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Histoire du changement linguistique et "rémanence"

Responsable: Claire Badiou-Monferran

La "rémanence" se définit comme la persistance d’un état après la disparition de sa cause. Or, jusqu’à la fin du siècle dernier, la quasi-totalité des histoires linguistiques (du français et/ou d’autres langues) se prévalaient d’être des histoires, non de ce qui perdure, persiste après la disparition de sa cause, mais de ce qui change (principalement, par analogie, par réanalyse, par grammaticalisation, par métaphore et métonymie, par émergence, ou encore par disparition). L’intérêt porté, au début des années 2000, en sciences du langage, à la problématique de la transmission, et l’avènement concomitant d’approches probabilistes se donnant pour tâche l’établissement de scénarios de survie, a inversé la perspective. Désormais, l’étude des facteurs de stabilité linguistique est jugée tout aussi importante que celle des modalités du changement. Dans ce cadre, la "rémanence" accède au statut d’objet d’étude émergent.

Deux sous-domaines des sciences du langage, celui de la typologie des langues (Nichols 2003) et celui de la sémantique lexicale (Honeste 2011), ont d’ores et déjà commencé à en produire l’analyse, avec des arrière-plans théoriques différents–structural pour l’approche typologique vs constructiviste pour l’approche sémantique. Prenant pour observatoire l’histoire de la langue française, les études conduites dans le cadre de cette opération se déploieront dans deux directions: l’une linguistique; l’autre stylistique.

 

 

Approche linguistique

Il sera proposé:

(i) de tester l’opérativité des approches à disposition (structurale et/ou constructiviste) de la rémanence pour les différents sous-domaines de la graphématique segmentale et suprasegmentale, de la morphophonologie, de la morphologie lexicale, de la syntaxe, de la sémantique lexicale et grammaticale, et de la textualité;

(ii) de déterminer si l’observatoire des phénomènes rémanents a vocation –ou non– à modifier les conclusions de l’analyste sur les phénomènes de changement; 

(iii) d’évaluer, dans le champ de la linguistique diachronique, la capacité des diverses modélisations à disposition (réanalyse, grammaticalisation, psychomécanique, grammaire de construction, constructivisme, émergence…) à intégrer au sein de leur théorie la question de la "rémanence" –voire, d’esquisser les contours de propositions théoriques et/ou méthodologiques alternatives

(iv) de documenter les conditions de visibilité /invisibilisation des phénomènes rémanents (par érosion phonétique, blanchiment sémantique, non-compositionnalité, linéarisation trompeuse, estompage énonciatif…), et d’en interroger les lieux d’exercice, les modalités, les formes (amnésie collective antérograde ? amnésie collective rétrograde ? autre ?) et la temporalité (ponctuelle en cas de "polygénèse" vs durable).

 

Approche stylistique

Pour la synchronie élargie du français moderne (XVIe-XXIe siècles), l’histoire des formes invitera dans le débat la notion de "rémanence" (au sens de Badiou-Monferran 2020), dans son opposition avec celle de "résurgence" (au sens de Neveu 2010). Si les produits rémanents sont des "reliquats", soit, des produits pérennes, résistant aux facteurs visant leur élimination (Badiou-Monferran 2020), les produits résurgents sont des "résidus", ie, des produits dépassés, ayant perdu tout ou partie de leur valeur d’usage (Badiou-Monferran 2020). L’opposition des "résidus" et des "reliquats" devrait permettre:

(i) d’introduire du jeu dans la notion d’"archaïsme", mobilisée jusqu’ici en toutes circonstances (alors que son fonctionnement est strictement résiduel)

(ii) d’affiner la typologie des "traces" dont se nourrit l’analyse stylistique (traces "directes" vs traces "indirectes" et, au sein de ces dernières, "indices" vs "empreintes"…)

(iii) de se doter d’un appareil conceptuel permettant de penser à nouveaux frais la transmission des textes (littéraires notamment).
 

Bibliographie

Badiou-Monferran, Claire, dir. (2020), "La rémanence, un concept opératoire pour les sciences du langage ?", Le français moderne 2020/2.

Honeste, Marie Luce (2011), "Le phénomène de rémanence et ses conséquences en sémantique lexicale à travers l’histoire du mot ‘opinion’", Le Français Préclassique, 1500-1650 13, p. 91-113.

Neveu, Franck, (2010), "Des états de langue à leur représentation. Le traitement de la notion d’archaïsme dans la grammaire française", in L. Himy-Piéri & S. Macé (eds.), Stylistique de l’archaïsme, colloque de Cerisy, septembre 2007, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, p. 67-87.

Nichols, Johanna (2003), "Diversity and Stability in Language", in B. Joseph et R. Janda (eds.), The Handbook of Historical Linguistics, Oxford, Blackwell Publishing, p. 282-310.

 

Liens connexes:

http://www.univ-paris3.fr/la-remanence-un-concept-operatoire-pour-la-linguistique-diachronique-le-cas-du-francais-649548.kjsp

http://www.univ-paris3.fr/des-traces-linguistiques-et-discursives-en-sciences-du-langage-702353.kjsp

http://www.univ-paris3.fr/remanence-de-l-ecrire-classique-en-regime-litteraire-contemporain-annees-1980-2020--735780.kjsp


Équipe

Membres titulaires: Claire Badiou-Monferran; Myriam Bergeron-Maguire; Evelyne Oppermann-Marsaux; Andrea Valentini

Membres associés: Emily Lombardero (Université Paris-Cité); Gabriella Parussa (Sorbonne Université); Sandrine Vaudrey Luigi (Université de Bourgogne)

Membres externes à l’équipe: Daniela Capin (Université de Strasbourg); Dominique Legallois (Sorbonne Nouvelle); Adrienne Petit (Université Lille3). 

Docteur.e: Camille Delattre (Sorbonne Nouvelle)

Doctorants de Clesthia: Perrine Beltran; Joachim Mileschi.

 

mise à jour le 24 janvier 2023


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