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Liberté pour l'expression

Atelier de poésie - 2015


LE STYLO
Sara Intili

Entre la stèle et le style, l'engagement de l'écriture au stylo est irréversible.
Le stylo est une forme qui prolonge l'idée coulant avec frénésie jusqu'à l'embouchure en flots de lettres.

Cet étroit tunnel transforme une vaporeuse pensée en un itinéraire d'ancrages.
Le upsilon, rivet qui assure l'équilibre de l'ensemble du mot, ressemble à un panneau-manifeste qui, de sa courbe, creuse le bas pour qu'émerge l'invisible.

Souvent, tandis que l'encre s'achemine sous l'impulsive idée, le souffle se réchauffant, échauffant la pointe, pointant le papier, -le tout tonnant!-, le gosier d'ombres s'assèche et la pointe incisive suspend sa charge.
Et s'il faut sans cesse abreuver ce petit objet prolixe, peut-être n'est-il pas vain de raturer de temps à autre la page afin d'apprendre à écrire avec maîtrise.


LE STYLO
Pierre Duda

Le stylo est une arme à la pointe aiguisée,

Ne paye pas de mine mais perce de nombreux traits

Là où le stylet fait fléchir un homme,

La plume sape des murailles et dresse des cités
 

Il s’insurge et crache, bave et complote

Son venin corrosif plait aux langues habiles

Serpent droit esquissant de belles paroles sous de sombres dessins,

Tu grattes les maux d’écrits clairvoyants
 

Son métal froid brillant sous de belles lignes

S’émeut quand son encre se heurte à l’affable

Et si sa mitraille n’est chargée que d’une bille.

Elle touche à coup sûr et raye l’esclavage.
 

Quelle force de la nature que cet objet rutilant

Ses armés se cachent au fond de vos tiroirs

Et si par votre faute l’un glisse sous la table

Des millions se dressent et s’expriment à son instar.


Le STYLO
Valério Adami

Parfois seulement 30 centimes, mais ça n'a rien à voir ici : regardez sa sphère : imaginez ? essayez ! personne, tout seul, au bout d'une vie n'aboutirait à rien qui puisse approcher de cette perfection, pointe de symétrie où convergent et se reflètent les hémisphères universelles : bien plus que tous les anges sur les épingles, l'humanité entière y danse sur la tête, et insensible au feu se dresse le stylo, victorieux étendard de notre espèce.


Le STYLO
Bérénice Gruenais

Droit et juste, raide et honorable, le stylo n’est qu’un cylindre de métal et de plastique. Il ne serait pas dangereux en tant qu’arme de jet, car sa pointe n’est pas si acérée qu’on le prétend : on pourrait à peine s’en servir en guise de fléchette. Chargé, il est totalement inoffensif. Sa cartouche n’est pas de poudre mais d’encre bleue, certes redoutable pour les vêtements mais pas pour ceux qui les portent, et s’il lui arrive de baver sur la main qui le tient ce n’est jamais de son plein gré. Son extrémité est indispensable : Effleurez-en une feuille et elle ronronnera doucement à son contact, tel un chat que l’on câline. C’est elle qui gratte le papier et le caresse, et l’orne de courbes, de lettres, de mots, de phrases.

De pensées.

Le stylo n’est pas une arme, car il ne sert pas à détruire mais à créer. Il permet de jeter des ponts sur le vide séparant les esprits. S’en prendre à lui ou à son utilisateur, ce n’est pas mener une guerre.

C’est fomenter un massacre. 


LE STYLO
Marie Romsee

Entre style et îlot le dictionnaire introduit stylo, ce simple résultat de la révolution industrielle de la plume, dansant perpétuellement sur la feuille et l'insultant de chiffres et de signes, de lettres et de lignes.

Comme une petite voiture ronronnante à laquelle on met de l'essence bleue ou noire quand il est à sec, il laisse parfois s'échapper un gaz noir fumeux sur sa route. Ainsi la petite cartouche ou la tache sur la page blanche durent-ils moins encore que la vague de calomnie éveillée sur son passage.

Enfin le stylo est TON stylo et retranscrit TON état de pensée à cet instant sur TON îlot. Le stylo peut TOUT écrire, TOUT faire. Avancer, reculer, raturer, souligner, tomber en panne, avancer à reculons, faire la grève, mettre un chapeau, s'essouffler, se plier, se rayer, saigner;  cependant il convient de ne pas trop s'appesantir sur le stylo car sans ton regard attentif, son style tombe à l'O".

MON CRAYON
Floriane Larut

Mon crayon rend compte
Mon crayon contraste
Mon crayon questionne
Mon crayon élabore
Mon crayon tranche
Mon crayon exalte
Mon crayon dessine.

LE STYLO
Flavien Bellec

Le stylo est un outil bien agréable, gentiment pointu, orphelin de sa baguette chinoise. Il se dresse entre le pouce et l’index, blotti, saisi, prêt à déverser.

Le stylo est comme un flingue que l’on sort de son étui pour combattre l’ennemi. Quand il n’a plus de balles alors on le recharge, on dégaine, on vise et on actionne le cran.

Dans le no man’s land de la page blanche, les mots morts s’empilent à chaque attaque, rondement mené. 

Cimetière de lettres.

Parfois on alterne l’artillerie car plus l’ennemi est grand, plus il faut être prévoyant.

En bataillon face à l’autre page : 

Stylo Bic, Kalachnikov !

Ancien stylet, fusil chargé !

Stylo Plume, mitraillette !

Et le style creuse des tranchées. 

Debout!

On recharge les provisions de cartouches!

Boum! Pam! Pim ! Erk ! Oh ! Humph !

Le soldat tire ses balles comme le poète lance ses mots pour viser l’Autre en plein coeur.

Et après l’hymne, le champ de ruines.

Dans l’un les mots.

Dans l’un les morts.

Et les futures générations y trouveront toujours quelques reliques précieuses : un anneau d’or, un soleil levant, un père mort, un médaillon d’argent.

Le stylo dessine, la balle assassine, le stylo caresse, la balle transperce, les courbes d’une rive, les cibles humaines, tortueuses et infinies, affreuses et sans répit.

Sans balles point de guerre et sans mots point de paix.

Il est temps de laisser le sang d'encre doucement sécher car depuis longtemps il a bien trop coulé.


Le crayon
Mélissa Bertrand

Un contact d’abord, un contact surtout. Prendre en main le crayon comme sa pensée, porter son courage à bout de bras pour exprimer calme ou rage. Comme un prolongement du doigt qui soudain colore la feuille, griffe, griffonne le papier, le crayon mal taillé brosse à gros traits, entaille la feuille, déflore la blancheur. Plus de virginité quand par l’encre la feuille est tachée. Incision de la mine dans la chair immaculée du papier.

Déchirer le silence, crier seul, faire crisser, faire crier le crayon.

Le crayon, pourtant, est encore l’ébauche, le produit brut, la gestation, la mise en forme. Pouvoir se dire « mon cri n’est pas encore assez beau », pouvoir retourner dans le temps, dessiner d’autres chemins. Garder les traces de l’errance ou laisser le flux et le reflux de la gomme émietter les traits effacés. Puis tailler, sculpter, entamer la chair résistante de cette lance à la pointe teintée pour mieux jeter les mots et les contours dans un carnet, à la va-vite, de façon précipitée ou avec la précision de l’homme apprêtant sa réflexion. Tailler, tailler le crayon pour que nous créions – tailler, tailler le crayon.


LE STYLO PLUME
Flavien Bellec

À l’observer dans sa pointe, finement léchée, laisser couler son sang à flot mais en mesure, l’on pourrait y voir, dans sa précision, une variante du violon.

Fragile comme la plume. Avec lui, écrire c’est voler, et si l’on est trop angoissé, d’un jeu de main mal négocié, on peut le tuer sans y penser. 

Alors il faut que la main porte le ciel dans sa chair pour accueillir ces oiseaux noirs dans sa blancheur illimitée. 

Que chaque trace trace les ailes d’un mouvement fier et furtif.

Que chaque ligne peuple le ciel par ces oiseaux sans queue ni tête.

Que le corps soit si dense qu’il ait l’air de flotter au gré du vent.

À la péninsule, dans chaque contact, se joue un concert minuscule, entre la page et l’instrument. Seul un fleuve d’encre les sépare, mais peu importe, ici, c’est le concert qui nous emporte. Et les vagues tâchent le bois quand la note touche le ciel. 

C’est ouf c’est flou c’est la folie du mot.

C’est la fête juste en bas!

C’est la danse éternelle!

Ce sont les cris de joie!

Dans un lieu secret que cache la page à la plume et vice versa. 

Et si tu soulèves ton stylo tu n’y verras que du feu mais c’est déjà assez pour réchauffer le coeur.
 


Stylo ? Style-eau ? D'un stylo l'autre ?
Ladji Samba Keita

Noir, bleu, rouge, vert, de toutes les couleurs, défiant les lois de la gravité, il se tient débout. Qui ne se souvient de son premier stylo lorsqu'enfant nous le tenions de nos doigts frêles et innocents. Emerveillés nous fûmes par ces premières lignes indélébiles et tâtonnantes comme l'affirmation sourde de notre présence au monde. Tels les débuts chaotiques d'une vie conjugale, nous tentions de l'apprivoiser, de le subjuguer. De cet affrontement cordial accouchera une écriture hésitante, ancrée dans notre apprentissage de la vastitude du monde. De son encre qui s'écoule vient s'abreuver le ressenti amoureux, le doute, les rêves, l'abdication de toute certitude, de toute servitude. Le stylo ne se paie pas de mots, il affirme crânement sa fidélité et sa liberté au monde sans nulle contingence si ce n'est celle de son alter ego, l'homme.

Libre il demeure, sur le papier tel un funambule, il marche la tête haute faisant peu de cas des adorations et des hourras, libre il demeure dans l'ivresse vitale comme au bord du trépas. Libre il demeurera car c'est le dernier rempart à la folie des idéologies, de toutes les idéologies, le dernier abris de notre miséricorde liberté. Le stylo couché, c'est la retraite de toute humanité.

La forme c'est le fond qui remonte à la surface, disait l'autre. Ce stylo tout en raideur marche telles les traces de pas de l'humanité qui s'ancre en nous. Le stylo paie souvent le prix son effronterie, de son insoumission. La dette envers l'encre qui s'assèche s'efface devant l'abdication de toute humanité, s'efface devant la dette de sang. Ce rouge sang qui annihile le stylo multicolore est bien étrange, comme si un monde monochrome et morne faisait lâchement acte de défiance envers les mondes du stylo pleins de souffle, le souffle de la vie, le souffle de la liberté.

Son encre s'écoule délicatement entre les lignes immaculées. Une délicatesse qui n'est pas moins torrentielle de sensations, de ressentiments. Le stylo, la main, la feuille, un semblant de "je t'aime moi non plus" dans ce monde épars. Ce style-eau marie promptement l'élégance feutrée et les impétueux ruisseaux irriguant notre âme. D'un stylo l'autre, d'un pays l'autre, d'une civilisation l'autre, il est le langage de l'universel. Il est à bille ou à plumes, son encre en cage, non pas en cage, son encre libre est la voix indomptable de la civilisation. Ami de l'humanité trahie, bien étrange ce stylo dont l'appel tonitruant fait peu de cas d'une altérité supposée menaçante. En chœurs nous demeurons autour du stylo comme autour d'un feu, un feu dont le crépitement des flammes résonne loin, très loin.


Le stylo

Salomé Suares

C’est un cylindre en plastique, contenant un autre cylindre, contenant lui-même un liquide de couleur. Les deux cylindres se relient à l’une de leur extrémité  par une pyramide d’où sort le liquide. La pyramide c’est la mine. La mine du stylo. Le liquide c’est l’encre. L’encre qui coule, coule, coule, dessine, dit, révèle. L’encre qui se déverse, s’ancre, se grave, se lit, se déchiffre. Raison de rires, larmes et désaccords. Contre qui l’on s’insurge. Pour qui l’on se bat. L’encre qui coule, coule, coule.


LA PAGE
Flavien Bellec

Etrange lieu, ne demandant qu’à être rempli, investi, par on ne sait qui.

Page blanche, page vierge, au service de.

Elle a besoin. Besoin d’être souillée, coupée, arrachée.

Local des rêves et des utopies. Aussi fine qu’une pensée qui file en une après-midi.

La page, terre nouvelle, nouveau territoire.

Elle cherche à se construire, à établir ses règles, ses premiers habitants.

Quand les bateaux conquérants la remarquent à la longue vue, elle paraît loin et bien inespérée.

Ici, le premier mot a planté le drapeau et une civilisation de lettres s’invite à cette grande découverte. Dans une urgence incontrôlée et vite toutes se mettent à la page de leurs aînées.

La page, encore inviolée semble sage. Pleine d’un blanc à faire pâlir plus d’un. On se demande si ce fond blanc ne cache pas une autre forme, et si ce vide était le plein et si le blanc était le noir.

La page, unique parmi les milliards.

La page, qu’on lèche pour voir son dos.

La page, cornée pour se passer du marque page.

La page changeant l’humanité.

La page espace, lieu de rencontres.

La page, pays nouveau, parcelle du continent.

La page, hospitalière, soutenant les mots d’une force pure et verticale comme la charpente d’une maison.


LE STYLO
Arthur Foucaud

Mon corps est svelte; de minces striures blanches se reflètent sur ma peau d'ébène. Cachée par un casque arrondi, j'ai en guise de tête une plume d'or, agrémentée de petits sillons gravés, motifs floraux courbés vers les côtés. Je cache en mon sein une cartouche d'encre; munitions inépuisables qui viennent irriguer ma pointe, au moyen d'un ingénieux système de canaux.

Ma plume est d'acier, votre fusil de papier. La mienne dresse des nations, le votre tente de les faire tomber. Qu'est-ce que la mort face à la création ? Instinct animal d'un côté, de l'autre, perfection démiurgique.


LE STYLO BIC NOIR
Marie Fabry

Le stylo bic noir à pointe 7 mm et à tube transparent. Petits, nos corps nos têtes nos joies rebondissaient, infinis, sur une matière caoutchouteuse à l'issue des toboggans. Caoutchouc vecteur de la maturité, on l'a senti sous nos doigts au bord de la plume. Des couleurs des motifs du moelleux des rondeurs pour recevoir la douleur de l'appui qui tremble. Avant le grand saut du bic noir.

Celui qui est abrupte et lisse, auxquels nos phalangines s'agrippent comme à la branche d'une falaise quand on a dérapé sur les graviers et qu'on a peur du vide.

Le stylo bic noir à pointe 7 mm et à tube transparent. Planter les incisives dans l'interstice entre le tube transparent et la toute petite embouchure qui ferme le tube (symétriquement opposée à la mine par rapport au -i du bic). Coincer ses dents de lapin dans l'interstice, pousser l'embouchure vers l'intérieur de sa bouche jusqu'à ce que le deux parties se séparent. Pousser l'embouchure de sa langue pour l'amener jusqu'au bord des dents. Saisir l'embouchure entre son pouce et son index. Ouvrir la bouche plus grand. Déposer l'embouchure sur sa langue. Pas le côté rond. Le côté creux. Profiter de l'immédiate ventouse qui lie violemment l'embouchure au bout de la langue. pour caresser ses dents avec le bout rond. Tapoter dessus une mélodie intime. La prof a dit quelque chose d'intéressant. Ouvrir la bouche mettre grossièrement ses doigts dedans pour déventouser replanter l'embouchure essuyer ses doigts sur son jean et écrire les souvenirs sonores de concepts lointains.

Celui qui nous fait avoir peur pour nos commissures. Comme si en enlevant l'embouchure nous avions aspiré l'encre aussi loin que le mercure du thermomètre d'août.

Le stylo bic noir à pointe 7 mm et à tube transparent. 7milimètres, dans l'absolu, ne veulent rien dire. Mais le langage de l'encre est manichéen. T'es plutôt 5 ou t'es plutôt 7. T'aimes quand c'est gras et quand ça bave, quand c'est tellement foncé que ça semble violer la page, t'aimes montrer à tout le monde que t'assumes tout ce que tu peux écrire avec. Quoi que t'écrives, t'assumes. Le pire qui puisse arriver de toute façon c'est que tu rayes, que tu foutes encore plus de noir comme des bottes de caoutchouc sur le tapis où des gouttes de pisse sur la lunette.

Celui qui est honnête. Voit pas l'intérêt qu'a le orange de faire la fine bouche, de faire la prude, c'est pas comme ça qu'on a été élevés t'entends tout le monde se fout de toi ici. Orange en plus comme si ça suffisait pas comme ça. 

Le stylo bic noir à pointe 7 mm et à tube transparent. Celui dont on a jamais bien su quand est-ce qu'il était mort, comme le briquet. On pouvait tellement compter sur lui que ça nous était même pas venu à l'esprit qu'il pouvait nous lâcher bientôt. Un jour oui, mais là comme ça soudainement on l'avait pas vu venir. Sans gaz sans encre on les jette avec agacement parce qu'on pensait qu'ils pourraient encore nous dépanner un coup, ou même pire quelqu'un nous a demandé si on pouvait pas le dépanner on avait dit oui on était sûr de notre coup on savait qu'on l'avait y avait pas de raison la personne l'a vu elle a espéré elle a fait des gros sillons circulaires sur sa page des grandes caresses sous ses chaussures et elle est vraiment déçue, elle a perdu son temps, non mais je dois en avoir un autre attends, elle ne se souvient plus de la phrase exacte qu'elle voulait noter alors de toute façon ce n'est plus la peine, merci « quand même ». Encore pire la personne savait que d'autres gens que toi avaient un briquet et quand elle a demandé plusieurs ont tendu le leur mais moins vite alors ils ont tous rangé leur briquet dans leur poche en pensant que tu allait satisfaire la personne ils auraient bien aimé le faire eux même mais là c'est toi seule qui rentre une main vide dans ta poche en observant la personne qui frotte le briquet à la clope et le pouce au briquet en attendant la magie et là rien les gens ont senti que ça prenait plus de temps que d'habitude ils ont ressorti les mains de leur poche et tendu à nouveau leur briquet mais avant d'en prendre un elle t'a rendu le tien. Une dépouille. Ca aurait été malpoli de le jeter directement devant toi, alors elle te le rends, tu le remets dans ta poche. Mais puisque tu l'as remis dans ta poche tu vas bientôt croire que sa présence est légitime, qu'il marche, tu vas le tendre, encore et encore à des inconnus toujours plus déçus.

Celui que l'on aime avoir au cas où. Parce que parfois l'incapacité d'écrire est une situation aussi pénible que l'impossibilité d'uriner dignement.


mise à jour le 30 juin 2017


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