ED 267 >> Infos utiles et textes >> Formation doctorale Arts & Médias
Ce séminaire co-organisé par l’École doctorale 267 de la Sorbonne Nouvelle et l’Université de Montréal propose les interventions de quatre enseignants-chercheurs, deux de l’Université de Montréal et deux de l’Université Sorbonne Nouvelle. Pour les étudiants de master qui choisissent ce séminaire, l’évaluation porte sur la réalisation de deux synthèses mettant en avant le contenu des séances, les perspectives méthodologiques et de recherche pour les deux séries de cours proposées par les enseignants canadiens (4 pages maximum pour chacune des synthèses).
Accompagner c’est, discrètement presque jusqu’à l’effacement, se tenir aux côtés de celle ou celui qui va son chemin. Ce n’est pas un acte de soutien concret qui entre dans des assignations de tâches, des protocoles de soin et qui requiert une attitude précise, c’est un plutôt un acte de présence voire un simple acte de pensée, impliquant une disponibilité et une sensibilité particulière. Savoir accompagner et se savoir accompagné fondent la confiance ontologique des êtres vulnérables que nous sommes. Mais cette disponibilité, cette sensibilité, ce savoir ténu se forgent, s’affinent sans cesse, parfois se perdent.
L’hypothèse que nous faisons est que le cinéma – et plus largement tout média capable de simuler une situation relationnelle - propose une expérience imaginaire d’accompagnement au spectateur et met à l’épreuve sa capacité d’accompagnement des personnages à travers des formes esthétiques, des marques énonciatives, des jeux d’acteurs. Cette expérience imaginaire permet d’explorer la complexité émotionnelle et morale de cette attention à l’autre et à soi qui a aussi suscité l’intérêt de chercheurs en sciences sociales ces dernières années. En tant qu’expérience imaginaire, elle s’inscrit enfin dans une histoire culturelle des sensibilités, et plus largement, dans une histoire de la socialité à l’ère de sa remédiation audiovisuelle.
« Richard Jewell : Richard Jewell ? » : pour une interprétation musicale des films
Dans Pursuits of Happiness : The Hollywood Comedy of Remarriage, Stanley Cavell affirme pratiquer une lecture des films apparentée à l’interprétation musicale. Comme un pianiste qui, en jouant une sonate de Beethoven, par exemple, s’attache à rendre compte de sa manière de l’entendre ou de la comprendre, ce que Cavell fait « quand [il lit] un film, c’est le jouer ». Sa lecture d’un film est d’autant plus proche d’une interprétation musicale, ajoute-t-il, qu’elle consiste à rendre compte de la manière dont un film se pense lui-même, et à montrer comment, par ce geste même, il pense les matériaux et les figures du cinéma, sa projection de notre monde ordinaire. Interpréter un film exige qu’on le laisse éduquer notre expérience esthétique, et qu’on le laisse ainsi nous accompagner dans la découverte de l’inner agenda de notre culture. N’est-ce pas la même idée que Clint Eastwood met en scène dans Richard Jewell (2019) ? Le personnage principal de son film ne pourra faire entendre sa voix ou la vérité de son existence qu’à la condition de donner la meilleure interprétation de lui-même.
C’est cette musicalité de l’analyse filmique que nous explorerons : si interpréter une œuvre musicale, c’est la jouer, peut-on imaginer que l’analyse et l’interprétation d’un film puissent consister à se rendre semblable à lui, à le mimer, à le jouer ? Il se pourrait que les pratiques musicales de la transcription ou de l’arrangement servent ici de modèle.
Cette musicalité de l’analyse filmique repose en grande partie sur la capacité de la description à dédoubler le film pour mieux l’analyser et l’interpréter ; c’est pourquoi notre exploration devra déterminer quel type de dédoublement produit l’interprétation musicale d’un film, et ce, en inscrivant son moment descriptif dans un champ de tension. Quels rapports entretient l’interprétation musicale d’un film avec la longue tradition de l’ekphrasis ? En quoi le rôle qu’elle accorde à la description est-il différent de celui qu’elle joue dans les méthodes d’analyse dominant les études cinématographiques ? Quelles différences entretient l’interprétation musicale d’un film avec l’essai audiovisuel ? Les réponses à ces questions permettront de découvrir un exercice supérieur de la recherche-création.
Et si, comme le soutient Stanley Cavell, le rapport de connaissance aux œuvres est l’une des activités que les sociétés se sont empressées de circonscrire ou de contrôler, alors il se pourrait que l’interprétation soit une affaire policière et politique. N’est-ce pas la deuxième leçon du film de Clint Eastwood, que l’interprétation musicale d’un film doit elle aussi tirer ?
En 2018 et 2019, le mouvement de protestation des Gilets jaunes s’est exprimé dans l’espace public de la rue et des ronds-points, ainsi que dans l’espace dématérialisé d’internet. Les premières mobilisations sont nées sur le web, au travers de pétitions en ligne et de prises de parole filmées. Elles se sont ensuite étendues grâce aux réseaux sociaux, avec la création de groupes Facebook et YouTube, et l’échange d’informations et de vidéos, pour certaines diffusées en direct, maintes fois reprises et commentées par les grands médias, conférant aux images une utilité dans le conflit en cours (communiquer, alerter, relayer). Dans le livre d’entretien Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire (2019), l’historien Gérard Noiriel a montré comment ce mouvement social « connecté » a contribué à de nouvelles organisations de l’action collective, « l’instantanéité des échanges restituant en partie la spontanéité des interactions en face-à-face d’autrefois », et dans une certaine mesure, à « l’émergence d’une nouvelle forme d’espace public intermédiaire ».
Partant des travaux consacrés aux « alternatives médiatiques » (ou « médiactivisme ») apparues dans le courant des années 2000, avec l’évolution des pratiques militantes, le développement du mouvement altermondialiste et l’essor d’internet (Dominique Cardon et Fabien Granjon, 2010), ainsi que des réflexions sur les « formes démocratiques de participation » (Joëlle Zask, 2011), je souhaiterais poser ici la question de l’appropriation des moyens audiovisuels par des actrices et des acteurs des luttes sociales et politiques et examiner les spécificités des représentations que leurs réalisations produisent et véhiculent, généralement en opposition avec des représentations dominantes. J’entends par là des cinéastes et des vidéastes amateurs, qui n’exercent pas un métier du cinéma ou de l’audiovisuel et ne disposent pas (ou peu) d’un savoir-faire technique. Comment un mouvement social se filme-t-il de l’intérieur ? Tel sera notre point de départ.
Pour ce faire, je proposerai un cheminement historique, des grévistes de Mai 68 au mouvement des « gilets jaunes », en passant par les luttes ouvrières et paysannes des années 1970, le conflit des cheminots de l’hiver 1995, les marches européennes contre le chômage et la précarité de la fin des années 1990 et le conflit de la Zad de Notre-Dame-des-Landes au milieu des années 2010, pour envisager et questionner les articulations possibles entre geste politique et geste cinématographique.
« Faire l’histoire du corps spectaculaire, entre écrans, scènes et dispositifs techniques »
Cet enseignement en trois axes vise à saisir les diverses manières dont la performance corporelle a pu être médiatisée par le cinéma et les médias audiovisuels, au croisement des scènes dites « populaires » et des modes de diffusion technique propres aux industries culturelles. En insistant sur l’examen de sources particulières (programmes, matériel promotionnel, scénarios, fonds photographiques), l’occasion sera donnée de repenser les fondements historiques et théoriques de certaines dimensions spectaculaires des productions audiovisuelles contemporaines, qu’il s’agisse de la place importante accordée de nos jours à la représentation de l’écoute « appareillée » dans les fictions cinématographiques et télévisuelles ou des modes de figuration des artistes chantant et dansant dans les spectacles diffusés sur les écrans.
Un premier axe se concentrera sur les débuts du cinéma, à travers l’étude des premières vedettes lancées par Pathé dans les années 1908-1915, comme Max Linder et Stacia Napierkowska. Les attractions gestuelles des corps comiques et chorégraphiques se voient alors intégrées dans des formes narratives où se reformulent leurs spécificités spectaculaires chargées de connotations culturelles et politiques ambivalentes (notamment en termes de Genre et de classe sociale), sans que le va-et-vient avec la scène ne soit oublié.
On s’intéressera ensuite, au fil d’un second axe, à la façon dont le cinéma, puis la télévision ont ouvert au cours des années 1930-1960 un dialogue explicite avec l’industrie du disque et de la radio, en mettant en scène la tension entre authenticité et virtualisation des performances humaines. Outre l’exemple américain des radio musicals, l’essentiel du corpus étudié consistera en des produits audiovisuels français, encore peu abordés, d’un long métrage dédié en 1931 à la chanteuse « réaliste » Damia aux émissions de variétés que la télévision hexagonale a consacrées dans l’après-guerre aux vedettes de « music-hall » (parmi lesquelles figurent de véritables stars de cinéma).
La prise en compte d’auteurs de la même époque, associés plus ou moins directement à la « Théorie critique » (comme Adorno, Brecht ou Eisler), révélera combien ces productions sont chargées d’ambiguïté dans le rapport qu’elles cherchent à engager avec leurs publics et dans le statut emblématique qu’elles accordent aux artistes scéniques. Cette problématique sera approfondie dans un troisième et dernier axe, qui envisage les modalités de représentation des techniques d’écoute – et de l’intertexte musical – dans le cinéma de la fin du 20e siècle. Cette investigation rendra possible la mise en évidence d’une tension plus large entre appropriation et aliénation dans les usages du rythme corporel au sein des sociétés industrialisées, en lien avec les fonctions attribuées aux dispositifs techniques qui médiatisent la relation à la performance spectaculaire.
Lectures recommandées :
- Laurent Guido, « Un rythme irrésistible : attraction et mimétisme corporel aux sources du dispositif cinématographique », 1895. Revue d’histoire du cinéma (Paris), n° 90, 2020, p. 10-39. https://doi.org/10.4000/1895.7696
- Laurent Guido, « Rythmes à la chaîne : figures critiques de l’écoute musicale (radio et disque) chez Godard », dans Antoine de Baecque et Gilles Mouëllic (dir.), Godard/Machines, Crisnée, Yellow Now, 2020, p. 101-123.
mise à jour le 10 janvier 2025