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Alexandre Laballe

Sans titre - Alexandre Laballe

Voilà maintenant plusieurs mois que les attentats de Charlie Hebdo se sont produits, et que les frères Kouachi ont commis cet acte affreux qui a coûté la vie à 11 personnes. (17 si on relie les attentats de l'hyper-casher). Ce jour-là succomberont des grands noms que tout le monde connaissait et regrette aujourd'hui : Cabu, Charb, Tignous, Wolinski, Honoré, … Tant de talents gâchés, tant de morts pour un dessin ! A la suite de ces événements, la république (j'entends, en ce sens, la TOTALITÉ des citoyens qui forment notre état, et non la caste politique) s'est émue et révoltée contre ce crime. En quelques heures, les réseaux sociaux se sont enflammés, les journaux ont tous titré sur les attentats et les chaînes de télévisions ont fièrement arboré le logo « je suis Charlie ». Une manifestation a ensuite eu lieu, réunissant plus de 4 millions de personnes et un groupe de politiciens qui, bien évidement, défilaient à part. Droite et gauche défilaient main dans la main pour défendre la liberté d’expression. Maintenant que les événements sont passés et que l'attention du public est retombée, l'heure est venue de réfléchir un peu sur cette manifestation républicaine qui montre un extraordinaire élan de solidarité mais qui contient, en soit, plusieurs paradoxes qui me semblent utiles de montrer.

Premièrement , nous avons vu un groupe de politiciens défiler fièrement les uns à coté des autres pour défendre la liberté de parole des médias, afin de montrer un semblant de populisme et de cacher la manipulation médiatique permanente que nous subissons quotidiennement. En 2004, à l'occasion de la commémoration du 60ème anniversaire du programme commun du Conseil National de la Résistance instauré pendant la guerre (qui prônait des valeurs comme la mise en place de la sécurité sociale, de grandes nationalisations et, ce qui nous intéresse, la liberté de la presse), les anciens membres du CNR se sont retrouvés et ont lancé un appel aux jeunes générations pour « que la flamme de la résistance ne s'éteigne jamais ». Entre la demande de réinvestissements financiers pour favoriser les conquêtes sociales et la demande de redéfinir ensemble un programme commun pour le siècle à venir, ils appellent la république à « une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. Nous n'acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944. ». Analysons de plus près ce message intéressant. «  les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande ». Selon une étude menée par l'agence « Audipresse » sur la période juillet 2013 – juin 2014, sur les 44 magazines hebdomadaires les plus vendus durant cette période, 16 concernent de près ou de loin l'information et l'actualité, à savoir, dans l'ordre des ventes : Paris match , Télérama, Le Nouvel observateur, l'Equipe, l'Express, Le Point, Le Figaro, M le magazine du Monde, Le Parisien/Aujourd'hui en France, Marianne, Courrier International, Pèlerin, Point de Vue, La Vie, Challenges et les Inrockuptibles . Il est important de préciser que AUCUN de ces journaux n'est financé de manière indépendante (alors que des journaux nationalement connus sont indépendants : citons « le Canard Enchaîné » ou l'excellent journal « le Monde Diplomatique », financé à 50 % par ses lecteurs et qui fonctionne en totale autonomie par rapport au « Monde »). J'entends par là que ces journaux ne se financent pas en autonomie mais sont possédés par de grands groupes ou des investisseurs privés. En télévision et en radio, c'est la même chose : Aucunes des grandes stations de radios/chaines de télévisions les plus suivies sont indépendantes, le service public appartenant à l’état. Ce qu'il faut comprendre alors de cette étude, c'est que, en France, une caste de personnes possède le monopole sur la majorité des médias français et donc, a la lourde tache d'informer la population française, et c'est à eux que nous devons faire confiance pour nous informer. Il existe un mot dans le dictionnaire pour désigner ce type de personnes : un magnat des médias. En France, il existe plusieurs magnats connus comme Arnaud Lagardère (Groupe Lagardère : Elle, Paris Match, Europe 1), Serge Dassault (Groupe Dassault : Le Figaro, La voix du nord, Valeurs Actuelles), le groupe « Le Monde » ( Le Monde, Télérama, Courrier International ) Or cette omniprésence des magnats dans les médias français est problématique, et ce pour plusieurs raisons : Les médias hiérarchisent les informations.

Un excellent exemple qui démontre que le monopole de ces magnats est problématique est le film « Demain ne meurt jamais » où un puissant magnat n'hésite pas à déclencher une guerre nucléaire pour pouvoir tourner les informations à son avantage et avoir le monopole sur la presse. Ce que veut dire le message de ce film, c'est que, quand les médias sont contrôles par une caste, ceux-ci ont alors le monopole sur l'information et peuvent écrire ce qu'ils veulent. C'est problématique dans le sens où, comme ces investisseurs ont payé des millions d'euros pour posséder le média en question, ils attendent un retour sur investissement, que ça soit au niveau des chiffres d'audience ou au niveau des recettes publicitaires. Or les recettes publicitaires étant proportionnelles à l'audience desdits médias, les patrons vont tout faire pour garder leur auditorat stable et vont user de ficelles assez basiques mais plutôt efficaces. Ils vont par exemple user des titres racoleurs, mettre en avant les faits-divers, garder un flux d'information stable et éviter de s'attarder trop sur une actualité, utiliser des actualités plus légères (musique, cinéma, …), pousser des personnalités interviewées à sortir la phrase choc qui va « buzzer » et déclencher le fameux « clash », tout ceci au détriment des véritables actualités intéressantes et des débats de fond qui feraient avancer la société ou évoluer le lecteur ou le téléspectateur en l'invitant à réfléchir sur le monde qui l'entoure en l'informant sur sa situation, comme se doivent de faire tous les médias. Problème : profit et éducation populaire ne riment pas. Ce niveau de divertissement et de propagande devient alors très alarmant, surtout quand ces médias-ci ont une telle visibilité et une telle connivence entre eux et n'hésitent pas à se soutenir les uns les autres. Exemple : Eric Zemmour travaille au Figaro Magazine, pour Paris Première, pour M6, pour RTL, … Surtout que, Monsieur Zemmour ne se cache pas pour afficher ses opinions politiques, ce qui m'amène au second point : les journalistes jouent une place majeure dans le système politique français. Le documentaire « Pas vu, pas pris » de Pierre Carles traite notamment de ce sujet là : le documentaire s'ouvre sur une discussion entre François Léotard (alors ministre de la Défense) et Étienne Mougeotte (alors directeur des programmes de TF1) enregistrée Le 6 juin 1994, alors que le ministre s’apprête à intervenir dans le journal de 20 heures de TF1. Lors de cette discussion, les deux hommes n'hésitent pas à montrer une amitié flagrante. Mougeotte se vantant même auprès du ministre d'avoir fait en sorte que les français plébiscitent des lois anti-terroristes ! Ici, nous avons un très bon exemple de média qui prend parti pour un homme politique en détournant souvent les informations pour instaurer un système de pensée : cela s'appelle la désinformation.

La désinformation, telle que définie par Vladimir Volkoff, « est une manipulation de l'opinion publique, à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés. ». Ces détournements sont très nombreux  mais je vous invite à lire le livre de Noam Chomsky : « La fabrication du consentement, de la propagande médiatique en démocratie ». Chomsky, dans son livre, critique la manière dont les médias diffusent largement leur pensée libérale, voire néo-libérale, en détournant plusieurs faits d'actualité, en les accentuant largement et en leur accordant bien plus d'importance qu'ils ne le méritent : le livre a été publié en 1988, donc rédigé un an avant la chute du mur de Berlin et trois ans avant la chute de l'URSS, donc en pleine guerre froide. Chomsky montre avec brio comment les journaux Maccarthystes Étasuniens ont accentué largement les crimes produits en URSS , faisant passer les communistes pour des tueurs et ainsi développer une idée profondément anti-communiste et donc de légitimer le boum libéral qu'avait connu le monde pendant les années 80 grâce au tandem Reagan-Thatcher .Chomsky est aussi connu en France, en tant qu'anarcho-syndicaliste, pour avoir défendu la liberté d'expression de Robert Faurisson, un célèbre négationniste français, dans un texte intitulé «  commentaires élémentaires sur le droit à la liberté d'expression », ou il défend une liberté d'expression de tous les idées, aussi marginales soient-elles, en précisant que la liberté d'expression des uns ne veut pas dire que ces pensées doivent être acceptées. Ce que, je pense, veut dire Chomsky par cet écrit, c'est que censurer les pensées dissidentes du système sous couvert d'une bien-pensance, c'est laisser une visibilité totale à la pensée libérale représentative du système (banques, politiques, entreprises, états), et donc que laisser une liberté totale d'expression, c'est aussi laisser aux lecteurs d’être confronté à une multi pluralité des idées qui sortent du cadre de cette bien-pensance. Le principal argument contre cette liberté d'expression est, bien sur, l’extrême droite. Or, l’extrême droite n'a pas le monopole majeur de la pensée anti-système actuelle, loin de là. Il n'y a qu'à voir : Marine le Pen est dans tous les journaux, Florian Phillipot est sur tous les plateaux télés, Alain Soral et Dieudonné sont omniprésents sur internet. L’extrême droite est donc omniprésente dans nos médias et donc ne représente pas un argument contre une liberté totale d'expression. Ce qui en est une, en revanche, c'est le principe en lui même de liberté des individus par rapport aux états et aux marchés financiers, et qui appellent à des actions populaires et citoyennes. Dans quel journal peut-on lire le principe du revenu de base ? Quelle télévision à déjà parlé du tirage au sort ? Quelle radio s'est interrogée sur l’anti-démocratie de notre constitution ? Je pense que les totaux sont faciles à faire.

Vous comprenez ici quelles seraient les conséquences d'une liberté totale d'expression. Elle ne mènerait pas à une radicalisation des populations, mais permettrait plutôt de favoriser des initiatives populaires comme l'éducation populaire et la transmission facile des idées dont tout le monde devrait pouvoir bénéficier mais ne le peut pas. C'est le sens du message du conseil national de la résistance : remettre la culture et l'éducation au cœur du système médiatiques pour permettre à tout le monde d'avoir les outils nécessaires pour comprendre la politique mise en place et qui donc peut affluer sur cette politique mise en place. En faisant mes recherches, je me suis demandé quel était le pays avec la presse la plus libre au monde. Selon reporters sans frontières, c'est la Finlande. La Finlande qui, non seulement a un système scolaire et une sécurité sociale que beaucoup qualifient de « meilleurs au monde », possède une assemblée monocamérale (une seule chambre au lieu de deux) constituante (une assemblée constituante est une assemblée chargée de rédiger ou de modifier une constitution et qui possède l'autorité législative suprême.). Coïncidence ? Impossible !

Il faut aujourd'hui que la presse se libère des marchés financiers, des grands investisseurs et de la dictature publicitaire pour offrir à son public toutes les clés nécessaires pour permettre à leur lectorat ou à leur auditoire d'exercer pleinement leur devoir de citoyen. Mais il faut aussi que les citoyens s'interrogent eux mêmes sur le monde qui les entoure, qu'ils ne se contentent pas d'un bref résumé d'une actualité pour forger leur propre avis et qu'ils prennent l'initiative de s'informer sur une actualité par eux-mêmes, qu'il n'hésitent pas à encourager les médias indépendants et à remettre en cause les médias mainstream. Et c'est l'appel que je lance aux manifestants de la marche républicaine qui se sont dressés contre cette dictature de la bien-pensance et pour une liberté d'expression. Car oui, je vois en cette manifestation un souffle de renouveau contre cette propagande médiatique, qui souhaiterait instaurer une pluralité médiatique au cœur du système politique, et si les français sont si attachés à liberté de penser et à la liberté d'écrire, et que ceux-ci souhaitent un renouveau médiatique alors je suis fier de dire que JE SUIS CHARLIE !

mise à jour le 28 avril 2015


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