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du 12 juin 2025 au 13 juin 2025
Colloque
Organisation : Emmanuelle Terrones, Sylvie Toscer-Angot, Jean-Louis Georget
Présentation
Depuis le début du XXIe siècle, la question de la mémoire allemande est entrée dans une nouvelle phase de son évolution, notamment sous l’effet de dynamiques transnationales et d’une diversification de la composition de la population allemande, liée à la réunification et aux flux migratoires. L’idée enracinée en RFA d’un lien étroit entre mémoire de l’Holocauste et identité allemande – le « mémorial aux juifs d’Europe assassinés » à Berlin en étant le symbole par excellence – semble ainsi moins évidente aujourd’hui et se voit confrontée à l’émergence de nouveaux récits mémoriels.
Si, durant des décennies, le passé colonial est resté un impensé de la politique mémorielle allemande, on observe depuis peu une extension du champ mémoriel à la période coloniale. L’attention nouvelle portée au passé colonial a donné lieu, dans les milieux universitaires et politiques comme dans l’opinion publique, à des controverses et débats post-coloniaux autour de la colonisation en Namibie, notamment à propos de l’emploi du terme de « génocide » pour qualifier les massacres perpétrés à l’époque (Zimmerer 2011 ; Melber/Platt 2022). Ce premier génocide du XXe siècle a longtemps été éclipsé par la mémoire de l’Holocauste du fait du principe de sa singularité, le risque étant qu’il fasse l’objet d’une certaine forme de relativisme en raison de la dynamique concurrentielle qui se joue entre différents récits mémoriels.
Il importe également de questionner les liens entre le récit mémoriel officiel qui s’est progressivement construit en RFA depuis les années 1960 et la diversification de la population allemande, issue de la réunification de l’Allemagne et des flux migratoires (« les nouveaux Allemands », cf. H. et M. Münkler 2016, C. Pham, A. Bota et Ö. Topçu 2012). Qu’en est-il de la prise en compte de la mémoire de la RDA (Droit 2020) dans la mémoire collective, qui renvoie aux souvenirs partagés par un groupe défini (Halbwachs 1952, 1968) ? Si on reprend les propos de Michael Rothberg, qui conçoit le processus mémoriel comme « un processus dynamique, transnational, transculturel et pluraliste » (Rothberg 2023 : 231), dans quelle mesure le concept de « mémoire multidirectionnelle » développé par ce dernier éclaire-t-il d’un jour nouveau la relation entre mémoire et identité ? Peut-on parler d’un dialogue entre différentes mémoires dans l’Allemagne post-migratoire ? Dans quelle mesure les acteurs concernés ébranlent-ils le monopole du récit mémoriel officiel ?
Les transformations et dynamiques évoquées, qui ne sont pas sans conséquence sur la mémoire collective, invitent ainsi à questionner ce que peuvent être des identités allemandes aujourd’hui. Une mémoire collective allemande est-elle encore possible ?
La littérature transnationale, en tant que pratique d’écriture qui, au-delà des « impulsions homogénéisantes du dispositif national » (Bischoff/Komfort-Hein 2012), favorise la pluralité, la circulation et les échanges d’idées, n’est-elle pas le reflet de cette mémoire multidirectionnelle et n’a-t-elle pas un rôle décisif à jouer dans une mémoire « collective » en Allemagne, à l’heure même où le terme de « collectif » demande à être entièrement redéfini ?
À bien observer les parutions de ces dernières années, il semble que nombre de perspectives nouvelles s’ouvrent en littérature, comme la confrontation concrète et théorique avec le passé national-socialiste ou la tentative de dépasser l’effet de « saturation » (Robin 2003) depuis un autre point de vue. Celle qui nous intéresse tout particulièrement ici consiste à entrecroiser différentes lignées mémorielles. C’est ce qu’a fait dès 1998 Zafer Senoçak dans Gefährliche Verwandtschaft, et plus récemment Emine Sevgi Özdamar dans Ein von Schatten begrenzter Raum (2021) avec les héritages mémoriels turcs, arméniens et allemands. Quant à Sharon Dodua Otoo, elle entrecroise dans Adas Raum (2016) colonialisme et national-socialisme. Mina Hava, dans Für Seka (2023), rapproche mémoire des guerres en Yougoslavie et passé national-socialiste, tout en tissant des liens tout au long du roman avec l’esclavage et l’exploitation d’êtres humains à différentes époques.
Chacun à sa façon, ces romans s’inscrivent dans la perspective d’une « mémoire multidirectionnelle » (Rothberg) et contribuent à plusieurs titres à cette « culture mémorielle plurielle » (plurale Erinnerungskultur) dont parle l’écrivain Max Czolleck (BZ, 2023). Mais quelle place est-elle accordée à ces textes et aux réflexions novatrices qu’ils proposent dans les discussions actuelles ? « De qui s’inscrit le souvenir dans la mémoire collective » (M. El Hissy)? Quelles perspectives nouvelles, mais aussi quelles nouvelles images et représentations la littérature transnationale de l’Allemagne d’aujourd’hui véhicule-t-elle ? Et dans quelle mesure celles-ci constituent-elles autant d’opportunités de concevoir la mémoire d’une société plurielle ?
mise à jour le 13 décembre 2024