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CHRISTO / L’Arc de triomphe wrapped : redécouverte d’un monument parisien (Maxime LUCAS)

Notice


CHRISTO (1935-2020), de son vrai nom Christo Vladimiroff Javacheff, signe la plupart de ses œuvres avec son épouse. Le couple Christo & Jeanne-Claude est connu pour leurs empaquetages de monuments ainsi que d’autres installations ; ces œuvres temporaires nécessitent des mois si ce n’est des années de préparation et modifient le paysage mondial pendant une courte période. De l’empaquetage du Pont-Neuf à celui du Reichstag en passant par le Valley Curtain – rideau installé en Californie, le couple a laissé des traces dans le monde entier.


Compte rendu (février 2022)


Paris, septembre 2021. La place de l’Étoile est prise d’assaut. Alors que la circulation est encombrée, un peu plus qu’à l’ordinaire, des dizaines de regards curieux se tournent vers l’Arc de triomphe. De tous côtés sont déroulées progressivement des tentures blanches aux reflets bleutés. Des cordes rouges viennent bientôt soutenir le tout afin de les maintenir en place.
Parisiens ou non, passionnés d’art ou amateurs du dimanche, tous ont entendus – de près ou de loin – l’un ou l’autre commentaire sur la réalisation posthume du projet en hommage à Christo. « Je propose que l’on arrête d’emballer l’Arc de triomphe », affirmait sans ambages un architecte lors de la construction de cette installation éphémère. Nombre de gens restent en effet abasourdis que le projet ait pu être validé par la ville de Paris : plus de vingt mille mètres carrés de tissus ont été utilisés pour emballer le monument parisien ! En cette ère dominée par les préoccupations écologiques, cette réalisation semble présenter l’exemple même d’un inadmissible gâchis.
Elle était pourtant le grand rêve de l’artiste et de son épouse Jeanne-Claude.
En effet, depuis 1961, date de la première réalisation de ces monuments éphémères dans l’espace public, le couple rêve de recouvrir l’Arc de triomphe. Soixante ans plus tard, après bien des photomontages, des collages et des versions revues du projet, l’œuvre est finalement venue entourer le majestueux monument qui surplombe les Champs Élysées. C’est un rêve d’artiste qui devient enfin réalité.
Une réalité dure à apprécier pour certains. Tous les spectateurs semblent en effet avoir un avis bien tranché sur la question. Alors que je me trouvais aux pieds de cette immense installation aux couleurs de notre drapeau, j’écoutais les remarques autour de moi. « C’est moche », « ça sert à quoi ? ». Si d’aucuns semblaient apprécier le travail réalisé et féliciter les efforts que l’œuvre avait dû demander pour être réalisée, beaucoup restaient muets à ses pieds. Moi la première, les yeux levés vers cette tenture blanche, je me surprenais à ne pouvoir détourner les yeux sans d’abord pouvoir me l’expliquer. Plusieurs jours plus tard, je me renseignais en lisant des articles, des avis sur l’exposition de cette œuvre posthume, pour savoir si quelqu’un pouvait mettre des mots sur ce que j’éprouvais. Malheureusement, si les articles étaient nombreux, peu semblaient décrire l’effet que je ressentais : « car, au fond… il n’y a pas de fond, rien d’autre à en dire », énonçait le journaliste Mikaël Faujour. C’était aussi l’avis d’un de ses confrères américains, Sebastian Smee (« Once you have said ‘wow’ there’s little left to add »).
Pourtant, j’étais toujours intriguée. Je tentais donc de réfléchir plus profondément aux raisons ayant pu susciter en moi cette réaction indescriptible jusqu’alors. Car si j’étais surprise par la prouesse technique que représentait l’entreprise – mobilisant des années de préparation, des heures d’installations, et près de quatre-vingt cordistes en action –, autre chose m’interpellait. Je retournais donc, à tête reposée sur place. Mais cette fois, je ne m’approchais pas autant du monument. Je restais à distance pour tenter d’appréhender l’œuvre différemment. Laissant mon esprit vagabonder, je me rendis compte que, imperceptiblement d’abord, mon esprit tentait d’aller au-delà de la toile, au travers de cet emballage. Je tentais de me remémorer la pierre, la façon dont elle avait été sculptée, sa couleur, son caractère imposant. Se dressait alors sous mes yeux un portrait infidèle du monument parisien devant lequel j’étais pourtant déjà passée des dizaines de fois. Là, pour la première fois, je pris conscience de la portée de l’œuvre de Christo, ce sentiment qui s’imposait à moi depuis la première fois que je l’avais observée. En effet, là où bien des spectateurs voyaient l’expression d’un désir d’artiste à justifier, je voyais une volonté de faire apprécier différemment les œuvres qui existent déjà.
Combien de personnes passent en effet devant l’Arc de triomphe sans même le regarder ? Combien oublient la beauté de l’architecture qui les entoure sous prétexte de la côtoyer tous les jours ? Si l’œuvre de Christo n’a pas fait l’unanimité, je n’ai pourtant pu me résoudre aux arguments de ses détracteurs. Entre prouesses techniques et lien avec le passé qui nous entoure, le message que je retiens de cette œuvre est bien plus grand que la simple présence d’une toile sur un monument parisien ; il s’agit de faire prendre conscience de ce à côté de quoi nous passons tous les jours. Je comprends maintenant pourquoi je ne savais exprimer mes émotions par rapport à cette installation : il est paradoxal que cacher un monument permette aux spectateurs de le voir concrètement et réellement. C’est pour moi une des forces de l’Art, faire voir l’invisible, faire comprendre l’indicible.
Les dimensions du monument empaqueté sont aussi responsables de mon incapacité à m’exprimer. Avez-vous déjà levé les yeux quand vous vous trouviez aux pieds d’un monument de cette ampleur ? Vous êtes-vous déjà senti si petit face à l’importance de ce que cette architecture pouvait représenter ? Ce n’est pourtant pas seulement une question de taille, mais aussi d’aura. Ces monuments portent le poids des années sur leurs épaules, le poids des matériaux mis en place pour les construire, le poids des attentes que chacun pose dessus à chaque regard. L’Arc de triomphe trône sur les Champs-Élysées depuis 1836 : ce sont autant d’années que d’attentes qui reposent sur lui. Pourtant, à l’aide de simples tissus retenus par des cordes, Christo semble libérer le monument du poids de ce passé qui le cloue au sol. En effet, si l’on observe le monument drapé attentivement, le tissu bien que maintenu par les cordes est, grâce au jeu du vent, en perpétuel mouvement. Cette fluidité, cette légèreté que le tissu offre à l’Arc de triomphe semble ainsi le rendre libre.
Enfin, c’est aussi la blancheur dont est drapé le monument parisien qui semble lui apporter une sorte de renouveau, comme lui conférant une renaissance. Là où la pierre taillée portait les traces de son évolution, la blancheur du tissu semble la cacher aux yeux du monde. Est-ce pour autant une façon de nier le message que porte ce monument ? Je ne le pense pas. A mon avis, il s’agit au contraire de renouveler le message de l’Arc de triomphe, lui accorder de nouveau toute sa splendeur et permettre à tous ces regards, peut-être, d’inscrire leurs rêves sur cette nouvelle page blanche.
A la différence des critiques que je citais plus tôt, je ne pense donc pas que l’œuvre de Christo soit sans fondement, sans logique, ou encore qu’il n’y ait rien derrière, ou sous elle : au contraire, sous la toile se trouve l’arche et toute la symbolique qui l’entoure. Il ne s’agit pas de nier en cachant mais bien au contraire d’insuffler une nouvelle dimension plus artistique à la pierre qui existe déjà. Quoi de plus artistique en effet que changer le statut de la pierre par un simple bout de tissu ? L’œuvre de Christo permet aux spectateurs de prendre conscience de l’absent, faire voir ce que l’on ne peut plus regarder, mais montre aussi que tout peut toujours être renouvelé, modifié. À l’image d’un cadeau fait à Paris, l’emballage de l’Arc de triomphe permet son renouveau, et les Parisiens peuvent désormais redécouvrir la splendeur de ce monument qui ne s’est pas offert à leurs yeux pendant quelques jours. « J’ai voulu le transformer, faire d’un objet architectural, d’un objet d’inspiration pour les artistes, un objet d’art tout court. Qu’il devienne pour la première fois une sculpture, mais éphémère comme mon rêve », expliquait Christo, qui souhaitait que l’Arc de triomphe se suffise à lui-même, qu’il n’ait plus besoin des soubassements historiques pour justifier son existence. Et c’est maintenant chose faite.

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Christo et Jeanne Claude, Arc de Triomphe Wrapped, septembre 2021
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mise à jour le 10 février 2022


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