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Recherche, Vie étudiante

Laurelyne Ramboz nous parle de ses séjours de recherche à Montréal

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1.    Pouvez-vous résumer votre parcours universitaire depuis le bac ?

Après l’obtention de mon baccalauréat, je suis entrée en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), ce qui m’a permis de garder une formation étendue (multidisciplinaire) le plus longtemps possible malgré une spécialisation en langue anglaise. Pour cette raison, j’y suis restée 3 ans, avant d’entrer à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 en 2010, dans un master recherche en littérature anglaise (LLCE). J’ai d’abord validé mon master 1 en un an, puis mon master 2 en un peu plus de temps, en 2013. Il a très souvent été difficile pour moi d’opter pour une voie, ayant l’impression que cela impliquait d’abandonner tout le reste et de me restreindre ; je n’arrivais pas à faire le clair dans mon esprit pour choisir un parcours après mon master. Partir en traduction, décider d’enseigner, ou faire une thèse ? Je n’étais pas déterminée à emprunter la voie professorale, que, pendant de nombreuses années, je voulais éviter. Parallèlement, j’ai été professeure de soutien et coach, ce qui me plaisait, et je ne comprenais pas bien ce paradoxe.

En réalité, je crois aussi que j’étais perturbée par les différences énormes qui distinguent la structure des classes préparatoires de celle de l’université, si bien que je manquais de repères. Lors du master 2, aucun professeur n’a abordé avec nous l’idée de poursuivre une thèse alors même que nous étions des étudiants en parcours recherche. Et nous ne croisions pas non plus de doctorants qui auraient pu nous en parler. Avant les tous derniers moments de ma soutenance de M2 et le rendu du verdict, quand on m’a félicitée et invitée à poursuivre la recherche, je n’aurais jamais pensé avoir les capacités de faire une thèse. Cette porte soudain ouverte a remis beaucoup de choses en question ; j’étais sous le choc. Les délais pour poser un dossier de demande de contrat doctoral étaient déjà passés, je ne savais pas quoi faire. Je me retrouvais avec trop de réflexions pour que le chemin coule de source. Durant l’année qui a suivi (2013-2014), n’étant inscrite nulle part, j’ai mûri mes réflexions. J’ai ainsi préparé des « concours » de traduction, au cas où ce serait l’option que je choisirais au bout du compte, j’ai réfléchi aux implications qui découlaient d’une thèse (financement, durée, perspectives professionnelles, force personnelle…) et aussi au « problème » que représentait l’enseignement qui s’y rattachait également. En même temps, comme évoqué plus haut, depuis 2011, j’étais employée dans une entreprise spécialisée dans les cours particuliers et la formation, où je me suis beaucoup plus investie cette année-là. J’ai eu de nombreux d’élèves par semaine, en soutien et en formation (à différents concours post-bacs). Ce fut une véritable chance, car j’ai pu ainsi explorer vraiment l’enseignement de l’intérieur, bien que je n’aie pas eu de classes complètes (mais de très modestes et ponctuelles, pour les formations aux concours données à des groupes de 15 à 20 élèves). C’est grâce à cela que j’ai résolu mon paradoxe : j’ai compris que ce qui me bloquait était plutôt la peur, mais je me sentais capable d’enseigner.

Phénomène fréquent chez les littéraires, des idées, des obsessions revenaient dans mon quotidien, de sorte que j’ai trouvé des pistes pour un sujet de thèse pendant cette « césure ». Je demandai au bout de quelques mois, pour en discuter, un rendez-vous à mon éventuelle directrice qui, rapidement, comprit tout à fait où je voulais en venir ; ainsi, nous avons ensemble ébauché un projet de thèse. A l’automne 2014, je me suis donc inscrite en thèse dans mon département.


2.    Où est-ce que vous êtes partie et pendant combien de temps ? 

Pour ma cotutelle, je suis partie au Canada, à l’Université de Montréal, pendant deux ans. Au départ, une seule année sur place était prévue, mais, d’une part, le programme doctoral québécois était lourd, et, d’autre part, j’ai voulu tirer davantage de profit de mon séjour.
 

3.    Quelle place a pris cette mission dans votre doctorat ?

Une place fondamentale : ma thèse aurait vraiment été amputée, différente, sans ce séjour. Dès les préliminaires, nous avions déjà placé ce voyage au centre du projet. Le séjour à l’Université de Montréal (UdeM) cadrait vraiment avec mes envies, mes besoins, et le projet de thèse. Néanmoins, il y a souvent un fossé entre ce que l’on prévoit et la façon dont se déroulent les choses. Avec ma directrice française, nous avions envisagé entre 3 et 4 ans (plus probables) de thèse, au cours desquels je ne passerais qu’une seule année très dense à Montréal. Mais la quantité de choses à repérer, à gérer, à absorber, etc., n’avait pas été nécessairement bien évaluée, chacun gérant son vécu comme il le peut. Pour de multiples raisons, j’ai donc voulu allonger mon séjour d’une deuxième année.

D’abord, l’arrivée a été extrêmement intense et exténuante. J’étais littéralement ravie d’être là, surtout après avoir eu un départ difficile, et avoir craint de devoir annuler le voyage, mais j’avais sous-estimé la masse d’informations et de gestion, tant administrative, pratique qu’émotionnelle à laquelle j’allais faire face. Bien que la culture québécoise soit en partie francophone, je n’en ai pas moins été déroutée à de multiples reprises ; un déménagement à l’étranger reste un déménagement à l’étranger, et tout le quotidien est perturbé, en même temps que les repères à l’université.

Ensuite, j’ai découvert ce à quoi correspondait la formation doctorale que je n’avais abordée que sur papier. Les doctorants québécois ont une formation disciplinaire minimale obligatoire, répartie sur deux ans. Tout comme en master chez nous, chaque semestre, nous devons remplir un certain nombre de cours obligatoires, et valider des crédits. Pour ce faire, nous avons au minimum une présentation orale et un rendu final écrit pour chaque séminaire. A l’issue des deux ans a lieu un gros examen théorique et pratique de recherche qui vise à confirmer le choix du sujet, et les capacités du doctorant à chercher, problématiser et rédiger sa recherche. C’est un travail très conséquent, et l’envisager intégralement sur une seule année était trop ambitieux de sorte que j’ai eu besoin de plus de temps.

Arriver dans un nouveau système culturel, c’est tout reprendre à zéro. Quelles sont les consignes des exercices ? De quelle façon évalue-t-on les travaux ? Quel est le bagage intellectuel de référence attendu implicitement ? Les programmes, passionnants et exigeants, m’ont demandé de lire beaucoup chaque semaine, et de lire des textes théoriques, philosophiques etc. avec une grande précision. Parallèlement à cela, je me suis nécessairement interrogée sur ma place dans ce parcours : Qu’est-ce que la littérature comparée ? Quelles sont ses méthodes et techniques ? En effet, j’avais effectué une formation dans une autre discipline (littérature anglaise), et je me retrouvais avec des étudiants issus de master de littérature comparée. C’était pour moi étrange, nouveau, et je ne voulais pas demeurer en reste ; voulant me sentir légitime, j’ai pris très à cœur le travail disciplinaire obligatoire.

La richesse de ma présence sur place est plutôt difficile à quantifier et à exprimer. Je travaille sur un sujet (le spectre sonore dans la littérature) qui appelle de la pluridisciplinarité, et à Montréal se trouvaient de nombreux outils conceptuels dont j’avais besoin : j’y étais inscrite au département de « littérature comparée » et non de langue anglaise, pour obtenir un complément de formation, théorique, autonome, pluridisciplinaire. Or le département de l’UdeM est incroyablement fertile intellectuellement et flexible administrativement : on peut passer dans des branches disciplinaires plus ou moins distantes, comme s’il était le cœur d’un réseau (network). J’ai ainsi pu approcher des méthodes aussi bien littéraires, philosophico-conceptuelles, cinématiques, sonores, intermédiales, qu’éco-critiques, dans des cultures très variées, anglo-saxonnes, francophones, germanophones, lusophones et même arabophones ou persanes. Par ailleurs, la littérature comparée à Montréal est très différente de celle qui s’étudie en France et en Europe. Elle est beaucoup plus théorique et transdisciplinaire qu’appliquée à des études de textes dans 2 ou 3 langues (et cultures) différentes ; on y retrouve notamment une présence très forte de la French Theory, des études de genre très ancrées en Amérique du Nord, et de l’approche intermédiale.


4.    Quel a été votre rôle sur place ?

Quelle place a-t-on dans une université étrangère en tant que doctorant ? Comment s’insère-t-on dans un réseau préexistant ? Au départ c’était un peu effrayant : j’avais l’impression de tout recommencer à zéro. Il fallait de nouveau tout repérer : comment fonctionne le département, qui le dirige, qui informe les étudiants, qui sont les masterants, les doctorants, à qui demander du financement, où peut-on se retrouver (salles), quelles sont les spécialités de professeurs, des doctorants, où sont disponibles les informations sur les activités scientifiques (mails ? affichages ? quels couloirs ? etc.). Y a-t-il des laboratoires ? Où sont-ils ? La liste serait longue. Quand on a suivi sa formation sur plusieurs années dans une même université, on est déjà plus facilement au courant, ayant obtenu l’information progressivement. Quand on arrive dans un nouvel établissement (français ou non), on recommence ce repérage de base, qui prend du temps malgré tout. Quand en plus il s’agit d’un pays étranger, on doit aussi faire face à de nouvelles mises en forme de l’information, à d’autres façons de communiquer, etc. J’étais tellement soulagée d’avoir un contact privilégié avec mon co-directeur québécois, très disponible, pour pouvoir lui poser des questions au moindre problème.

Ce que j’ai énormément apprécié a été de pouvoir rencontrer des collègues très différents et très régulièrement. Les séminaires de la « formation obligatoire » font que nous nous voyons en groupe plusieurs fois par semaine, toutes les semaines : les séminaires durent trois heures, et nous pouvons discuter avant et après les cours, ainsi qu’en rendez-vous individuels avec les professeurs, qui se rendent très disponibles. Cette régularité et cette fréquentation rapprochée de doctorants (et de masterants même) de tous horizons (puisque, comme dit plus haut le département est une charnière multi-linguiste et culturelle, proche également du département d’arts et cinéma et d’études intermédiales) sont précieuses. Parler aussi souvent de son sujet, ou de contenus théoriques et pratiques, de textes littéraires, philosophiques, selon les spécialités de chacun augmente énormément l’émulation intellectuelle, apportant des références que l’on n’avait pas encore abordées, parfois directement en lien avec notre sujet, parfois complètement fortuites mais pertinentes. Être en contact direct avec des chercheurs qui peuvent travailler sur la même référence sonore par exemple (comme les travaux de Kittler) mais sur des corpus entièrement différents, des textes, des films, d’Europe ou d’Amérique latine produit une sorte d’effet de laboratoire ou de pépinière. Cela est bien plus concret que d’être seul devant son bureau, stimulé intellectuellement par les écrits de différents chercheurs étudiés parallèlement. Tout le monde n’adopte pas cette démarche avec la même intensité, chacun est libre de poursuivre ou non le séminaire avant ou après le cours, de venir au « 5 à 7 » québécois plus tard, de former des sessions de travail. Pour ma part, comme je suis une personne profondément curieuse et avide de connaissance, c’était pour moi un environnement rêvé, privilégié. Ce mode de fonctionnement peut aussi ouvrir des portes pour se constituer de nouvelles spécialités, ou envisager de futurs travaux de recherche.

Ainsi, contre toute attente, j’ai même réussi à organiser un colloque l’hiver de mon arrivée, avec des personnes que je connaissais donc à peine. La passion, l’audace, la chance, un ensemble de circonstances nous ont fait nous lancer en un délai vraiment court. C’était une occasion excellente de rencontrer de nombreux jeunes chercheurs ! Nous avons pu travailler avec des professeurs, des doctorants, des masterants, du Québec mais aussi d’Amérique du Nord, de France et de Belgique.


5.    Qu’est-ce que ce séjour vous a apporté, en termes professionnels et personnels ?

Je crois ne rien vous apprendre en disant que se rendre dans une Université étrangère apporte énormément au point de vue professionnel, à tous les niveaux. Nous rencontrons des professeurs, des doctorants, et autres collègues, en grande quantité, et très différents. Tous, qu’ils soient natifs ou étrangers, ont donc une autre mentalité, une autre formation, un autre rapport à l’autre, humainement et personnellement, mais aussi une autre vision de l’institution, de la recherche… L’apprentissage est considérable.
J’espère avoir déjà assez largement retracé dans les paragraphes ci-dessus les nombreux bénéfices que m’a apportés mon séjour. Mais si je peux encore en ajouter trois autres.

Premièrement, si j’ai d’abord insisté sur l’aspect humain et stimulant de la formation obligatoire, cette dernière demeure aussi avant tout un apprentissage intensif de notre métier de chercheur. On doit lire toujours plus, à des vitesses plus ou moins variables, apprendre à accélérer quand le besoin s’en refait sentir, savoir être mentalement flexible pour passer d’une approche à une autre (d’un texte écrit par un philosophe à un texte écrit par un sociologue, à un texte écrit par un anthropologue, à un texte écrit par un urbaniste… etc.), passer d’une langue à une autre également. De fait, on est amené ainsi à produire une réflexion sur des sujets hors de nos spécialités, et à poser des questions, savoir apporter quelque chose, et échanger. Aussi, on pratique de nouveau sa prise de parole orale, sa clarté, sa didactique de présentation, et, surtout, je crois que ce qui a été très marquant pour moi, ce fut de pratiquer l’écriture. Le point qui m’a le plus aidé, parce que c’est celui qui est le plus en retrait en France, c’est la rédaction : ne pas avoir à la gérer en solitaire, et avoir un cadre. Bien que certains doctorants rédigent des articles assez tôt, ce n’est pas le cas de tout le monde quand on est absorbé par sa bibliographie. Il est vraiment intéressant de pouvoir pratiquer sans pression, sans objectif de réussite pour avoir une sacro-sainte publication sur son CV. Avoir une recherche (qui peut aller jusqu’à 15-20 pages) à rédiger sur deux sujets entièrement différents en plus de sa thèse par semestre est très stimulant. On développe ses capacités à clarifier sa pensée, être synthétique, étoffer son vocabulaire, la pratique n’a pas d’équivalent, surtout à un rythme aussi régulier.

Deuxièmement, le département était pour moi comme un écosystème. Les étudiants y baignent dans un environnement fertile, en raison de la proximité administrative et disciplinaire. On vient au moins deux ou trois fois à la faculté par semaine, on est ensemble en séminaires, parfois à la bibliothèque, et on échange sur moult sujets divers. Ainsi, au lieu de devoir aller chercher en dehors de sa route des thèmes hors de sa thèse (études de genre, poésie dans toutes les langues, théâtre, art, cinéma, cultures étrangères), on les retrouve directement sur son chemin, on est au cœur d’un nœud de possibilités.

Troisièmement, il y avait aussi certains chercheurs que je cherchais spécifiquement à rencontrer, notamment Éric Méchoulan, un pilier des études intermédiales. J’ai pu assister à l’un de ses séminaires ; or, ça n’a pas de prix de pouvoir être en contact régulier avec un chercheur, de découvrir de l’intérieur sa méthode. D’autres surprises qui n’étaient pas prévues furent les rencontres avec son collègue Philippe Despoix, également spécialiste des questions intermédiales (entre autres), et avec Serge Cardinal, au parcours très particulier (issue d’une formation en sémiotique, aujourd’hui enseignant au département d’études cinématographiques), puits de connaissance dans les études sonores (pan crucial de mon sujet). Ces rencontres sont ce qui m’a le plus marquée, probablement, car le plan humain est inestimable. J’en retiens vraiment des moments d’échanges magnifiques, certains que j’aimerais poursuivre dans l’avenir, y compris avec des amis doctorants.


6.    D’autres remarques ?

Pour terminer, je dirais que ce milieu aux liens resserrés, et cette rencontre avec un autre univers culturel donne des ailes pour réfléchir à la forme que prennent les institutions et les laboratoires. On ne peut s’empêcher de les comparer à ce que l’on connaît, et à mettre en vis-à-vis l’organisation dans chacun des deux pays. Qu’est-ce qui fonctionne ou au contraire ne fonctionne pas ? Quelle solution serait la plus efficace pour régler tel problème ? Quels sont les éléments qui manquent ? Je crois que rencontrer autant de personnes nourrit la créativité pour agir et proposer des changements, et pour s’investir dans le milieu.


Type :
Portrait

mise à jour le 7 novembre 2017


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