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CLÉRAMBAULT / Léandre et Hero (v.1713) (Fabienne VIKTOROVITCH née BOJIDAROVITCH

Notice


Clérambault, Léandre et Hero, Ou la recherche d’une synthèse entre souplesse italienne et noblesse polyphonique française au service du Roi de France

Référence de l’œuvre: Louis-Nicolas Clérambault, Léandre et Hero, cantate composée vers 1713.


Louis-Nicolas Clérambault est un compositeur, organiste et claveciniste français né en 1676 à Paris, où il est mort en 1749. Il est le plus connu d’une grande famille de musiciens français, attachée au roi depuis le temps de Louis XI. Louis XIV lui donna le droit en 1710 d’imprimer et de faire graver toutes ses œuvres pour une durée de 15 années consécutives¹. Le genre de la cantate est promu au XVIIIème siècle à Paris, notamment par l’Abbé de Saint André des Arts qui donne chaque semaine chez lui un concert de musique italienne, et le Roi Soleil qui, vieillissant, danse moins et apprécie donc cette musique à écouter.

La cantate française² est écrite pour un chanteur soliste accompagné d’une basse continue (clavecin et viole de gambe) avec ou sans instruments mélodiques (« dessus ») obligés. Léandre et Héro est écrite pour soprane (voix haute de femme), traverso, violon et basse continue (composée d’un clavecin, d’une viole de gambe et éventuellement d’un théorbe).

  Résumé du mythe et adaptations :

Léandre et Héro est une cantate profane basée sur le mythe grec relatant la mort tragique de Léandre qui périt noyé en voulant aller rejoindre son amante Héro. Il fait ce trajet entre la rive asiatique de l’Hellespont et la rive européenne où l’attend Héro en haut d’une tour, une torche à la main chaque nuit. Lorsqu’elle voit son corps inanimé au pied du rocher après une nuit agitée, elle se jette à son tour dans les flots, rejoignant ainsi son amant pour l’éternité. Le récit de la mort de ces deux jeunes amoureux fut conté par Musée dit le grammairien, poète égyptien, dans un bref poème vers le cinquième siècle avant notre ère. À propos de cette même légende, Ovide écrit deux lettres d’amour dans les Héroïdes (Lettres XVIII et XIX) et, dans Les Géorgiques, Virgile parle du « feu cruel de l’amour qui brûle dans le corps »³.

Le jeu musical des instruments prend toute la place émotionnelle, les dissonances tordent le cœur, la flûte souligne les sentiments du personnage d’Héro. Le texte est quant à lui plein d’allusions poétiques, l’amour est « ardents soupirs », le vent « zéphyr », l’eau « onde », et le vent du nord fatal à Léandre « Borée ».

De nombreux peintres et musiciens ont repris le mythe, y compris des artistes du XXIème siècle comme Frédéric Tentelier qui, pour son exposition en 2014 Sous la surface des vagues mortes, raconte sa découverte du mythe à travers la cantate de Clérambault et son désir de « mettre l’audible en scène » (https://www.frederictentelier.com/souslasurfacedesvaguesmortes).


Compte rendu (février 2022)


J’ai écouté cette cantate pour la première fois peu avant les vacances d’été 2021. J’avais quelques années auparavant écouté la déchirante cantate religieuse de J. S. Bach Ich habe genug (1745) alors que nous habitions en Suisse allemande. J’en avais ressenti une vive décharge émotionnelle. L’écoute a suscité en moi le sens de la vue, l’appréhension de ce paysage mental alliée à l’ouïe se frayant un chemin jusqu’aux tréfonds de mon âme.
Léandre et Héro m’a touchée et a ravivé en moi cette mémoire émotionnelle ressentie pour Ich habe genug. Je n’étais pourtant pas dans une chapelle du XVIIIème siècle, et n’avais ni costumes ni musiciens devant moi. Je me trouvais simplement dans mon salon en train d’écouter ce morceau sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=-xs63fQLPLQ), mais le chemin émotionnel était creusé. L’entendre enfin jouer, dans la Chapelle Notre Dame des Anges à Paris en décembre 2021 a confirmé cette synesthésie à l’œuvre qui contredit les propos de Michel Serres dans son essai Musique⁴, qui voit « la pauvreté informative de l’image, la misère parfois de l’image, en comparaison de la richesse réellement inouïe de la Musique et du texte entendus », mais souligne la justesse de son propos lorsqu’il affirme que (la musique) « envahit âme et corps, emplit, sature les os. Immobilise, saisit, statufie, pétrifie (…) allume les sentiments, embrase les émotions, enflamme l’intelligence ».

L’écoute de la cantate a touché chez moi plusieurs cordes complémentaires : la réminiscence, l’onirique et le soulagement enfantin d’une fin « heureuse ».

Violon et clavecin entament la mélodie, rejoints bientôt par les traversos qui tirent sur l’émotion et donnent une couleur pastel à la gravité des deux autres instruments. Puis les trois instruments se répondent et la voix céleste de la soliste raconte les amours, le désespoir, et enfin la joie de voir les Dieux protéger l’amour par la mort des deux amants ainsi réunis. Il arrive que la dissonance se développe entre soliste et instruments pour mieux faire vivre émotionnellement la musique. J’oubliais d’écouter les paroles parfois, la musique prenant toute sa dimension de langage universel. La tonalité en Fa mineur (tonalité « triste ») lorsque Léandre s’élance dans l’eau laisse déjà entrevoir sa fin tragique.

La corde de la réminiscence d’amours déchues par les circonstances a résonné avec les maintes lectures de romans, j’attendais une certaine narration. La deuxième corde, celle de l’onirique est liée à la situation mythologique, et la troisième relative au soulagement était de manière assez enfantine, liée au pardon des dieux faits aux amants. En écoutant la cantate, l’acrostiche suivant m’est venu à l’esprit, comme si la musique était devenue poétesse :



L’effet de souffle des cordes qui soudain absorbe
Emotion, vibration et surgit le souvenir,
Abeausit⁵ la sensation, mais ouvre à une horde
Nouvelle de bouleversements sans coup férir.
Douce et triste rêverie las emportée !
Roule alors la fureur et se rompt mon lien
Et je me tourne comme Héro⁶ vers le divin

Echo d’un mythe grec connu, l’œuvre profane
Tisse le drame, l’espérance devenue diaphane

Hadès alors change l’hiver en été vivant
Et l’Amour joyeux, fait sonner son rire d’enfant
Récitatifs et airs m’ont transportée loin, haut
Oh merci Clérambault.


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¹ Je me réfère au livre de Bernard Bardet, Les violons de la musique de la Chambre du Roi, paru chez sfm, Lyon, 2016 : « Les Vingt-quatre violons » créés par Anne d’Autriche sont une pépinière d’où est sorti le compositeur Louis-Nicolas Clérambault, mais également la cantatrice Mlle Desmantins, ou le danseur Pierre Beauchamp.
² In David Tunley, Eighteen Century french cantata, Second edition, Clarendon Press Oxford, Oxforf, 2008
³ Je reprends les informations du site http://agora.qc.ca/thematiques/mort/Dossiers/Hero_et_Leandre
⁴ Michel Serres, Musique, l’écrivain se fait musicien et nous livre une philosophie de la musique qui incarne le vrai langage du monde et des vivants, Essais Le Pommier, Paris, 2011
⁵ S’abeausir : vient du langage maritime pour évoquer une météo qui devient plus clémente. J’ai voulu filer une métaphore marine en lien avec le mythe de Léandre et Héro, car si le souvenir de mes lectures d’amours déchues me faisait craindre le pire pour Héro, la musique m’avait réconfortée, une musique sonnant si parfaitement ne pouvait pas être complètement tragique.
⁶ Je fais bien référence au personnage d’Héro


Notice biographique


Fabienne Viktorovitch est professeure de lettres stagiaire (obtention du CAPES en 2020) après avoir exercé des responsabilités en ingénierie de la formation et en pédagogie dans le secteur privé auprès d’écoles post-bac et d’organismes consulaires. Elle a en charge deux classes de 5ème dans un collège parisien.


mise à jour le 10 février 2022


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