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« Don Quichotte à Barcelone » : rencontre avec Claude Jeanmart et Jordi Cerdà

24 mars 2011 - Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Séminaire de M1-LGC de Yen-Maï Tran-Gervat (« Don Quichotte en ses lectures »)

La salle 414 du centre Censier était pleine, ce jeudi 24 mars, pour une séance exceptionnelle, où étaient présents non seulement les étudiants du séminaire et leur enseignante, mais également des auditeurs venus à l'invitation des deux artistes.


Dans le cadre d'un séminaire de M1- recherche consacré aux différentes lectures (réception, approches critiques, traductions, adaptations) qu'a pu susciter le chef d'œuvre de Cervantès (El Ingenioso don Quijote de la Mancha, 1605), nous avions convié Claude Jeanmart et Jordi Cerdà, tous deux artistes-peintres et plasticiens, à nous exposer les principes de leur travail en commun sur « Don Quichotte à Barcelone », qui fit l'objet d'une exposition en 2005 et, plus récemment, d'un livre d'artistes dont les auteurs nous ont apporté les originaux, exposés le temps de leur conférence.


 Afin de situer ce travail commun dans son double contexte de création, chaque artiste a commencé par présenter son œuvre personnelle qui peut être appréciée sur leurs sites internet : www.jordi-cerda.com et www.claudejeanmart.com.

On retiendra pour ce compte rendu quelques points en rapport avec le sujet principal de la conférence, dont nous espérons qu'ils donneront envie à chacun d'aller voir de plus près le travail de ces deux artistes :

  • une recherche sur une écriture graphique et une exploration de différents matériaux picturaux.
  • un goût commun pour l'exploration de l'imaginaire, sa traduction en images  et pour  les questionnements qu'elle génère..
  •  un art réflexif en rapport parfois étroit avec la littérature, point de départ de l'imaginaire chez Claude Jeanmart (Leçons de ténèbres, Karel Kapek, Kafka, Casanova...), moyen d'expression chez Jordi Cerdà, sur des bases théoriques communes aux deux artistes, (réflexion linguistique, mise en question des stéréotypes, influence de Foucault et de Deleuze, proximité avec les surréalistes, exploration de la mise en abyme), une réflexion continue sur l'histoire de l'Art (baroque et romantisme notamment) : la littérature n'est jamais loin de la création ou de la performance plastique, à chaque moment de leur carrière.
  • Enfin, une collaboration fondée sur une amitié de longue date, entre Toulouse et Barcelone, qui a donné lieu depuis 2002 à la série « Parallélisme », dans laquelle s'inscrit le travail sur Don Quichotte. Les deux artistes travaillent ensemble, sans abdiquer leur identité propre : l'un lance une question plastique  à l'autre, qui lui propose une réponse, à laquelle le premier, à son tour, répond. Les questions portent sur l'histoire de l'art, sur le corps de la femme, sur les ombres, le « voilé-dévoilé »... À chaque fois, question et réponses sont mises en parallèle, laissant apparaître les choix plastiques de chacun.

 

 

Une série de « Parallélismes » porte sur des récits de Kafka (Le Château, La Métamorphose), dont « Un discours pour une académie », où Kafka s'est inspiré de Hoffmann, lui-même inspiré par « Le colloque des chiens » de Cervantès (Nouvelles exemplaires).


Intertextualité et dialogisme, goût du jeu littéraire et visuel, rôle fondamental du questionnement et de l'interprétation, mise en évidence de la multiplicité des points de vue possibles sur un même sujet : il semble bien, a posteriori, que Don Quichotte devait s'imposer à ces deux artistes ! Ce fut chose faite à l'occasion du quatre-centième anniversaire de la parution de la première partie du roman de Cervantès, en 2005.

Les artistes se concentrent sur les derniers chapitres de la seconde partie (parue en 1615), où le Chevalier à la Triste-figure se retrouve, au terme de ses pérégrinations, à Barcelone : c'est là qu'il visite l'imprimerie où fut publiée la fausse seconde partie (attribuée à Avellaneda) à laquelle les pages que nous lisons répondent ; là qu'il est fêté et brocardé par la population, à qui sa venue  a été annoncée ; là qu'il découvre la mer ; là aussi, sur la grande plage de Barcelone, qu'il est défait par le faux Chevalier de la Blanche Lune (Samson Carrasco) qui, du haut de son autorité de vainqueur, lui enjoint de rentrer dans son village et d'oublier la chevalerie errante.

C'est le même principe de « questions-réponses » propre aux « Parallélismes » qui est à l'œuvre dans cette approche à quatre mains des chapitres barcelonais de Don Quichotte. Les artistes insistent sur le fait qu'ils ne se sont pas livrés à un travail d'illustration, mais plutôt à une démarche d'appropriation : les moments du texte sur lesquels s'effectue le travail plastique sont choisis librement, privilégiant le dialogue artistique ; il s'agit en quelque sorte d'ajouter une « couche » de réflexivité esthétique et de créativité ludique personnelles aux enjeux narratifs et spéculatifs que pose déjà le texte à sa façon.

Jordi Cerdà, depuis Barcelone précisément, prend l'initiative de chaque « question » : s'appuyant sur l'édition Allanza (édition de référence en Espagne), dont les pages servent de support à chaque « tableau », il masque le texte en collant des éléments en rapport avec l'épisode raconté, empruntant notamment aux illustrateurs successifs de Cervantès (Gustave Doré, estampes du XIXe siècle, photogrammes de cinéma, Dalí...). Les « questions » de Jordi Cerdà apparaissent, dans le livre d'artistes, sur la page de droite. Claude Jeanmart y répond dans ce qui devient la page de gauche : utilisant pour sa part la palette graphique avec reprises à la plume et au grattoir, et le photo-montage, sur un support en rhodoïd qui permet éventuellement de voir le texte en transparence.


Les photographies de don Quichotte et Sancho en situation, qui ont servi pour les photo-montages, sont le fruit d'une mise en scène « maison », où Claude Jeanmart jouait Sancho et un ami peintre, créateur de sa propre armure en matériaux recyclés, incarnait don Quichotte : un « making of » plein d'humour nous a dévoilé les coulisses de ces prises de vue.

L'intégralité des planches de « Don Quichotte à Barcelone » est consultable en ligne :

http://www.claudejeanmart.com/DON-QUICHOTTE-A-BARCELONE,53,1,fr,fp.html

Nous en recommandons fortement la visite !

Nous tenons enfin à remercier vivement Claude Jeanmart et Jordi Cerdà de leur visite et des éclairages qu'ils ont contribué à nous donner sur la manière dont une réflexion esthétique profonde peut, comme dans le roman même de Cervantès, s'allier avec (voire passer par) l'esprit ludique et l'humour, à travers notamment la mise en place d'une véritable complicité, entre artistes par-delà la distance temporelle ou spatiale, mais aussi entre artistes et lecteurs-spectateurs.




mise à jour le 3 août 2011


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