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Appel à contribution - Journée d'études Jean Terrasson

Philosophie applicable et fictions pratiques : l’exemple de Jean Terrasson (1670-1750)

Journée d’études

Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

EA 174 - Formes et idées de la Renaissance aux Lumières

Vendredi 10 mars 2017

Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie française, Jean Terrasson (1670-1750) est loin d’être un inconnu parmi les auteurs de son époque. En 1754, l’édition posthume de sa Philosophie applicable à tous les objets de l’esprit et de la raison commence par les « Réflexions » de d’Alembert « sur la personne et les ouvrages de M. l’Abbé Terrasson ». Deux lettres précèdent encore le début de La Philosophie applicable : la première lettre de Moncrif loue « le philosophe éclairé, le bon Citoyen, et l’homme que la douceur et la gaieté de son caractère rendaient aimable[1] » ; l’autre lettre, adressée par un anonyme à l’éditeur, décerne à Terrasson « le premier rang parmi les philosophes pratiques de son siècle » avant de détailler sa biographie (famille, études, amis, emplois et carrière) et de livrer des anecdotes plus intimes. Elles témoigneront bien de ce « génie singulier[2] » qui était celui de Terrasson, homme tranquille qui n’avait « aucune connaissance de ce qu’on appelle l’usage du monde[3] » : ne lui est-il pas arrivé de cheminer jusqu’au pont Saint-Michel en bonnet de nuit et en pantoufles tant il était « occupé d’Homère » ? C’est qu’il s’était plongé dans les textes anciens, pour mieux défendre les Modernes, doit-on d’emblée préciser.

D’Alembert rappelle que Terrasson se fait connaître en 1715, « dans le fort de la dispute d’Homère », lorsqu’il donne La Dissertation critique sur l’Iliade d’Homère. En 1716 paraît L’Addition […] pour servir de réponse à la préface de M. Dacier. Pour ce qui est de la liste des œuvres, d’Alembert mentionne ensuite les lettres que Terrasson consacre au système de Law en 1720. « Il semblait que M. l’Abbé Terrasson fût destiné à s’exercer sur les genres les plus opposés[4] », précise-t-il au moment de présenter le livre le plus célèbre de Terrasson, le roman Séthos paru en 1731. Le recensement bibliographique de d’Alembert s’achève avec la mention de la traduction de Diodore de Sicile (1737-1744). Bien que son nom ne figure pas sur la page de titre de l’exemplaire conservé à la Bibliothèque nationale de France, on attribue encore à Terrasson la rédaction d’un « Mémoire pour servir à justifier la Compagnie des Indes contre la censure des casuistes qui la condamnent » (1720). Sciences, philosophie, belles-lettres, histoire et économie, Terrasson s’est intéressé à de multiples sujets. Géomètre de formation, il a aussi été professeur de philosophie grecque et latine au Collège Royal.

La dernière publication d’un texte ouvertement reconnu par Terrasson date de 1813, lorsque Boucher de la Richarderie entreprend de donner une édition « revue et corrigée » de Séthos, histoire ou vie tirée des monuments anecdotes de l’ancienne Égypte, traduite d’un manuscrit grec (texte réédité déjà en 1794 et 1767, traduit en italien en 1734). La notice de Boucher de la Richarderie permet d’apprécier la notoriété de Terrasson quelques décennies après sa mort : elle souligne les « principes d’indépendance philosophique puisés dans [le] commerce avec Fontenelle », signale « la clarté » et le « naturel » de son style. Boucher de la Richarderie revient surtout sur la « fortune » de Séthos expliquant que le jugement positif porté par d’Alembert, joint à l’influence de « l’esprit philosophique qui s’était répandu dans presque toutes les classes de la nation française, vers le milieu du dix-huitième siècle », a permis de revaloriser un roman qui avait initialement reçu un accueil mitigé (sévère même pour ce qui est de Voltaire, évoquant dans une lettre privée « le méchant livre » de Terrasson). Au début du XIXe siècle le regain d’intérêt pour Séthos s’explique aussi par l’engouement suscité par l’Égypte après la campagne de Napoléon Ier : Terrasson est perçu comme un précurseur qui « a répandu de grandes lumières sur l’antique Égypte, sur son gouvernement, sa religion, ses établissements en faveur des sciences[5] ». 

Après la notice de Boucher de la Richarderie, le champ paraissait ouvert pour d’autres recherches. Elles ne seront jamais menées, ni dans la suite du XIXe siècle ni au XXe siècle : aucune monographie, aucune édition moderne, aucune thèse[6] entreprise. Dans son ensemble l’œuvre de Terrasson paraît avoir été oubliée. Le Roman pédagogique de Fénélon à Rousseau (1978) de Robert Granderoute développe toutefois de précieuses analyses au sujet de Séthos : envisagé dans la catégorie du « roman héroïque d’institution princière », il est rapporté au modèle fénelonien des Aventures de Télémaque (1699) et aux Voyages de Cyrus (1727) de Ramsay. Robert Granderoute note l’ « allure savante » de Séthos avec son « tableau précis et documenté de l’Égypte » mais il s’emploie surtout à commenter « la multiplicité et la diversité des relations pédagogiques[7] », entre Séthos (jeune) et ses précepteurs, entre Séthos (plus expérimenté) et tous les hommes qu’il entreprend lui-même de former. Dans Livre et lecture dans les romans français du XVIIIe siècle (2002), Nathalie Ferrand met aussi l’accent sur la portée didactique du roman, montrant comment il sous-tend une « vaste leçon de lecture[8] ».

En 2007 le nom de Terrasson réapparait dans les catalogues des bibliothèques, là où on ne l’attendait pas vraiment : non pour une nouvelle édition de Séthos, non pour une étude critique, mais pour un texte de philosophie, longtemps attribué à Malebranche. Responsable de l’édition scientifique du Traité de l’infini créé (1769), Antonella Del Prete justifie dans une ample introduction l’hypothèse selon laquelle ce texte aurait été le fait de Terrasson. La présentation qu’elle entame d’une œuvre supposément écrite par Terrasson nous semble devoir être relayée par d’autres travaux.

La journée d’études se propose de suivre trois orientations complémentaires :

1/ mettre en lumière les trois principaux textes de Terrasson – La Dissertation critique sur l’Iliade d’Homère et son Addition (1715-1716), Séthos (1731) et La Philosophie applicable à tous les objets de l’esprit et de la raison – que ce soit pour faire valoir les spécificités de chacun, ou pour les appréhender dans leur ensemble, ensemble dont la cohérence mérite d’être questionnée, tant d’un livre à l’autre les formes, les inspirations et les styles diffèrent.

2/ souligner l’importance dans l’œuvre d’une veine morale ; sous la plume de Terrasson, les termes de « bienfait », de « devoir », l’expression d’une « utilité publique » reviennent constamment car c’est à la satisfaction du plus grand nombre que les hommes doivent s’attacher, le premier dix-huitième siècle voit bien naître les prémisses de l’utilitarisme. Plus précisément, Terrasson interroge la fonction des philosophes et des écrivains, le sens et la portée pratique de leurs activités, de ce qu’ils pensent et de ce qu’ils écrivent : comment ces activités peuvent-elles valoir pour les hommes de leur temps ?

3/ relier Terrasson aux penseurs et aux écrivains de son époque en pointant les enjeux des débats auxquels il a pris part. Dans cette perspective on pourrait le rapprocher de ceux qui l’ont connu et ont loué avec lui les vertus de la « modération », Fontenelle et Houdar de La Motte par exemple.

Les propositions (résumé d’une page) sont à adresser avant le 1er avril 2016 à Audrey Mirlo : audreymirlo@gmail.com

 

[1] Voir la Lettre de Monsieur de Moncrif, de l’Académie française à Milady****, Jean Terrasson, La Philosophie applicable à tous les objets de l’esprit et de la raison, Paris, Prault, 1754, p. xxxiij.

[2] Voir la Lettre de Monsieur*** à l’éditeur, La Philosophie applicable, p. xli et p. xlij pour les deux citations données.

[3] La formule est de Moncrif dans la Lettre citée, p. xxxij.

[4] Voir les Réflexions de M. D’Alembert de l’Académie des sciences, sur la personne et les ouvrages de M. l’abbé Terrasson, La Philosophie applicable, p. xvij et p. xxij pour les deux citations données.

[5] Voir la Notice sur la vie et les ouvrages de l’abbé Terrasson de Gilles Boucher de la Richarderie, Jean Terrasson, Séthos, Paris, D’Hautel, 1813, p. 7, p. 8, p. 9, p. 10 et p. 12 pour les citations successivement données.

[6] Sans qu’elle se limite à l’étude des textes de Terrasson, signalons tout de même une thèse récente qui comprend Séthos au sein d’un riche corpus d’étude : Pierre-Olivier Brodeur, Le Roman édifiant aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Jean-Paul Sermain et Ugo Dionne, thèse soutenue le 8 novembre 2013, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 en cotutelle avec l’Université de Montréal.

[7] Robert Granderoute, Le Roman pédagogique de Fénelon à Rousseau, Genève-Paris, Slatkine, 1985 [1978], p. 308. Dans une perspective un peu différente de celle du Roman pédagogique, Robert Granderoute a aussi consacré un article très éclairant à Séthos, intitulé « Fiction et philosophie dans Séthos » (Le Roman des années trente, la génération de Prévost et de Marivaux, sous la direction d’Annie Rivara et d’Antony McKenna, Saint-Étienne, Publication de l’université de Saint-Étienne, 1998, p. 77-86).

[8] Nathalie Ferrand, Livre et lecture dans les romans français du XVIIIe siècle, Paris, PUF, 2002, p. 59.


mise à jour le 15 juillet 2015


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