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HOPPER / La solitude de l’automate (Mohan PEI)

Notice


hopper
Edward Hopper, Automat, 1927. Des Moines Art Center, Iowa, États-Unis.
Source de l'image


Né en 1882 et mort en 1967, Edward Hopper était un artiste, peintre et graveur américain. Sa peinture se consacrait essentiellement à la représentation des oppositions entre l’homme et la nature, ainsi qu’aux relations entre l’homme et la société, dans un style réaliste et naturaliste. Nombre de ses tableaux dépeignent la vie et la scène françaises, suite à un long séjour qu’il fit à Paris entre 1906 et 1910 pour compléter sa formation. Il s’est aussi beaucoup consacré à la représentation de la vie quotidienne des masses américaines après son retour aux États-Unis.

Automat, que nous décrivons ici, date de 1927. Cette peinture est l’une des premières représentations de la solitude féminine chez Hopper, et caractérise en même temps son style de peinture, où le paysage et les personnages créent un sentiment de mélancolie.


Compte rendu (février 2023)

Cette peinture est d’une interminable solitude.

Le titre du tableau indique que la scène se déroule dans un automate¹, mais la première chose qu’on voit, c’est la femme au centre de la toile. Elle est à la fois centrale et légèrement décentrée, par le fait qu’elle se situe plus vers le coin inférieur droit de la toile. Elle porte un chapeau jaune sur la tête, qui reflète la lumière jaune au-dessus d’elle, le chauffage jaune dans le coin inférieur gauche et la chaise jaune à côté d’elle. Son manteau est vert, et contraste avec le jaune du chapeau. Elle porte une tenue exquise, se tient droite, et n’a enlevé qu’un seul de ses gants pour boire son café. Sa main gauche est en effet restée gantée ; elle porte la tasse de café dans sa main droite. Sa tenue chaude, ses gants semblent indiquer qu’il fait froid au dehors. Son expression lourde suggère qu’elle recherchait un endroit tranquille pour rassembler ses pensées ou ses inquiétudes. Que fait-elle, si élégante, si solitaire, dans cet endroit froid et sans vie, dans un automate plutôt que dans un café plus humain avec du personnel et du monde ? Dans un sens figuré, est-elle l’automate ?

En face d’elle, il y a une chaise vide. Cette chaise semble parler de l’attente inutile. Comme le tableau est immobile et immuable, la chaise vide accentue la solitude de la femme, sans personne pour lui tenir compagnie dans cet automate vide et impersonnel. Derrière elle se trouve une corbeille de fruits, le seul élément du tableau qui se rapporte à la nature. L’embellissement du lieu par la couleur des fruits semble apporter une touche humaine dans cet endroit artificiel, comme pour l’égayer, et peut-être pour attirer les clients. Cependant, l’assiette de fruits ne correspond pas à l’atmosphère de l’endroit. Derrière les fruits se trouve un miroir ou une fenêtre en verre, qui constitue également la toile de fond de l’ensemble du tableau. Or, bien qu'il y ait une lumière jaune au-dessus de ce fond, le reste du tableau est absolument noir et ne nous montre aucune image supplémentaire. L’automate est clairement dépeint comme un endroit mort et sans vie ; un produit de l’économie américaine en pleine croissance. La lumière jaune est une métaphore de la façon dont celle-ci infiltre la vie quotidienne des gens de l’époque : en voulant créer une atmosphère chaleureuse et accueillante, elle est cependant artificielle, comme les fruits sont artificiellement dressés en « nature morte » dans cette solitude générale. Ironie des couleurs donc, face au noir engloutissant du fond, miroir de la solitude, de la désolation et du silence de l’endroit. La vitre n’est qu’un panneau sans reflet, sans images, sans dehors, comme une porte invisible qui attend d’engloutir cette femme lorsqu’elle sortira.

Si je fixe ce tableau pendant plus d’une minute, je me sens triste et seul. Ce n’est pas une sensation que nous obtiendrions dans un café. Avec l’émergence et l’essor de la culture des salons, le café est devenu un lieu social où toutes sortes de personnes viennent échanger des idées. C’est un lieu de rencontres, de surprises, de joies, de séparations et de peines, un carrefour social, en quelque sorte. Chacun peut trouver sa place dans le café. Cependant, ce n’est pas ce qu’on trouve dans l’automate. Celui-ci a été créé comme un simple endroit de passage, répondant à un développement économique de plus en plus rapide et impersonnel, où il ne s’agit que de satisfaire les besoins des gens en matière de nourriture ou de shopping. Des gens devenus des automates, des êtres de passage sans vie et sans présence, comme la femme sur la toile de Hopper.

Lorsque la femme a choisi d’entrer dans l’automate et de s’asseoir pour boire son café, elle a ouvert la porte de la solitude et a fait corps avec l’endroit. Il n’est pas possible de deviner si c’est l'atmosphère solitaire et froide de l'automate qui attire la femme ou si c’est l’attitude de la femme qui rend l’automate encore plus solitaire. Il s’agit peut-être d’un effet réciproque. Ou peut-être d’un cycle. La femme est matériellement comblée par l’automate, et en même temps elle vend sa solitude, son corps, son temps et son âme vide à l’automate, aux gens de passage qu’on appelle les « clients ». C’est ainsi qu’elle est devenue une automate, et nous, automatiquement, nous achetons sa solitude.


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¹Le terme « automat » en anglais désigne un lieu où la distribution de nourriture est automatisée ; c’est une nouveauté qui apparait dans les années 1920 à New York.


mise à jour le 10 février 2023


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