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Le stylo

Le stylo


LE STYLO
Sara Intili


Entre la stèle et le style, l'engagement de l'écriture au stylo est irréversible.
Le stylo est une forme qui prolonge l'idée coulant avec frénésie jusqu'à l'embouchure en flots de lettres.

Cet étroit tunnel transforme une vaporeuse pensée en un itinéraire d'ancrages.
Le upsilon, rivet qui assure l'équilibre de l'ensemble du mot, ressemble à un panneau-manifeste qui, de  sa courbe, creuse le bas pour qu'émerge l'invisible.

Souvent, tandis que l'encre s'achemine sous l'impulsive idée, le souffle se réchauffant, échauffant la pointe, pointant le papier, -le tout tonnant!-, le gosier d'ombres s'assèche et la pointe incisive suspend sa charge.
Et s'il faut sans cesse abreuver ce petit objet prolixe, peut-être n'est-il pas vain de raturer de temps à autre la page afin d'apprendre à écrire avec maîtrise.


LE STYLO
Pierre Duda


Le stylo est une arme à la pointe aiguisée,
Ne paye pas de mine mais perce de nombreux traits
Là où le stylet fait fléchir un homme,
La plume sape des murailles et dresse des cités

Il s’insurge et crache, bave et complote
Son venin corrosif plait aux langues habiles
Serpent droit esquissant de belles paroles sous de sombres dessins,
Tu grattes les maux d’écrits clairvoyants

Son métal froid brillant sous de belles lignes
S’émeut quand son encre se heurte à l’affable
Et si sa mitraille n’est chargée que d’une bille.
Elle touche à coup sûr et raye l’esclavage.

Quelle force de la nature que cet objet rutilant
Ses armés se cachent au fond de vos tiroirs
Et si par votre faute l’un glisse sous la table
Des millions se dressent et s’expriment à son instar.


LE STYLO
Valério Adami


Parfois seulement 30 centimes, mais ça n'a rien à voir ici : regardez sa sphère : imaginez ? essayez ! personne, tout seul, au bout d'une vie n'aboutirait à rien qui puisse approcher de cette perfection, pointe de symétrie où convergent et se reflètent les hémisphères universels : bien plus que tous les anges sur les épingles, l'humanité entière y danse sur la tête, et insensible au feu se dresse le stylo, victorieux étendard de notre espèce.
 

LE STYLO
Marie Romsee


Entre style et îlot le dictionnaire introduit stylo, ce simple résultat de la révolution industrielle de la plume, dansant perpétuellement sur la feuille et l'insultant de chiffres et de signes, de lettres et de lignes.
Comme une petite voiture ronronnante à laquelle on met de l'essence bleue ou noire quand il est à sec, il laisse parfois s'échapper un gaz noir fumeux sur sa route. Ainsi la petite cartouche ou la tache sur la page blanche durent-elles moins encore que la vague de calomnie éveillée sur son passage.
Enfin le stylo est TON stylo et retranscrit TON état de pensée à cet instant sur TON îlot. Le stylo peut TOUT écrire, TOUT faire. Avancer, reculer, raturer, souligner, tomber en panne, avancer à reculons, faire la grève, mettre un chapeau, s'essouffler, se plier, se rayer, saigner;  cependant il convient de ne pas trop s'appesantir sur le stylo car sans ton regard attentif, son style tombe à l'O".
   

LE STYLO
Flavien Bellec


Le stylo est un outil bien agréable, gentiment pointu, orphelin de sa baguette chinoise. Il se dresse entre le pouce et l’index, blotti, saisi, prêt à déverser.

Le stylo est comme un flingue que l’on sort de son étui pour combattre l’ennemi. Quand il n’a plus de balles alors on le recharge, on dégaine, on vise et on actionne le cran.
Dans le no man’s land de la page blanche, les mots morts s’empilent à chaque attaque, rondement mené.
Cimetière de lettres.

Parfois on alterne l’artillerie car plus l’ennemi est grand, plus il faut être prévoyant.
En bataillon face à l’autre page :
Stylo Bic, Kalachnikov !
Ancien stylet, fusil chargé !
Stylo Plume, mitraillette !
Et le style creuse des tranchées.
Debout!
On recharge les provisions de cartouches!
Boum! Pam! Pim ! Erk ! Oh ! Humph !

Le soldat tire ses balles comme le poète lance ses mots pour viser l’Autre en plein cœur.
Et après l’hymne, le champ de ruines.
Dans l’un les mots.
Dans l’un les morts.

Et les futures générations y trouveront toujours quelques reliques précieuses : un anneau d’or, un soleil levant, un père mort, un médaillon d’argent.

Le stylo dessine, la balle assassine, le stylo caresse, la balle transperce, les courbes d’une rive, les cibles humaines, tortueuses et infinies, affreuses et sans répit.

Sans balles point de guerre et sans mots point de paix.
Il est temps de laisser le sang d'encre doucement sécher car depuis longtemps il a bien trop coulé.


LE STYLO
Salomé Suares


C’est un cylindre en plastique, contenant un autre cylindre, contenant lui-même un liquide de couleur. Les deux cylindres se relient à l’une de leur extrémité  par une pyramide d’où sort le liquide. La pyramide c’est la mine. La mine du stylo. Le liquide c’est l’encre. L’encre qui coule, coule, coule, dessine, dit, révèle. L’encre qui se déverse, s’ancre, se grave, se lit, se déchiffre. Raison de rires, larmes et désaccords. Contre qui l’on s’insurge. Pour qui l’on se bat. L’encre qui coule, coule, coule.


LE STYLO
Camille Naze

 
Il a bien triste mine.
Son empreinte noire laisse plus de marques que prévu.
Aujourd'hui, je l'emprunte à mon tour,
ce stylo, objets de tous les dires, tolérables ou non.

Il laisse couler de l'encre au gré de nos mouvements.
On fait couler de l'encre, parfois couleur de sang,
Au nom de grands principes qu'on nomme liberté,
qu'il a du mal à défendre seul, mal armé de sa pauvre pointe.

Bien qu'elle fasse parfois grand mal elle se montre inoffensive.
Coupable seulement de permettre l'expression
sous toutes ses formes et ses sujets
sans hésiter une seconde, il est l'artiste qui n'a jamais peur.

Sa mine kamikaze toujours prête à une explosion de mots,
fait mine de tout dire sans pouvoir en être bien sûre.
C'est fort dommage en somme, les plus belles mines cachent les plus beaux trésors.
Or on a tort de faire de cette mine d'or une arme.
C'est un objet de liberté non une cible.
C'est pour lui permettre la beauté, permettre l'expression,
permettre enfin de dire non.

Non au silence et à nos pages blanches.
Non au déni des libertés.
Non à la fin de l'expression.

Du haut de sa frêle mine,
fier malgré tout,
le stylo en soldat d'un empire libre s'oppose à toute contrainte.
Il reste droit, il ne laisse rien passer...
Si ce n'est des mots qu'il encre à jamais.


mise à jour le 28 avril 2015


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