Pedro Guimarães est Professeur en Études Cinématographiques à l'Université de Campinas (Unicamp - Brésil) et docteur en Cinéma et Audiovisuel (Sorbonne Nouvelle, 2009). Fait partie de l'École Doctorale en Multimédia à la même université, où il fait des recherches sur les acteurs au cinéma, les genres et l'esthétique du cinéma classique et moderne. Auteur de Helena Ignez, actrice expérimentale (ACCRA/Univ. de Strasbourg, 2018) et organisateur du livre Douglas Sirk, o príncipe do melodrama (CCBB, 2012). Il a été chercheur associé au Laboratoire de recherches ACCRA (Approches contemporaines de la recherche et création artistique - Univ. de Strasbourg) et professeur invité à l'Ecole Normale Supérieure (ENS - Paris, 2022), à l' Université de Rennes 2 (2023) et à l'Universidad Autónoma Metropolitana (Mexico - DF, 2022). Chercheur du Conseil National du Développement Scientifique (CNPQ - Brésil)
L’esthétique du jeu d’acteur au cinéma
L’étude du jeu de l’acteur au cinéma, du point de vue historico-esthétique, n’est pas aussi ancien que ceux consacrés aux autres composantes de la mise en scène et du style filmique (le montage, la photographie, le son, les processus d’adaptation). Néanmoins, la façon dont les acteurs, professionnels ou amateurs, apparaissent dans un film détermine la façon dont ce film va être perçu et compris. Les études actorales tentent de poser des bases pour cette investigation visuelle et narrative, champs d’études développés avec plus de récurrence à partir des années 1980, notamment par des chercheurs français et américains. Ces trois conférences aborderont certaines perspectives de ce domaine de recherche, en essayant de poser des bases générales pour l’étude du corps et de la persona de l’acteur, ainsi que des propositions d’étude spécifiques de la gestuelle actorale et des manifestations de son image publique.
Séminaire 1 : Mardi 21 janvier 2025
La fondation d’un champ d’études : les études actorales
L’étude de l’acteur a longtemps été un champ dépourvu de grand intérêt par la théorie du cinéma. Il a fallu attendre 1988, avec Acting in the Cinema (James Naremore, en français Acteurs – Le jeu d’acteur de cinéma, tr. C. Viviani, 2014), pour que les bases générales ainsi que des analyses concrètes du jeu et de la persona d’acteurs de cinéma, notamment américain de la période classique, soient posés. Nous proposons un parcours épistémologique du champ, en abordant les écrits qui ont ouvert la voie pour les études actorales (Pudovkin, 1954 ; Morin, 1957 ; McGilligan, 1975 ; Gardies, 1980) ainsi que les principaux travaux publiés, plus récemment, en France et aux Etats-Unis : Pearson, 1992 ; Moullet, 1993 ; Nacache, 2005 ; Viviani, 2015 ; Baron/Carnicke, 2008. On utilisera comme exemple quelques analyses proposées par Naremore et Viviani.
Séminaire 2 : Mardi 28 janvier 2025
Les concepts généraux des études actorales
Cette conférence proposera quelques bases générales de l’analyse du jeu d’acteur du point de vue formel et esthétique. On abordera l’analyse des stars studies en côtoiement avec les acting studies (Morin, 1957 ; Dyer, 1979), le jeu histrionique du l’acteur du muet (Pearson, 1992), la dichotomie du jeu présentationnel / représentationnel (Naremore, 1988), le jeu selon la période (l’acteur moderne, Baron, 2016 ; Damour, 2016 ; l’acteur de blockbuster, Smith-Rowsey, 2018), le jeu selon les genres (De Cordova, 1991, Cornea, 2010) et les standards de jeu de l’acteur amateur (O’Rawe, 2023).
Séminaire 3 : Mardi 4 février 2025
Comment penser les acteurs issus d’autres cinémas
La plupart des concepts et des applications des études actorales tournent autour d’acteurs issus du cinéma classique américain ou du cinéma moderne US/Europe, ainsi que dans le cinéma de genre du modèle américain. Mais comment peut-on utiliser ces cadres conceptuels et analytiques pour penser les acteurs issus d’autres cinématographies et d’autres styles/école de jeu ? On analysera en détail le jeu de l’acteur du cinéma marginal brésilien et notamment celui de l’actrice brésilienne Helena Ignez.
Shiho Azuma est maîtresse de conférence de l’Université d’Osaka (Japon). Après une thèse de doctorat à l’Université Paris 3/ Sorbonne-Nouvelle en 2014 sur Chris Marker, elle continue sa recherche sur la relation entre l’esthétique et le social dans le cinéma documentaire. Elle est co-auteur de CinémAction n°165 Chris Marker: pionnier et novateur (Editions Charles Corlet, 2017), a publié plusieurs ouvrages collectif en japonais sur le cinéma de non fiction : Chris Marker, yûdô to Tôsô no cinéaste (Shinwasha, 2014), Jean Rouch, eizô jinruigaku no ekkyôsha (Shinwasha, 2019), Agnès Varda, ai to kioku no cinéaste (neoneo henshûshitsu, 2021), Sisô to shiteno anarchism (Ibunsha, 2024). Elle a été également membre du comité de sélection préliminaire à l’International Competition Yamagata Documentary Film Festival en 2015.
Le cinéma documentaire au Japon entre 1960 et 1980 autour de trois axes : les questions du politique, de l’histoire et de l’anthropologie sociale
Les années 1960 et 1970 ont marqué un tournant dans le cinéma japonais, d’où l’idée de privilégier cette période. Alors que le système des studios se fissure, les cinéastes de la « nouvelle vague japonaise » comme Nagisa Oshima, Kiju Yoshida et Toshio Matsumoto, recherchent de nouveaux modes d’expression. On observe également ce même phénomène dans le monde du cinéma documentaire. À cette époque, plusieurs cinéastes réalisent des documentaires de manière indépendante, en dehors des studios de production dominants, pour montrer à l’écran des sujets sociaux grâce à un nouveau langage cinématographique. Notre approche ici ne souhaite pas se limiter au cinéma, pour aborder aussi le domaine de la télévision où des producteurs comme Junichi Ushiyama et Toshiyuki Kudo permirent de créer des documentaires innovants. Les problématiques traitées dans ces œuvres sont encore d’actualité et on les retrouve dans les films contemporains japonais. Lors de ces trois séminaires, nous aborderons le cinéma documentaire japonais de 1960 à 1980 et son héritage en trois points, pour articuler les questions de politique, d’histoire et d’anthropologie sociale. Ces séminaires seront aussi l’occasion de discuter des débats et des travaux théoriques produits eu Japon ces dernières années sur l’approche du documentaire, mal connue en Europe.
Séminaire 1 : mardi 11 février 2025
Le militantisme de Shinsuke Ogawa et Noriaki Tsuchimoto
Lors de cette première séance, nous présenterons d’abord deux figures importantes dans l’histoire du cinéma documentaire japonais : Shinsuke Ogawa et Noriaki Tsuchimoto. Shinsuke Ogawa a commencé à faire des films sur les mouvements étudiants, puis sur la lutte contre la construction de l’aéroport international de Narita. La série de « Sanrizuka » qui documente la transition du mouvement social contre la construction de l’aéroport, ouvre finalement la voie vers une étude sur les paysans et leur quotidien. À la même époque, Noriaki Tsuchimoto a abordé le sujet de la pollution de Minamata, en enquêtant auprès des victimes pour présenter leur lutte contre l’industrie et le gouvernement, jugés responsables de ces carences. Tsuchimoto a consacré sa vie à documenter les vies des habitants de Minamata et sa conscience sociale et écologique a été approfondie dans de nombreux films s’attaquant au problème des centrales nucléaires au Japon. Après la présentation d’Ogawa et de Tsuchimoto, il s’agira de monter leurs influences respectives sur les documentaristes contemporains. Celles-ci sont particulièrement notables dans les films de Katsuhiko Fukuda, qui faisait partie de l’équipe de production d’Ogawa, Makoto Sato qui a filmé la vie du village d’Aga, autre région contaminée par la maladie de Minamata. Pourtant, ce dernier présente un point de vue plus personnel et plus proche de la forme du film d’essai qu’il conviendra de présenter.
Séminaire 2 : mardi 18 février 2025
En quête de l’histoire du colonialisme avec les documentaires télévisuels de Nagisa Oshima et Junichi Ushiyama
Cette deuxième séance sera consacrée aux documentaires à la télévision faits par Nagisa Oshima et Junichi Ushiyama. Oshima a produit quelques documentaires pour le petit écran, avec le producteur Junichi Ushiyama, pour montrer directement les images de la guerre et du colonialisme japonais à une audience cette fois élargie de spectateurs de télévision. Il est notable de constater que l’on retrouve l’influence d’Oshima et d’Ushiyama dans Level Five (1997) de Chris Marker. Nous nous proposons dès lors de revisiter ce film dans cette perspective. Puis il s’agira d’expliquer comment la quête de l’histoire oubliée du colonialisme est traitée dans les films de Yan Yonghi, qui aborde le sujet du dilemme identitaire des immigrants de Corée du Nord. Nous verrons également les films de Sumiko Haneda, une des pionnières du cinéaste féminin au Japon, qui explore la mémoire des immigrants en Mandchourie et celle du mouvement féministe japonais.
Séminaire 3 : mardi 25 février 2025
Le regard anthropologique de Shinkichi Noda et Toshiyuki Kudo
Cette troisième séance sera consacrée au regard ethnologique dans les films de Shinkichi Noda et Toshiyuki Kudo. Shinkichi Noda, qui débuta sa carrière en produisant des films sur commande puis participa au mouvement des films documentaires indépendants d’après-guerre. À partir des années 1970, il s’est concentré à travailler sur le fondement de l’anthropologie visuelle au Japon, en produisant des films sur les rites traditionnels des villages de Nagano. Cette approche ethnologique se retrouve également dans les documentaires à la télévision produits par Toshiyuki Kudo. Celui-ci a montré les paysages du Japon entre 1960 et 1980, comme un mélange de modernité et de tradition. À partir de ces expérimentations ethnologiques, ces deux cinéastes tentent de faire apparaître ce qui se cache derrière la prospérité alors économique du pays. Le regard âpre et critique sur la société contemporaine japonaise se retrouve dans les films de Hirokazu Koreeda (Palme d’Or à Cannes en 2018 pour « Une Affaire de famille », héritier de ce type de documentaires à la télévision, rendant hommage aux œuvres de Kudo.
Tami Williams est Professeure d’Études cinématographiques à l'Université du Wisconsin-Milwaukee et présidente sortant de Domitor – l’Association internationale de recherche sur le cinéma des premiers temps (2016-2024). Passionnée par l’intermédialité, ainsi que par les échanges interculturels, elle est l'auteur de Germaine Dulac : A Cinema of Sensations (2014), et la (co)éditrice de plusieurs livres, plus récemment, Crafts, Trades, and Techniques of Early Cinema (2024), Provenance and Early Cinema (2021), Germaine Dulac : Qu'est-ce que le cinéma ? (2019, récipient du 4e Prix du livre de cinéma du CNC en 2020), Global Cinema Networks (2018), Performing New Media, 1895-1915 (2014), ainsi d’un numéro spécial du journal The Moving Image sur « Le Cinéma des premiers temps et les archives » (2016). Elle a organisé de nombreuses rétrospectives internationales dont certaines à la Cinémathèque française, au Musée d'Orsay (Paris), Il Cinema Ritrovato (Bologne), Le Giornate del Cinema Muto (Pordenone), Greek Film Archive (Athènes), Library of Congress, National Gallery of Art (Washington D.C.), Columbia University et au Lincoln Center for the Arts (New York)]. Elle est également membre du Conseil Administratif de Women and Film History International.
« L’Idée visuelle » : le théâtre symboliste, la danse moderne, et la naissance du cinéma d’art en France de la Belle Époque
Paris de la Belle Époque était un centre cosmopolite vital pour une reconfiguration diversifiée de formes d’art suggestives apportant de nouveaux modèles picturaux, des compositions musicales innovantes et une rénovation théâtrale généralisée qui galvaniserait l’expressivité cinématographique intermédiale. S'appuyant sur une variété de sources d'archives et allant au-delà des discours établis de « spécificité » cinématographique, cette série de présentations explore l'enchevêtrement des trois arts de performance – théâtre symboliste, dance moderne, et le cinéma d’art naissant au début du 20e siècle, pour dévoiler non seulement un élan moderniste commun, mais aussi une histoire transnationale de discipline, d’audace et de défi des artistes de la scène, du jardin, et du cinéma. L’alignement de ces arts corporels et transitoires, picturaux et performatifs, modifie nos habitudes d’attention – non seulement dans la manière dont nous regardons le cinéma, en tant que cadrage, ou mise en scène de sensations, mais aussi dans la manière dont nous abordons et manifestons son histoire.
Séminaire 1 : Mardi 4 mars 2025
« Le Théâtre des idées » au carrefour naturaliste-symboliste : le théâtre moderne et le cinéma impressionniste (ou le faux idéal du cinéma contre le théâtre)
En partant de la disjonction historique paradoxale entre film et théâtre dans le discours critique sur le cinéma français des années 1920, cette présentation examine l'influence de la scénographie théâtral Moderniste, et plus spécifiquement Symboliste (principalement de Lugné-Poe, avec ses alliés synthétiste) sur les acteurs ou critiques dramatiques-devenues-cinéastes, comme Germaine Dulac et Marcel L’Herbier, ou encore Louis Delluc et Abel Gance. Au centre du carrefour « naturalo-symboliste », un dualisme stylistique préfigure l’hybridité du cinéma impressionniste (dans son alliance d’une fondation réaliste et d’une structure symboliste ou associative). Ces formes dramaturgiques et chorographiques serviront de modèle important non seulement pour les nouvelles relations auteur-spectateur, mais aussi pour la minimisation ou l’abstraction de l’intrigue, des décors, et de la performance pour les pionniers de la première avant-garde française.
Séminaire 2 : Mardi 11 mars 2025
« L’Idée en mouvement » : mobilités intermédiales, chorégraphies symbolistes et liberté sexuelle : Isadora Duncan, la danse moderne et les avant-gardes françaises des années 1920
À l’instar des gestes symbolistes et de la mise en scène du théâtre symboliste paneuropéen, les chorégraphies des danseurs modernes migrants ont joué un rôle crucial en préparant le terrain pour les premières pratiques « suggestives » et socialement progressistes des artistes des avant-gardes cinématographiques françaises. Alors qu’ Isadora Duncan (aux côtés de Loïe Fuller) — avec ses liens au théâtre symboliste — s'autorisait à peine à apparaître au cinéma, son modernisme — qui allie la nature et l’expressivité au corps social — constitue un modèle cinématographique génératif. Cette présentation explore l'influence de la danseuse américaine (avec ses « Isadorables ») et de ses disciples, Stasia Napierkowska, Ida Rubinstein et Djemil Anik, comme interprètes ou modèles de figuration et d'abstraction pour l'avant-garde française des années 1920.
Séminaire 3 : mardi 18 mars 2025
« Faire sentir l'idée » : Sensations symbolistes et le défi du synthétiste face à la spécificité cinématographique dans les avant-gardes 1920
À une époque où le nouveau médium était plus proche que jamais de remplir la promesse de la perspective grâce à la profondeur de champ cinématographique, le cinéma cherchait son inspiration dans l’abstraction des arts symbolistes. Des thèmes psychologiques véhiculés par un jeu entre surface et profondeur, premier plan et arrière-plan, contemplation abstraite et immersion perceptuelle, ont fourni un modèle dramaturgique et un spectateur crucial pour les cinéastes des années 1920 que nous explorons ici. La scénographie symboliste anticipait un large éventail de tendances cinématographiques expérimentales des années 1920 – du dadaïsme (Paris qui dort de René Clair en 1923) au surréalisme (La Coquille et le clergyman de Germaine Dulac, 1927), et de l’impressionnisme à l'abstraction. Elle annonçait un dualisme stylistique — ancré dans les cultures visuelles du naturalisme et du symbolisme — qui s'étend du réalisme poétique et de la nouvelle vague française au nouvel extrémisme français.
mise à jour le 1 juillet 2024