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Guillaume Soulez évoque son intervention dans le séminaire «Donner à voir la médecine» au sein du DIU «Médecine et Humanités»

le 15 mai 2013

Rencontre avec Guillaume Soulez, Arielle Kliffer et les étudiant(e)s de Paris V-Descartes du séminaire «Donner à voir la médecine» au sein du DIU «Médecine et Humanités» de Sorbonne Paris Cité

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"Je suis Professeur au Département Cinéma et audiovisuel de la Sorbonne Nouvelle, je m’intéresse notamment aux relations entre les films, les séries, les (web-)documentaires et la culture. La façon dont les films répondent aux enjeux culturels, historiques, sociaux et politiques et la question de ce que les spectateurs font avec les films, sont au coeur de ma réflexion. J’essaie de mettre en place une double analyse croisée que j’appelle «délibération des images».

C’est pourquoi j’ai tout de suite dit «oui» lorsque Hugues Marchal, alors responsable de la formation «DIU Médecine et Humanités» à la Sorbonne Nouvelle, m’a contacté pour me demander de proposer en duo un séminaire sur la représentation de la médecine au cinéma et dans les séries télévisées, car j’ai pensé que ce serait un bon terrain pour observer le regard d’étudiants qui ne sont pas de futurs spécialistes du cinéma mais de futurs spécialistes du thème des films lui-même, la médecine.

  • Qu’est-ce que le séminaire «Donner à voir la médecine» ?

C’est un séminaire destiné à des étudiants volontaires pour suivre le cursus «Médecine et Humanités»  de Sorbonne Paris Cité et qui ont réussi le concours d’entrée en médecine (ils sont donc au moins en deuxième année, souvent en troisième année ou plus). Il se compose de dix séances animées alternativement par le Docteur Arielle Kliffer et moi-même. Arielle Kliffer est connue pour avoir convoqué la pratique artistique dans le cadre hospitalier comme support pour les patients atteints de cancer afin de leur permettre d’exprimer quelque chose de leur désir et de modifier ainsi la relation aux soignants et plus largement la représentation que l’on a du malade. Cela s’inscrit dans un courant qu’on appelle parfois l’ «art-thérapie». C’est une façon pour les patients de retrouver une part de leur subjectivité et de rester « acteurs » de leur histoire dans une situation qui les condamne malheureusement bien souvent à subir, quand elle ne les transforme pas en «objet» de la maladie et des soins médicaux. Arielle Kliffer travaille donc avec les étudiants sur l’importance de la subjectivité dans la relation médecin-patient en conviant l’œuvre d’art comme médium pour explorer tout ce qui se joue autour du regard posé sur celle-ci : projection de l’observateur-soignant, expression de la subjectivité de l’artiste-patient, représentation culturelle de l’œuvre-maladie. L’art des images devient ainsi une voie d’accès pour de futurs médecins à une réflexion sensible sur la relation thérapeutique et ce qu’on appelle « l’alliance  thérapeutique » dans la prise en charge des maladies au long cours.

Or cette relation médecin-patient est bien sûr au coeur de nombreux films et séries, des infirmières et médecins empathiques d’Urgences au médecin misanthrope de Dr House, en passant par le Dr Treves qui a soigné Joseph Merrick (Elephant Man), notamment. Mais j’aborde les enjeux de la représentation de la médecine à travers les constructions culturelles (par exemple, il est tout simplement interdit de représenter un corps ouvert jusqu’au XIIIe s. en Occident du fait de l’interdiction de la dissection elle-même), c’est-à-dire à travers les constructions collectives. Quand, lorsqu’on filme une opération, on sépare encore aujourd’hui par le cadre et le montage le visage de celui qui est opéré de son corps ouvert, ou quand le corps opéré reste hors-champ, on respecte bien sûr des règles culturelles de représentation. De même, la diversité des appréciations du comportement de certains personnages de la série Grey’s Anatomy ou de Dr House renvoie chez les spectateurs - et chez les étudiants de ce séminaire - à des représentations sociales et des conceptions de la médecine ou de l’image variées.

Arielle Kliffer et moi-même essayons de nourrir cette double trame - subjectivation/représentations collectives - en faisant intervenir régulièrement des professionnels du champ artistique et des chercheurs qui ont travaillé sur tel ou tel aspect particulier de ces questions.

  • Quel est l’intérêt pédagogique d’une tel séminaire ?

Le principal intérêt pédagogique est de développer une réflexivité chez les étudiants, d’une manière complémentaire des autres enseignements qu’ils reçoivent dans le cadre du DIU «Médecines et Humanités». Pour l’essentiel, cette formation a pour but de sensibiliser les futurs médecins à des enjeux sociaux et éthiques liés à leur profession car une tendance actuelle, regrettable, de l’évolution de la profession, et des études de médecine en particulier, est de considérer le médecin comme un brillant scientifique trouvant une solution à un problème - on est loin des charlatans et autres Diafoirus de chez Molière - en oubliant qu’il s’agit d’abord d’une relation humaine. En faisant réfléchir les étudiants en médecine à leur rapport aux images, en particulier celles qui sont liées au corps et à la médecine, à partir de choix narratifs et de choix de mise en scène, on les aide à aborder de façon plus décontractée les enjeux éthiques, comme, par exemple, la distinction entre soigner (cure) et prendre soin (care). Du coup, les débats que suscitent en général l’attitude d’un personnage ou les choix d’un artiste ou cinéaste montrent le fort engagement des étudiants dans les questions soulevées, mais cela vient d’eux.

  • Quel premier bilan pouvez-vous tirer de cette initiative ?

S’ils partagent certains goûts des étudiants de leur âge, notamment pour les séries, le regard des étudiants en médecine sur les images proprement liées à la médecine est tout à fait spécifique. Je me souviens d’un étudiant qui, prolongeant ce que je disais sur la séparation entre le visage et le corps ouvert, m’avait fait remarqué que, dans la scène que j’analysais avec eux, plutôt que de montrer un corps ouvert directement, le metteur en scène avait choisi de montrer l’image de ce corps sur un moniteur de contrôle, introduisant ainsi une médiation visuelle, une image dans l’image, qui permettait de mieux supporter le caractère brut d’une telle représentation (c’était pourtant un épisode de fiction). La connaissance de la situation médicale réelle permettait à cet étudiant de saisir de façon très juste un enjeu de la représentation.

Une expérience que j’ai faite cette année est d’aller voir un film qui venait de sortir avec les étudiants, c’était Augustine (d’Alice Winocur) qui évoque les relations à la fin du XIXe s. entre Charcot et l’une de ses patientes dites «hystériques». Nous avons analysé «à chaud» le film, puis la semaine suivante en le comparant avec une version antérieure, moins spectaculaire mais peut-être plus juste sur certains points. Ceci leur a permis de mesurer l’apport du cinéma à la réflexion sur la médecine, mais aussi la capacité que nous avons tous à ressaisir nos impressions, pour peu que nous ayons quelques outils, afin d’en faire un objet de réflexion et de discussion. Pour conclure, je dirais que l’échange est véritablement productif parce que les étudiants sont avides, comme souvent, de «boîtes à outils» pour analyser les images et mettre des mots sur leurs expériences de spectateur (certains aimeraient même qu’il ne soit pas tout le temps question de médecine pour sortir de leur focalisation là-dessus toute l’année !), tandis que, en sens inverse, il est précieux pour l’enseignant de montrer comment un savoir déjà présent chez les étudiants, ou des interrogations informées quant aux enjeux de l’image, peuvent nourrir l’analyse."

  • Le point de vue d’Arielle Kliffer, médecin et conseillère en communication d’entreprises pour la santé

"A travers le support de la fiction ou de l’image en général, les étudiants peuvent exprimer et ressentir beaucoup plus librement leurs pensées, réflexions et affects que dans une approche "frontale" ou "descendante". C'est le fameux rôle du tiers et l’intérêt majeur de convier le monde sensoriel et sensible dans l’univers de la santé aujourd’hui très tourné vers les sciences et les biotechnologies. Ces futurs jeunes médecins peuvent du coup élaborer après coup et dans le temps leur propre questionnement et leur approche personnelle de ce qu’il en est du rapport au patient, au soin et à la  prise en charge thérapeutique. Comment ne pas garder un souvenir vif et ému de l'analyse des séquences d'Elephant man ? Comment ne pas repenser aux analyses de séquences de Grey's Anatomy avec Barbara Laborde qui est venue nous en parler ? Toutes ces analyses permettent de se questionner plus globalement sur le psychisme des  médecins, et donc sur leur subjectivité. Car la subjectivité du médecin est tout aussi importante que celle du patient. Le coté contemporain des séries télé est également formidable pour réfléchir aux représentations actuelles de la médecine, du soignant, des attentes des patients... Et si Augustine a été "cathartique", c’est sans doute lié au fait que le langage du désir à travers ses manifestations somatiques est à la fois subversif, fascinant et inspirant... !"

  • Trois étudiantes nous font partager leurs premières impressions de ce séminaire :

Marica :

"Cela m'a permis d'apprendre des choses que je n'aurais jamais apprises autrement... bref c’était bien pour ma " culture générale", mon ouverture d'esprit. Je ne vois pas encore ce que cela va m’apporter pour mon futur métier, mais l’année prochaine je serai externe et serai tous les jours auprès de malades, donc je ferai sûrement le lien à ce moment-là. J’envisage d’être psychiatre et l’étude d’Augustine m’a beaucoup plu et, peu après le travail en cours, on m’a justement offert le livre de Geoges Didi-Huberman, Invention de l'hystérie, avec une abondante iconographie de La Salpêtrière."

Elisa :

"Je trouve qu'il est important qu'un médecin soit cultivé pour pouvoir être humaniste. Il ne suffit pas d'avoir des cours de sciences sociales, d'éthique, et de "médecine" à proprement parler, pour comprendre les hommes. Je pense que l'image, le cinéma et l'audiovisuel sont un moyen détourné pour explorer la créativité des hommes, parfois leur inconscient, et ainsi comprendre les hommes à travers leur représentation du monde. Pour moi, c'est aussi dans les livres et dans les films que l'on se confronte au genre humain et à toutes les formes que prend la personnalité. C'est comme cela, pour moi, que l'on se forme une âme de soignant.

Ce cours nous permet d'avoir accès à une culture cinématographique qu'il est difficile d'appréhender seul, sans professionnels, quand nos études sont prenantes. L'analyse cinématographique est remplie de finesse et je comprends pourquoi on parle de «7ème art». De plus, avec les cours sur le care et Grey's Anatomy, c'est un moyen de prendre conscience des clichés médicaux dans l'imaginaire collectif, afin de les avoir à l'esprit pour mieux appréhender les comportements de nos patients, leurs angoisses, leurs questions et le regard qu'ils vont porter sur nous. Au sein du DIU, ce cours est complémentaire de celui sur la méthodologie littéraire je trouve. Il nous montre aussi ce que nous serons plus tard (quand nous avons travaillé sur le feuilleton documentaire d’Arte sur l’École de Médecine), ce que nous avons été (avec Augustine) et ce que nous sommes aujourd'hui, du moins notre représentation actuelle en tant que "médecin" (dans Grey's Anatomy). Le cours autour d’Augustine était passionnant car c’était comme un cours d’histoire de la médecine mais avec une pédagogie très appropriée : l'étude du schéma de construction du film, l'analyse du point de vue du médecin, le désir de la réalisatrice de mettre en avant tel ou tel point... et surtout l'évolution de la médecine depuis."

Marie :

"Je vais rarement voir une série ou un film pour son intérêt médical ou pour ce que ça pourrait m’apporter dans le cadre de mes études, même s’il est vrai que j’ai commencé à suivre Dr House ou Grey’s Anatomy en terminale ou en première année de médecine, quand mon projet d’avenir se faisait de plus en plus certain, davantage pour retrouver un monde que j’allais rejoindre, tout en ne me mettant pas vraiment à la place des personnages, car je savais que c’était loin de la réalité. Je m’en suis vraiment rendue compte en terminale, avec une légère déception, quand j’ai vu en stage que Necker était loin d’un hôpital américain de série télévisée ! Je continue cependant à regarder en portant plus d’intérêt à la recherche diagnostique ou aux problèmes éthiques soulevés en faisant le lien avec nos cours mais ça reste un moyen uniquement de détente.

J’ai choisi médecine pour le métier humain, le contact, mais pas pour les études avec uniquement des matières à apprendre par cœur, préférant de très loin la physique ou la philosophie. J’avais donc besoin de ce DIU pour m’échapper un peu du théorique, et replacer la médecine dans son contexte, dans ses rapports au monde. Ce cours particulièrement m’a intéressée puisque c’était exactement ça, replacer la médecine dans son contexte, étudier sa perception, les images véhiculées au sein de la société par les séries médicales qui ne cessent de se renouveler. Cela m’a permis de découvrir un monde et ses codes que je ne connaissais pas du tout et qui pourtant me plaît, d’apprendre un certain nombre de vérités et de me poser des questions sur ce que je regarde. Au sein du DIU, c’est quelque chose qui me semble irremplaçable et très intéressant, directement relié à des questions médicales mais avec un regard extérieur, une vue d’ensemble avec plus de recul, et un certain moyen d’évasion et de découverte. Je ne serais sans doute pas allée voir Augustine seule, et je n’ai pas tant apprécié le film sortant, lui trouvant une ambiance un peu malsaine, mais l’explication m’a permis par la suite de découvrir par le biais du cinéma une maladie et une histoire que je ne connaissais pas. C’était une méthode d’apprentissage par l’écran en replaçant la maladie dans son histoire et son évolution, et cela m’a énormément appris."


Type :
Portrait
Contact :
Sous-Direction de la Communication

mise à jour le 11 octobre 2017


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