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Littérature
Ecrire contre : formes et usages de la conflictualité dans la littérature
« Même pas symbole, mais néant, je contre, je contre,/Je contre et te gave de chiens crevés,/En tonnes, vous m’entendez, en tonnes, je vous arracherai ce que vous m’avez refusé en grammes. » (Michaux)
« Vous ne pouvez pas être écrivain sans faire la guerre. » (Philippe Sollers)
Le Séminaire doctoral de Thalim portera l’année prochaine sur les modalités de la conflictualité en littérature : il s’agit de voir dans un premier temps sous quel régime s’écrit la geste guerrière d’un conflit, qu’il soit avéré historiquement, puisé dans l’actualité la plus brûlante, ou l’objet d’une élaboration fictive ou mythique, à l’image du Tombeau pour cinq cent mille soldats de Pierre Guyotat (1967), ou des Guérillères de Monique Wittig (1969). L’écriture de la conflictualité semble avoir historiquement imposé la forme et l’imaginaire de l’épopée comme étalon normatif à l’aune duquel le combat a acquis ses structures de lisibilité et d’intelligibilité : cette référence épique, sédimentée sur plusieurs siècles littéraires et aux usages évidemment protéiformes, pèse encore dans la littérature contemporaine, qui s’attache à en examiner de manière critique l’héritage pour en désamorcer les éventuels effets de pouvoir.
Nous proposons aussi de réfléchir à la façon dont le conflit peut prendre la forme d'un corps-à-corps politique. De fait, qu'il s'agisse de la « pétrification » du colonisé pris dans la gangue de l'ordre colonial (Memmi, 1957), des « échines écorchées par le fouet » des esclaves (Fanon, 1961), tout autant que de l'incorporation (Court, 2016), au sens propre comme au sens figuré, d'un genre normé, les ordres sociaux et politiques dominants s'inscrivent dans les corps et les refaçonnent. Raconter l'entrée en résistance des individus qui cherchent à s'en libérer, implique dès lors d'écrire les corps en lutte. Cela amène aussi à rendre compte des déplacements, des décentrements énonciatifs qui résultent de l'affrontement, et qui permettent de faire entendre la parole des adversaires a priori les plus fragiles du conflit.
Les corps humains ne sont par ailleurs pas les seuls à être pris dans des rapports conflictuels qui les marquent durablement. Nous aimerions ainsi étendre la notion de conflictualité à l'ensemble du vivant et du non-vivant, pour penser les tensions qui les traversent, et ouvrir ainsi la discussion à des communications qui adopteraient une perspective écopoétique sur le sujet. En effet, la crise écologique contemporaine nous force à prendre acte de l'apparition de nouveaux acteurs naturels dans le conflit à mesure que, comme le suggère Bruno Latour, « ce qui, jusqu’à maintenant, était resté tranquillement à l’arrière-plan – le paysage qui avait servi de cadre à tous les conflits humains – vient [...] rejoindre le combat. » (Latour, 2015)
Si ce séminaire sera donc sensible à toutes les propositions de communication abordant la mimèsis de la conflictualité, il ne saurait pour autant s’y réduire. La conflictualité peut également procéder d’un geste littéraire de dissidence, d’une position antagoniste de l’écriture qui s’édifie dans la désignation d’un adversaire politique, esthétique ou axiologique. Auquel cas, la conflictualité engage, ou implique, l’auctorialité qui l’actualise : aussi il s’agira de s’interroger sur la manière dont la conflictualité, que circonscrivent diverses modalités d’écriture (polémique, satirique, pratiques intertextuelles, écriture d’intervention, manifeste, etc.) construit un agôn (joute oratoire) littéraire dans lequel l’auteur.ice négocie une reconfiguration du partage policier du sensible, défait la naturalité des langages tout faits et des prêts-à-parler hégémoniques (voir Un œil en moins de Nathalie Quintane, 2018 ; Personne ne sort les fusils de Sandra Lucbert, 2020). Il s’agira, de manière générale, d’interroger diverses stratégies littéraires de combat, souvent situées à la jointure de l’acte militant, visant le sabotage ou la minoration de l’ordre social, symbolique et normatif, et luttant contre les assignations qu’il crée et perpétue, dans des pratiques spécifiques à chaque genre littéraire (poésie, théâtre, roman, intervention, mémoires, etc.).
Dans cette perspective, on sera notamment sensible aux interventions portant sur les corpus postcoloniaux. Reprenant l'expression de Salman Rushdie, Bill Ashcroft, Gareth Griffith et Helen Tiffin (1989), définissent ainsi comme « writing back », la façon dont les littératures postcoloniales se construisent en écrivant contre un pouvoir impérial. Elles s'affirment en revendiquant leur différence, leur écart par rapport aux normes en particulier linguistiques et esthétiques, ainsi qu’au canon littéraire imposés par l'empire. Dans ce contexte, le conflit se double par ailleurs d'une dimension géographique dans la mesure où il oppose le centre impérial à ses périphéries, « villes [faites] avec des loques », « forteresses faites exclusivement de remous et de secousses » contre lesquelles « l’ordre multimillénaire » s’érode en « sable sans raison » (Michaux).
Comme l’année dernière, après une première séance d’accueil des nouveaux doctorants et de présentation du sujet (prévue pour l’automne), les séances comporteront deux à trois interventions avec un thème commun : un membre du Laboratoire Thalim présidera chacune d’entre elles.
Les propositions pour une intervention d’une durée de 20-25 minutes, suivie d’une discussion, seront à envoyer d’ici le 5 décembre 2023. Elles devront comporter une présentation de 300 mots ainsi qu’une brève présentation bio-bibliographique.
5 février
25 mars
29 avril
27 mai
salle Mezzanine
Maison de la recherche 4, rue des Irlandais, Paris 75005
mise à jour le 11 janvier 2024