruinée, rongée, seule, la main plongée en eux
Tu cherches en vain l'homme qui fut et qui n'est plus.
Ma délaissée Notre-Dame
Julia Saint-Martin
Le froid perle
Les gargouilles ont le nez qui coule
D’un Paris qui grouille de touristes
Ton chœur délaissé, de prières laissées sans réponses
Oh ma belle Notre-Dame
Victor t’a sublimé
De son regard d’amour en prose
D’amours cachées en haut de ton clocher
Et à tes pieds
Le bateau ivre
Ne garde de Paris qu’un trajet tout tracé
Mais à mes heures
Je rêve que sur ton sol échiquier
Le tout Paris se rappelle ce que tu as été
mise à jour le 30 juin 2017