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Jamais coups de fusil n’aboliront Liberté

Jamais coups de fusil n’aboliront Liberté - Jean-Marc De Jaeger

Ce « jour-là », « je prenais mon job et un café » (sans le rail de coke), paisiblement, au commencement d’une journée que j’attendais « normale ». Peinard, j’écoutais la radio et j’apprenais que la France n’était plus la cinquième puissance économique au monde. Dommage, pensais-je, même si, reprenant les paroles de Balavoine, je me disais « qu’on n’est pas les plus malheureux ». A côté de cette mauvaise nouvelle, j’ai pris connaissance des propos polémiques d’Emmanuel Macron, qui déclarait : « Il faut que les jeunes aient envie de devenir milliardaires. » Futile baratin. Puis, au milieu ce flux d’information, on annonça : « Une fusillade vient de se produire au siège de Charlie Hebdo, dans le 11e arrondissement de Paris ». J’entendis cela à 11h30. Une heure plus tard, j’étais sur place. J’arrivai sur le boulevard Richard Lenoir, à quelques stations de métro de la mienne et quelques minutes avant François Hollande. Je ne pouvais pas ne pas y aller. Mon départ s’est fait dans la précipitation, juste le temps de mettre mon appareil photo et mon calepin dans mon baluchon. Je voulais comprendre ce qui se passait et vivre l’événement au dedans. Une fois près des lieux, je compris la gravité des faits. La fusillade était devenue un attentat. Un changement sémantique qui a centuplé l’émotion populaire, la mienne par-dessus tout. Parce que les médias étaient tenus à l’écart, je m’informais par la radio, par Twitter, par les interventions d’officiers de presse et par les discussions de mes confrères. Ces derniers étaient largués et je l’étais moi-même. Chez moi, bien au chaud, j’en aurais appris tout autant. Mais une sorte de devoir m’a maintenu sur place.

« Un 747 s’est explosé dans mes fenêtres »

Le rapprochement avec le 11-Septembre, que les journalistes et les experts n’ont pas tardé à établir, m’a tout de suite semblé pertinent. Car les deux terroristes, ces barbares sortis des bas-fonds de la haine, venaient de s’en prendre à une valeur de notre pays : la liberté. Plus encore : la liberté de la presse. Or, en tant que citoyen et journaliste, comment ne pas se sentir attaqué soi-même, personnellement ? Au-delà de la France, ce sont toutes les démocraties qui se sont senties visées. Outre-Rhin, outre-Manche, outre-Atlantique, et même dans les démocraties bancales : partout les peuples ont refusé la terreur liberticide. Ce jour-là, il était juste de proclamer : « Nous sommes tous Français ».
Nous sommes Français car « Nous sommes Charlie ». Il n’est nul besoin de connaître les personnes abattues, ni même d’être un fervent lecteur de l’hebdomadaire, pour se sentir Charlie. Nous sommes Charlie car nous aimons rire pour (nous) rassurer, (nous) consoler et dissuader les sentiments néfastes. Nous sommes Charlie car nous pouvons râler, dénoncer, (s’) indigner, (se) moquer, (s’) émouvoir et caricaturer sans être réprimés. Autrement dit, comme « Le Figaro », nous défendons ce propos de Beaumarchais : « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». Nous, citoyens d’une République laïque mais tolérante, nous refusons que « les dieux, les religions [fassent] toujours de nous de la chair à canon ». En somme, nous aimons Charlie par détestation du totalitarisme, ce régime où il n’est pas permis d’avoir son libre-arbitre et où représenter nos représentants en guignols fait de nous de dangereux criminels.

« Ce pays que j’aimais tellement serait-il finalement colosse aux pieds d’argile » ?


Parce qu’il est loin d’être « bête et méchant », lui, le peuple de France s’est réuni de son plein chef. Spontanément, les femmes et les hommes affranchis ont reconquis la bien nommée place de la République, n’hésitant pas, parfois, à remettre un rendez-vous ou à sécher leur dernière heure de travail. Ils y sont allés parce que leurs semblables les ont appelés sur les réseaux sociaux, ces tocsins de l’ère numérique. Ensemble, ils ont voulu s’unir. Ils ont compris que « L’union fait la force ».
Il y a une beauté pleine de grandeur dans ce geste, comme une sorte d’instinct de survie toute humaine. Les Français, si individualistes, si préoccupés par leur pré-carré, dit-on, se sont parlé et regardé comme pour la première fois. C’est que l’urgence et le danger activent nos instincts d’animaux politiques. Dans une sorte de synergie, ils ont ajouté leur force individuelle à celle des autre pour relever la France. Oui ! Leur pays, malmené quelques heures plus tôt, ils l’ont relevé et mis plus haut qu’il ne l’était. Ils ont manifesté leur refus d’être « pulvérisés sur l’autel de la violence éternelle ». Parce que leur devoir les animait autant que leur amour du pays, ils ont « symbiosé » ensemble des heures durant. Et tout indiquait qu’ils étaient prêts à le faire toute la nuit. Nous savions, au soir de cette funeste journée, qu’elle allait marquer notre mémoire. Ce que nous ignorions, en revanche, c’était la suite des événements.

Article paru sur mon blog
 

mise à jour le 28 avril 2015


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