Plusieurs travaux récents sur la production littéraire et artistique des XVe-XVIIIe siècles ont souligné une commune « fascination pour le transitoire et le protéiforme », affirmation qui contredit quelque peu l’idéal d’harmonie et de permanence des formes, traditionnellement mis en avant. À l’appui de ce constat, on a fait valoir les effets d’un monde en bouleversement, ouvert aux changements et aux mutations profondes, marqué par l’éphémère et l’indéterminé. Une telle sensibilité à la transformation des êtres et des choses a nourri un intérêt partagé pour l’idée même de métamorphose, comme passage d’un état à un autre, propre au foisonnement créatif d’une nature en renouvellement continu. L’essai pionnier de Michel Jeanneret, publié en 1997 sous le titre de Perpetuum mobile, en a spécifié les modalités, se fondant pour l’essentiel sur des œuvres françaises de la période.
Dans l’espace culturel relativement homogène que configuraient alors l’Espagne, l’Italie et la France, le concept de métamorphose (que nous élargissons à celui de mutation) s’est imposé en de multiples formulations. Le colloque qui se tiendra à Paris les 8 et 9 novembre prochain, co-organisé par le LECEMO de la Sorbonne Nouvelle et
l’Università degli studi L’Orientale de Naples, envisage d’en explorer les tenants et aboutissants à la croisée des disciplines, à travers la littérature, les arts et l’histoire des idées.
Le propos sera centré en premier lieu sur le texte fondateur des Métamorphoses d’Ovide, toujours très étudié mais dont il reste à éclairer bien des influences. Par le nombre de ses éditions (souvent illustrées), par ses commentaires, traductions et imitations, cette œuvre poétique exceptionnelle est alors un véritable « lieu commun » culturel et une source inépuisable d’images.
Au-delà de la référence ovidienne et de son puissant imaginaire mythologique, seront abordées les représentations littéraires et plastiques, érudites et « populaires », de la transformation de l’être humain en animal ou en élément naturel (et inversement). On considérera alors les remises en question qui en découlent, signes éventuels d’une prise de conscience nouvelle de la diversité du monde.
Les œuvres phares de Dante, de l’Arioste, de Cervantès, de Rabelais… ainsi qu’une multiplicité de textes moins connus, dans les domaines de la prose de fiction, de la poésie et du théâtre, s’offrent à des études de cas de métamorphose, à la fois comme thème ou motif mais aussi comme principe générateur de forme spécifique. On s’attachera à cerner la portée et les enjeux de ces variations significatives en dépassant les approches descriptives. L’attention sera portée notamment sur la création en train de se faire, sur le moment même où se perd l’identité et où elle se réaffirme.
Si les œuvres artistiques ont pour finalité première d’illustrer et de représenter visuellement le phénomène, elles peuvent tout autant être prétexte à des réflexions implicites sur l’instabilité du monde, sur l’inachèvement et l’inaccompli, sur le temps et la mort. Les dessins de Léonard de Vinci, les peintures d’Arcimboldo ou du Titien (entre autres exemples) donnent à voir différents modes d’être, déplaçant parfois les frontières du connu vers le monstrueux et le fantastique.
Enfin, on s’interrogera, à travers les écrits didactiques et autres documents textuels, sur les représentations et les conceptions liées à la notion de métamorphose, sur la façon dont est pensé le changement d’état, de nature ou d’identité dans le devenir historique de la période. Les réponses engageront sans doute à rapprocher les notions de cohérence et incohérence, ordre et désordre, rationnel et imaginaire.
Le colloque sera structuré selon trois axes :- Métamorphoses : les enjeux du modèle ovidien
- Métamorphoses : les manipulations de l’écrit
- Métamorphoses : prismes déformants, regards déformés
Dans la prise en compte des pratiques, fonctionnements et mécanismes, ainsi que des effets et des significations qui singularisent l’énergie métamorphique, le colloque entend non seulement renouveler les approches fructueuses d’un phénomène majeur de la culture européenne, mais mettre aussi l’accent sur son expression spécifique entre l’Espagne, l’Italie et la France des XVe-XVIIIe siècles.