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« Femmes du désert » dans la littérature viatique (XIX-XXe siècles)

le 13 octobre 2022
 

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Organisation :

  • Adrien Bodiot (Université Sorbonne Nouvelle - THALIM) 
  • Betty Zeghdani (Université Paul Valéry, Montpellier 3 - RIRRA 21)


Programme [PDF - 1 Mo]


Comité scientifique : 

  • Corinne Saminadayar-Perrin (Université Paul Valéry, Montpellier 3 - RIRRA 21)
  • Sarga Moussa (CNRS - THALIM)
  • Elara Bertho (CNRS - LAM)
  • Philippe Baudorre (Université Bordeaux Montaigne - TELEM)

Présentation :

Dans la littérature de voyage française, le désert est traditionnellement représenté comme étant l’apanage de l’homme : les voyageurs et romanciers prêtent aux traversées caravanières des caractéristiques masculines, prônant ainsi un véritable modèle viriliste. Face à cet environnement difficile et mortifère, seule la « force » de l’homme est jugée capable de triompher de l’espace. « Ni femmes, ni faibles » ne semblent, selon Jean-Robert Henry, pouvoir survivre dans ce « monde d’hommes » où voyageurs et aventuriers côtoient cavaliers bédouins et autres cheikhs centenaires. De fait, les femmes qui vivent dans le désert semblent, quant à elles, très peu représentées dans le corpus viatique des XIXe et XXe siècles. 

Les travaux des gender studies ont montré qu’en dépit de cette division sexuée des espaces, le désert apparaissait aussi, dans la littérature viatique européenne, comme un lieu investi par les femmes. Certains ont notamment considéré que les représentations du paysage désertique étaient subordonnées à des principes genrés. Pour Natascha Ueckmann, « si le désert représente la quête existentielle de l’homme (surtout de l’homme de sexe masculin), les oasis tiennent lieu de retour œdipien dans le giron maternel, dans un espace sans conflits, stable et harmonieux ». Charlotte de Montigny a de son côté montré « le transfert du sable vers la féminité », analysant la manière dont les dunes sont généralement décrites avec des « formes érotiques tel un corps alangui ». D’autres ont mis en lumière certaines figures de voyageuses qui, dès le XIXe siècle, se sont aventurées dans le désert. Ainsi Ida Saint-Elme (1831) se considère-t-elle à l’issue de sa troisième expérience dans le désert comme une « femme nouvelle », « aguerrie aux feux d’un soleil de trente-cinq degrés, calme au désert, ne redoutant plus l’approche de l’hyène, ne frémissant plus au cri du jakal ». Monique Vérité et Patrick Hervé ont, quant à eux, coordonné une étude collective retraçant les itinéraires de quelques-unes de ces voyageuses au Sahara (Alexine Tinné, Isabelle Eberhardt, Magdeleine Wauthier et quelques autres).

Mais, qu’en est-il des femmes autochtones, nomades ou sédentaires, qui vivent au désert ? Dans les nombreuses études consacrées aux représentations du désert dans la littérature de voyage, elles semblent n’avoir été traitées que de manière parcellaire. Cette journée d’étude entend replacer ces femmes du désert au centre des discussions : ce champ de recherche à part entière, à la croisée des études viatiques, des études de genre et des études postcoloniales reste à explorer. 

Pour les voyageurs européens, les « femmes du désert » incarnent une forme d’altérité redoublée, qui est reconnue comme telle au sein même des sociétés orientales. Pensées dans leur opposition au type plus traditionnel de « la femme de harem », elles sont, tout comme les danseuses-prostituées et les esclaves, des figures marginales. La découverte de la féminité orientale est déterminée, dans les récits de voyage, par une dialectique du voilement et du dévoilement, de l’invisible et du visible. Nombreux sont les voyageurs qui découvrent que les femmes du désert ne sont pas voilées. Brutalement confronté, comme la majorité des voyageurs, à l’inaccessibilité visuelle des Égyptiennes, Michaud (1833) insiste, lors de la visite d’un camp de Bédouins, sur le privilège que l’absence de voile offre à la pulsion scopique du voyageur : « Comme elles étaient sans voile, nous pouvions voir leur teint hâlé, leurs dents blanches, leur nez épaté, leurs sourcils noirs, semblables à l’arc du croissant […]. » Dans son Voyage en Arabie (1780), l’explorateur Carsten Niebuhr note qu’elles « se font moins de peine d’entretenir un étranger et de se présenter devant lui le visage découvert ». Eugène Daumas, à propos des Ouled-Naïls, écrit enfin dans le Sahara algérien (1845) qu’« elles vont la figure découverte, comme toutes les femmes du désert ».

Les regards que portent voyageurs et voyageuses sur le mode d’existence de ces femmes divergent et sont largement tributaires d’un imaginaire contrasté des peuples du désert depuis le XVIIIe siècle. Sarga Moussa identifie, chez Buffon notamment, l’image caricaturale du nomade en « anticivilisé ». Certains voyageurs perçoivent les mœurs des populations du désert à travers le prisme de cet imaginaire de la barbarie : Olympe Audouard dénonce la pratique de la ceinture de chasteté pour les jeunes Bédouines qu’elle qualifie d’opération « horriblement douloureuse et d’une barbarie sans pareille ». D’autres voyageurs sont, au contraire, inspirés par un « imaginaire de la liberté ancré dans la figure du Bédouin » et à l’origine de certaines utopies sociales. Ils constatent que les femmes des tribus du désert jouissent d’une liberté et d’un pouvoir qui les élèvent au-dessus de la condition des femmes de harem. Paul Pandolfi a montré qu’il existait une forme de quasi synonymie entre « nomade » et « Touareg » tant ces derniers semblaient cristalliser les représentations du nomadisme. Dans cet imaginaire, le critique, en s’appuyant notamment sur Duveyrier, a souligné l’importance accordée à la puissance des Touarègues ; pour lui, une telle représentation a permis, du même coup, de témoigner de la place dégradée des femmes dans la société arabe sédentaire, l’éloge du nomade créant les conditions d’une dénonciation opportune, par comparaison, de « l’autre arabe ». Au-delà, Natascha Ueckmann observe que certaines voyageuses du XXe siècle, telles qu’Isabelle Eberhardt ou encore Yvonne Pagniez, associent la liberté et l’autorité extraordinaires des femmes nomades du désert à une « forme sociale hypothétique connue sous le nom de matriarcat ». Qu’elle suscite l’adhésion ou le rejet des voyageuses, celle-ci les amène, en tant que femmes, à s’interroger sur leur propre condition. En tout cas, ce modèle de puissance a fait des émules : dans l’entre-deux-guerres.

le roman se saisit de ce système de représentations et le porte à son paroxysme, Antinéa, la reine maléfique de l’Atlantide (1919), le roman de Pierre Benoit, l’attestant évidemment, tandis que la voyageuse et écrivaine Madeleine de Lyée de Belleau voit dans les Touaregs les « précurseurs du féminisme ». 

Pourtant, paradoxalement, les femmes du désert sont relativement peu visibles dans les textes. Tout comme les belles captives des harems princiers, elles semblent aux voyageurs inaccessibles, insaisissables. À Laghouat, dans le Sahara algérien, Fromentin les décrit comme des « formes » qui le fuient ; elles sont souvent vues à l’intérieur de leur « bassour » (sorte de palanquin) et n’apparaissent alors qu’au détour d’une étape. Il les décrit volontairement de loin, considérant avec respect qu’un peuple doit être observé à la distance qu’il le souhaite.    Fuyantes ou invisibles, elles gagnent en mystère ce qu’elles perdent en substance : leurs apparitions dans les textes semblent parfois davantage relever du rêve et du fantasme. On peut penser à la « pauvre bonne Zélah », cette « jeune Bédouine » qu’Ida Saint-Elme rencontre en plein désert et préfère fuir « dans l’intérêt de [son] roman », la « plus ample connaissance nui[sant] singulièrement aux illusions ». Baptistin Poujoulat se livrera, quelques années plus tard, à un tel exercice de mise en fiction dans La Bédouine (1840).  

Les femmes les plus visibles sont les Ouled-Naïls, des danseuses et prostituées, dont Patrick Aurousseau a bien montré comment Fromentin, Gide et Maupassant avaient véhiculé des stéréotypes à leur encontre. La femme visible au désert est ainsi celle qui s’illustre par sa négativité, en témoigne notamment les quelques propos de l’explorateur Ismaël Bouderba lorsqu’il rencontre « une vieille femme » : « La manière inopinée dont j’avais été abordé par cette femme, dans un pays pour moi inhabité, son affreux visage et son sans-façon, me firent un moment croire que j’étais le jouet d’un rêve ». La monstruosité, qualité du rêve et du fantastique, semble être une des caractéristiques de ces femmes dont la représentation paradoxale, présentes en tant que symboles de la puissance nomade et absentes « physiquement » des textes des voyageurs, manifeste un trouble chez ceux-ci. Complexes, ambiguës et paradoxales, les représentations de ces femmes du désert mettent voyageurs et voyageuses à l’épreuve et ont des enjeux à la fois idéologiques et esthétiques.  


Cette journée d’étude privilégiera l’analyse de textes relevant de la littérature viatique d’un long XIXe siècle (du Voyage en Syrie et en Égypte de Volney (1787) aux voyages de Théodore Monod et Odette du Puigaudeau dans les années 1930). Les propositions de communication devront porter sur des textes écrits en français par des voyageurs et des voyageuses. Toutefois, des références et des comparaisons à des textes de fiction, à des œuvres écrites dans d’autres langues, ainsi qu’à des sources proposant un « contre-regard » contrecarrant le regard colonial seront les bienvenues. Géographiquement, nous circonscrirons le « désert » à ses acceptions « orientales » et « méridionales » : les représentations des femmes des « déserts froids » pourront faire l’objet de remarques mais les communications ne sauraient porter exclusivement sur elles.

Nous accorderons un intérêt particulier aux approches interdisciplinaires ainsi qu’aux apports des études postcoloniales et des gender studies. Les propositions portant sur le regard des voyageuses seront notamment appréciées. Plus généralement, les communications pourront être développées à partir de ces quelques axes non exhaustifs : 

  1. Les représentations des femmes du désert dans la littérature de voyage : 

Quelles sont les femmes du désert qui sont représentées ? 
Quelles sont les modalités d’apparition de ces figures féminines dans les textes ? 
Sont-elles décrites de la même manière selon les lieux qu’elles investissent (oasis ou étendue) ?
Existe-t-il une iconographie des femmes du désert ? Quel lien l’image entretient-elle avec le texte ? 

  1. Le discours sur les femmes du désert dans la littérature de voyage : 

Les récits de voyage véhiculent-ils une image stéréotypée de la femme du désert ? Quel lien établir avec les clichés orientalistes de la femme orientale ? 
Ces représentations sont-elles portées par une ambition de type ethnographique ? En quoi un tel objet d’étude croise-t-il les prérogatives des sciences humaines et sociales qui connaissent leur développement à la fin du XIXe et au XXe siècles ? 

  1. Perspective genrée : la perception des femmes du désert par les voyageuses 

Les voyageuses portent-elles un regard spécifique sur les femmes du désert ? 
Dans quelle mesure la confrontation à un système social différent peut-elle susciter une réflexion sur leur propre condition en tant que femmes ? 

 

 

Type :
Colloque / Journée d'étude
Lieu(x) :
Maison de la Recherche
de l'Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
4 rue des Irlandais
Paris 75005
 
Partenaires :
 

mise à jour le 7 septembre 2022


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