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MATISSE / Nu bleu III (Carla DIANA)

Notice


Matisse nu bleu
Henri Matisse, Autoportrait à la marinière (1900), Paris, Centre Pompidou.

Source de l’image :
Photo personnelle de Carla DIANA prise au musée Pompidou lors de l’exposition 2020.



Peintre, sculpteur, graveur, dessinateur, Henri-Émile-Benoît Matisse (1869–1954) est une personnalité optimiste à toute épreuve qui ne cessera jamais de se consacrer à l’art. Dès son plus jeune âge, alors qu’il est alité à la suite d’une crise d’appendicite, il découvre sa passion pour la peinture. Sa mère, elle-même peintre amateur, lui offre du matériel pour peindre – pinceaux, peintures, toiles. Le monde de l’art se révèle être un petit « paradis » pour Matisse : « Pour moi c’était le Paradis trouvé dans lequel j’étais tout à fait libre, seul, tranquille, confiant tandis que j’étais toujours un peu anxieux, ennuyé et inquiet dans les différentes choses qu’on me faisait faire », confie-t-il à Pierre Courthion en 1941¹.

Il réalise sa première peinture, Nature morte avec des livres, en 1890. Peu de temps après, Matisse se rend à Paris et intègre, aux Beaux-Arts, l’Atelier de Gustave Moreau. Il suit également des cours du soir des Arts Déco, où il se lie d’amitié avec le peintre Albert Marquet. En 1896, Matisse expose pour la première fois au Salon des Cent ainsi qu’au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts. Cette même année, il rencontre Auguste Rodin et Camille Pissarro grâce au peintre John Peter Russel, et s’ouvre à l’impressionnisme en devenant un grand admirateur de Paul Cézanne, dont il dit qu’il était « notre maître à tous », ainsi que de Paul Gauguin ou encore de Van Gogh. Il commence aussi à s’intéresser à la sculpture ; ainsi, dans les années 1900, il intègre l’Académie de la Grande Chaumière afin de travailler la sculpture et le modelage.

Matisse se lance alors dans la quête de la simplicité : une « construction par surfaces colorées », une « recherche d’intensité dans la couleur, [une] lumière [qui] n’est pas supprimée, mais [qui] se trouve exprimée par un accord des surfaces colorées intensément »². Pour Matisse, « l’expression vient de la surface colorée que le spectateur saisit dans son entier ». La pureté des couleurs prime chez Matisse, qui devient le chef de file du fauvisme. Le mot « fauves » est employé pour la première fois en 1905 par Louis Vauxcelles à l’occasion du Salon d’automne. En effet, dans un article publié le 17 octobre dans le Gil Blas, le critique déclare : « Au centre de la salle, un torse d’enfant et un petit buste en marbre d’Albert Marque, qui modèle avec une science délicate. La candeur de ces bustes surprend au milieu de l’orgie des tons purs : Donatello chez les fauves ».

À cette même époque, Gertrude et Leo Stein, deux collectionneurs américains, lui présentent Picasso avec lequel il se lie d’amitié. Gertrude Stein considérait les deux artistes comme étant le « Pôle Nord » (pour Matisse) et le « Pôle Sud » (pour Picasso) de l’art moderne, car le cubisme de Picasso est tout à fait différent du fauvisme de Matisse.

La simplification des formes et des couleurs bien souvent « pures » et « plates » guide progressivement Matisse vers un art abstrait mais également vers sa technique de « la gouache découpée » à la fin des années 30. Cette technique consiste à découper des formes dans du papier peint avec de la gouache, puis à coller les morceaux sur un autre papier bien souvent marouflé sur toile. Cette technique s’apparente en fait à celle du collage. Matisse affirme, dans les Écrits et propos sur l’art d’André Lejard en 1951 : « le papier découpé me permet de dessiner dans la couleur. Il s’agit pour moi d’une simplification. Au lieu de dessiner le contour et d’y installer la couleur – l’un modifiant l’autre –, je dessine directement dans la couleur, qui est d’autant plus mesurée qu’elle n’est pas composée. Cette simplification garantit une précision dans la réunion des deux moyens, qui ne font plus qu’un. »



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¹ « Conversation avec Pierre Courthion » (1941), Archives Henri Matisse, Issy-les-Moulineaux, cité par Anne Théry dans Henri Matisse, une biographie critique, Cat. de l’exposition Matisse comme un roman, sous la direction d’Aurélie Verdier, MNAM, 2020, p. 270, en ligne : https://www.maison-matisse.com/pages/henri-matisse.
² Propos d’Henri Matisse à Tériade, dans L’Intransigeant, le 14 janvier 1929.


Compte rendu (février 2022)


Approche-toi ! Regarde-moi ! Regarde mon corps voluptueux !

C’était en octobre 2020 que j’ai vécu l’expérience la plus bouleversante de ma vie au Centre Pompidou. Seule ou accompagnée, ma décision était prise : je voulais réellement voir l’exposition du peintre Henri Matisse. Je n’ai absolument pas regretté d’avoir suivi mon instinct, car pour la toute première fois je parcourais les galeries du musée toute seule. Une fois entrée dans la salle d’exposition, seules les œuvres de Matisse accrochées aux murs captaient mon attention. La foule avait disparu. Ses tableaux, ses carnets, ses sculptures… accrochaient mon regard. Ce n’était pas seulement le caractère abstrait des silhouettes qui se dégageaient de ses toiles mais surtout la pureté des couleurs choisies qui m’attirait. Rouge, jaune, vert, bleu, orange… toute cette palette de couleurs vives s’affirmait grâce à une force obscure que je ne saurais expliquer.

Dans les Chroniques d’art (1902-1918), Apollinaire déclare que : « Tout tableau, tout dessin d’Henri Matisse possède une vertu qu’on ne peut toujours identifier, mais qui est une force véritable. Et c’est la force de l’artiste de ne point la contrarier, de la laisser agir. » Le célèbre poète avait vu juste, et on peut ajouter que cette force véritable se transmet à travers une forme de simplicité cachée. Ainsi, la technique du collage qu’utilise Henri Matisse met en avant la pureté des couleurs, la simplicité des gestes mais également le don de « sculpteur » de l’artiste. Henri Matisse affirme en effet : « Découper à vif dans la couleur me rappelle la taille directe du sculpteur. »³

Le collage de Matisse n’est pas un simple découpage : il parvient à faire surgir la vie à travers ses créations. C’est ainsi qu’une silhouette bleu cobalt me surprit tout à coup du coin de l’œil. Cette gouache géante, découpée et collée, n’était pas une ombre. C’était une femme nue qui posait, les jambes croisées, me regardait et me murmurait : « Approche-toi ! Regarde-moi ! Regarde mon corps voluptueux ! ». Le troisième nu bleu de Matisse m’hypnotisa ainsi durant quelques longues minutes. La grandeur de cette œuvre ne me laissa pas indifférente. Elle est fascinante, elle a vraiment quelque chose de spécial, osais-je penser jusqu’à la fin de l’exposition, mais aussi les jours suivants.

Parfois encore aujourd’hui, en fermant les yeux, je me surprends en train de la contempler mentalement. Je ne voyais pas tant la silhouette abstraite d’une femme collée sur du papier, mais une femme, une vraie femme. Je fis l’expérience d’un enchantement inoubliable : sous mes yeux, elle prenait vie. En y repensant, c’était comme si Galathée, cette statue sculptée par Pygmalion, s’était réincarnée dans le corps de cette femme bleue. Son visage semblait s’illuminer sous l’effet de mon regard, et elle m’hypnotisa à son tour. Je me surpris en train de tomber sous le charme de cette créature, exactement comme Pygmalion devant sa statue. Matisse avait peint le même regard que celui que devait voir Galathée, seulement celui-ci n’était pas ivoire mais bleu cobalt. Un bleu d’une profondeur à m’engloutir, dans un océan cobalt. Hypnotisée, je ne savais plus si c’était Matisse ou bien Aphrodite qui était à l’origine de cet ensorcellement. Aphrodite avait rendu la statue d’ivoire de Pygmalion vivante et flamboyante. Or ce nu bleu, comme Galathée, était si désirable… Quel génie ce Matisse ! aurai-je déclaré si l’émotion ne m’avait pas ôté la parole. Matisse avait bel et bien les pouvoirs créatifs de Pygmalion et ensorceleurs d’Aphrodite, tandis que moi, j’avais seulement la faiblesse de Pygmalion, capable seulement de tomber amoureuse d’un objet et de le désirer vivant.

C’est ainsi que, durant cette exposition, j’avais découvert ce qu’était réellement le génie de Matisse. Il n’était pas qu’un simple artiste.



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³ Henri Matisse, entretien avec Jacques Guenne, L’art Vivant, n°18, 15 septembre 1925, in Écrits et propos sur l’art, Dominique Fourcade, Paris, Hermann, 1972, page 237

* Photo personnelle, prise au musée Pompidou lors de l’exposition



mise à jour le 10 février 2022


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