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FREMIET / L’affrontement entre l’homme et l’animal (Aurore MOISAN)

Notice


fremiet
Emmanuel Fremiet, Le Dénicheur d’ours, 1886, Paris, Jardin des Plantes
Source de l’image : photo personnelle d’Aurore Moisan


Emmanuel Frémiet (1824-1910) est le neveu et l’élève du sculpteur François Rude. Se consacrant surtout aux statues équestres, Frémiet est devenu célèbre pour le Monument à Jeanne d’Arc à Paris et pour le Monument à Ferdinand de Lesseps à Suez. Il est également un habitué des commandes publiques : ainsi, il a notamment produit des œuvres sur le thème de Napoléon III au cours des années 1850. Il expose des bronzes représentant les bassets de Napoléon III, Ravageot et Ravagode, au Salon de 1853. Parallèlement à ses œuvres monumentales commandées par l’État, il est reconnu comme un excellent sculpteur animalier réaliste. Il débute comme lithographe scientifique (en ostéologie) et travaille dans l’atelier des peintres de la morgue. Son thème de prédilection est celui de l’affrontement entre l’Homme et la bête.

Fremiet est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts en 1892 et succède à Antoine-Louis Barye comme professeur de dessin animalier au Muséum national d’histoire naturelle à Paris. Il est membre de la Société des Artistes Français jusqu’en 1908.


Compte rendu (février 2022)


C’est au détour d’un petit chemin que je suis tombée avec surprise sur cette statue ; Le dénicheur d’Oursons. En effet, quel ne fut pas mon étonnement de découvrir une sculpture si admirable dans un endroit si reculé du Jardin ! Je m’étais pourtant déjà souvent promenée l’après-midi dans le Jardin des plantes, sans n’avoir encore jamais aperçu cette statue. La sculpture se trouve derrière les grandes serres du Jardin des Plantes, dans le 5ème arrondissement de Paris. Le chemin qui mène à elle, derrière les grandes Serres, est peu emprunté puisqu’on tend à penser que le parc s’arrête après les serres. Outre la surprise qu’a créé son emplacement inattendu, je pense que cette statue m’a également interpellée parce qu’elle se fond particulièrement bien dans le décor. En effet, elle semble faire partie intégrante de la végétation qui l’entoure. Le choix de l’emplacement reculé, qui semble tout d’abord contestable, apparaît alors sensé.

Cette statue de bronze, comme son nom l’indique, représente un homme qui pourchasse et tue les oursons. Cependant, nous n’apercevons pas au premier regard cet ourson tué et attaché à une corde. En effet, ce qui nous frappe d’abord, c’est le combat que sont en train de se livrer l’homme et l’ours. Nous observons un combat d’une extrême violence dans lequel un homme et un ours, tous deux dressés, s’affrontent. Ce n’est que lorsque nous apercevons l’ourson pendu à la ceinture de l’homme par une cordelette, que nous comprenons alors la cause du combat ; nous supposons ainsi que c’est une mère ourse attaquant l’homme qui a tué son petit. Bien que nous devinions la cause de ce combat, l’issue en reste pourtant inconnue : nous ne savons effectivement pas qui, de l’ourse ou de l’homme, gagnera. Nous pouvons cependant présager que l’issue ne sera heureuse pour aucun des deux attaquants. En effet, l’ourse a un poignard planté dans son cou tandis que l’homme est en train de succomber à la force animale. Les griffes de l’ourse sont en train de lacérer l’homme qui sera probablement bientôt mordu au cou.

Cette statue frappe, selon moi, le promeneur par sa vigueur. Cette vigueur témoigne d’un réalisme saisissant. En effet, Fremiet reproduit avec un réalisme minutieux la musculature de l’homme et le pelage de l’ourse. La technique du sculpteur est remarquable : c’est la réalité animée par les mouvements des deux personnages que nous percevons, et nous pourrions penser que le combat a réellement lieu en ce moment-même, au milieu de cette nature.

Cette statue est non seulement impressionnante, elle est aussi discursive. Elle raconte en effet l’histoire d’un combat et suggère implicitement un discours sur les puissances respectives de l’Homme et de l’animal. Ce discours peut alors être interprété de différentes manières. Le plus probant serait de l’interpréter comme un questionnement sur les limites de la puissance de l’Homme. Cette puissance est effectivement mise en rapport avec celle de l’animal : leurs deux forces s’affrontent et semblent être équivalentes. L’homme apparaît alors égal à l’animal, il ne représente plus une espèce toute puissante. La contextualisation historique de cette sculpture confirme cette interprétation, puisque le XIXème siècle est marqué par la théorie de Darwin. En effet, ce siècle est bouleversé par la thèse du scientifique selon laquelle l’Homme est un animal comme les autres. L’Homme ne serait donc plus la création magnifique de Dieu mais le résultat du processus de l’évolution. Tout comme l’animal, l’Homme doit alors lutter pour survivre. Nous savons par ailleurs que la lutte entre l’Homme et l’animal est le thème de prédilection de Fremiet. De nombreuses œuvres du XIXème siècle abordent aussi ce thème : nous pouvons notamment faire un rapprochement avec Auguste Caïn, un sculpteur animalier particulièrement réaliste. Cependant, le travail de Frémiet est plus centré autour de l’Homme tandis que Caïn ne représente parfois qu’une lutte entre deux animaux.

Et bien que les deux puissances semblent équivalentes ici, la sympathie du spectateur est dirigée vers l’animal. Ainsi, l’ourse a immédiatement retenu mon attention et toute ma compassion. Ce sentiment peut sembler paradoxal puisque l’expression de l’ourse est effrayante. Cependant, lorsque j’ai observé attentivement cette expression, je n’ai pu distinguer que de la souffrance. En effet, la gueule de l’animal est contractée par la douleur et ses yeux reflètent la peur qui le submerge. Il m’était donc impossible de ressentir autre chose que de la pitié. Peut-être que, si notre compassion est directement tournée vers l’ourse, c’est parce que c’est son expression que nous apercevons en premier. En effet, nous ne voyons le visage de l’Homme que dans un second temps, puisqu’il est tourné vers l’autre côté. Et bien que la crispation de son visage témoigne également d’une profonde angoisse, nous y lisons moins d’émotions que sur la gueule de l’ours. L’expression de l’Homme ne m’a non seulement pas touchée, je pense en outre que nous ne pouvons éprouver que de la répulsion à son égard puisqu’il est à l’origine de ce combat, comme le prouve l’ourson mort attaché à sa ceinture. Sa tenue accentue d’ailleurs ce retour aux instincts primaires et à la bestialité dans la mesure où il est quasiment nu.

Ainsi, cette sculpture m’est apparue comme une splendide œuvre d’art par sa vigueur mais surtout par l’histoire qu’elle raconte. Celle-ci appelle effectivement le spectateur à la réflexion quant à la limite de la puissance de l’Homme. Elle nous montre que si l’homme continue à mépriser et à agresser la nature sauvage, il la fera disparaître tout en disparaissant en même temps qu’elle. Elle appelle également à la compassion puisqu’on est incité à se mettre dans la peau de l’ourse et à éprouver la même souffrance que celle-ci… jusqu’à vouloir, peut-être enfin, décider de combattre pour la cause animale, au lieu de s’épuiser contre elle.


mise à jour le 11 février 2022


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