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Description scientifique ANR - Ecritures

DESCRIPTION SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

SCIENTIFIC AND TECHNICAL DESCRIPTION


ÉTAT DE L'ART / BACKGROUND, STATE OF ART

Le projet ECRITURES articule trois axes de réflexion :

  • Analyse de productions verbales écrites et génétique textuelle ;
  • Analyse de discours et nouveaux corpus en relation avec le travail ;
  • Traitement automatique de corpus.

Chacun de ces axes bénéficie de développements plus ou moins approfondis dans des programmes de recherche récents ou en cours.


L'étude des productions verbales écrites peut constituer une préoccupation pluridisciplinaire, comme le montrent les travaux du GDR 2657 CNRS « Approches pluridisciplinaires de la production verbale écrite », où interviennent des linguistes, des psychologues, des didacticiens, des informaticiens, etc. De nombreuses études ont également été menées dans les pays anglophones ou encore au Canada (cf. l'Association canadienne de rédactologie), traitant essentiellement de l'aspect acquisition/didactique de l'écrit (cf. Kaplan & Grabe 1996, Fabre-Cols 2002). Ces travaux ont été menés sur des corpus spécifiques tels que les productions guidées de textes en situation d'apprentissage, les productions littéraires et les textes procéduraux. Il a été montré que la production écrite obéit à des contraintes diverses, liées aux disponibilités et aux normes du système linguistique, aux normes de rédaction que le scripteur s'impose ou se voit imposer, aux limitations dues à l'évolution du texte lui-même (cf. Plane 2006, Piolat 2005, Pétillon et Garnier 2006). Certains travaux décrivent les facteurs linguistiques et cognitifs qui expliquent le développement de la production lexicale, morphologique, syntaxique ou orthographique chez les scripteurs (cf. Fayol 2002b, Sandra & Fayol 2003) ou bien le processus d'écriture lui-même (Kellogg et alii 2007). Dans une moindre mesure, on s'intéresse à l'écrit au travail, en mettant en évidence l'influence des objectifs de rédaction et du contexte de travail sur le processus d'écriture (Alamargot et alii 2005). Les étapes de l'élaboration d'un texte ont été détaillées par les chercheurs de l'ITEM (cf. Fenoglio & Chanquoy 2007, Langue française 155) ; sont mis en avant, en tant qu'éléments d'un projet créatif individuel, la planification, les stratégies de reformulation, l'avant-texte. Nous nous appuyons sur les résultats de ces travaux pour aborder la question de la performance linguistique dans un cadre professionnel socialement contraint.

Les productions verbales en situation professionnelle ont attiré l'attention de linguistes, sociolinguistes, ergonomes, etc. Le groupe « Langage et travail » a fourni une série d'études qui permettent de rendre compte du rôle des pratiques scripturales dans les contextes de travail d'une part (cf. Borzeix & Fraenkel 2001, Filliettaz & Bronckart 2005), des manières dont ce contexte façonne les genres d'autre part (cf. Boutet 2008). Il ressort de ces travaux que la production verbale en situation de travail se constitue en un outil d'action, d'organisation, de modélisation. Mais ils soulignent que le langage est, lui aussi, soumis à des modélisations et à des formatages à visée évaluative ou prescriptive. Le projet ECRITURES cherche à modéliser les interférences entre pratiques langagières et pratiques socio-professionnelles telles qu'elles se manifestent dans le processus de rédaction.

L'utilisation des logiciels de suivi de rédaction ou d'analyse génétique s'est fortement développée ces dernières années. On pourrait répartir ces développements en deux catégories :

  • des logiciels servant à enregistrer l'écriture en temps réel, prenant en compte aussi bien le geste et la dynamique du processus d'écriture que le contrôle visuel ; c'est, par exemple, le cas de Eye and Pen (Université de Poitiers, et d'Inputlog (Université d'Anvers) ;
  • des logiciels qui visent à établir un relevé systématique et une étude des transformations processuelles du travail de réécriture ; ces logiciels peuvent être
    produits à cet effet (Edite-Medite, Université Paris 6) ou bien être adaptés à ce type de traitements (MkAlign, Université Paris 3).

Ce travail exploitera un certain nombre de ces logiciels et débouchera sur une série de
propositions méthodologiques en vue de leur développement ultérieur en vue d'une meilleure prise en charge des données linguistiques.

Le projet ECRITURES prend également appui sur des recherches préliminaires que nous avons pu mener dans le cadre d'un appel d'offre de l'Observatoire national de l'Enfance en Danger3 (ONED 2005) ainsi que sur un projet innovant financé par le Conseil scientifique de l'université Paris 3 (« Analyse discursive et génétique des brouillons »4 (2009-2010)).

Cette première étape nous a permis de mettre au point une méthodologie et de faire apparaître des formes linguistiques et des configurations discursives signant l'inscription des attentes sociales des scripteurs, elles-mêmes le reflet des normes sociales implicites ou explicites dans le champ de l'enfance en danger (voir Cislaru et Sitri 2006a et 2006b, Cislaru et alii 2008). On peut donc dire qu'un rapport éducatif n'est pas une simple relation de faits mais le résultat d'un travail interprétatif. Les opérations d'ajout et de remplacement, par exemple, révèlent des choix cohérents avec une visée évaluative du produit écrit final (la continuité du projet professionnel la mise en échec du projet professionnel ; difficile impossible).

Sont également repérables des traces des discours de l'Education nationale, les discours psychologisants, les discours moralisateurs et les discours médicaux ou juridiques ; ces dernières peuvent faire l'objet d'une suppression, comme pour gommer un marquage trop fort de l'interdiscours (on supprimera ainsi en faux-self au fil des réécritures). De même, nous avons pu mettre au jour l'ambivalence énonciative des écrits de signalement. Ainsi, d'une part, l'analyse des formes de discours rapporté et des temps verbaux (alternance entre présent et futur notamment) a permis de montrer qu'il y a enchâssement d'énonciations (passage d'un énonciateur (travailleur social-scripteur) à un autre (famille, le plus souvent)) et enchâssement de temporalités (Sitri 2008). Au fil des brouillons, on peut observer l'ajout de séquences mettant en avant des hétérogénéités diverses (avis des parents, scolarité) et l'impact que cette opération peut avoir sur l'emploi des temps verbaux. D'autre part, la possible convergence de points de vue est illustrée par des substitutions du type (venir en stage reprendre un stage ; donner des câlins, répondre à des câlins), et le scripteur peut exprimer son inquiétude face à la situation suite à la description des affects de l'enfant (cf. Cislaru 2008). Ces résultats préliminaires seront exploités afin de mettre en place des catégories pour l'étiquetage et l'analyse du corpus.


OBJECTIFS ET CARACTÈRE AMBITIEUX/NOVATEUR DU PROJET / RATIONALE
HIGHLIGHTING THE ORIGINALITY AND NOVELTY OF THE PROPOSAL

Les objectifs du projet ECRITURES sont de nature théorico-descriptive, méthodologique et applicative.

Dans une perspective théorico-discursive, il s'agira, d'une part, de proposer une description détaillée des stratégies linguistiques impliquées dans le processus de rédaction professionnelle et, d'autre part, de spécifier la manière dont les contraintes linguistiques, sociales et cognitives sous-tendent les pratiques de réécriture. Nous allons décrire un genre discursif peu ou pas abordé par la génétique textuelle : les rapports sociaux dans le champ de la protection de l'enfance ; l'objectif est ainsi de décrire le processus de rédaction de textes à fortes contraintes institutionnelles et normatives. Grâce à une approche longitudinale accompagnée par ordinateur, nous rendrons compte de la répartition des opérations de réécriture au fil du processus et de la nature des unités linguistiques soumises à ces opérations à telle ou telle étape du processus. Ainsi, à un niveau macro-discursif, on pourra observer de près les moments d'inscription de la subjectivité dans le texte ; les ajustements discursifs en lien avec les attentes sociales ; les choix dans la catégorisation de la situation, etc. Au niveau linguistico-discursif, c'est la chronologie même des configurations lexicale, syntaxique et textuelle qui constituera notre objet. Ces objectifs spécifiques se conjuguent pour formuler une visée globale : déterminer comment est configuré l'objet « discours » en tant que forme d'action interactive et contextualisée qui est régie par des normes (cf. Charaudeau et Maingueneau 2002 : 187 et sq.). Au final, la description fine des opérations et des stratégies linguistiques débouchera sur une proposition de modélisation théorique linguistique, appelée à compléter l'état de connaissances actuel en matière de performance langagière.

Dans une perspective méthodologique, nous nous proposons de développer des méthodes d'analyse multiparamétrique du processus de rédaction. La textométrie longitudinale est une de ces méthodes : appliquée à un corpus séquencé chronologiquement qui bénéficie d'un étiquetage morphosyntaxique, elle permettra de prendre pour objet d'étude des éléments aussi divers que les opérations, les unités linguistiques, les segments graphiques. Cet objectif permettra d'apporter un élément de réponse aux difficultés liées au traitement exhaustif des données génétiques, notamment dues à la complexité du processus d'écriture et au volume des données à traiter.


Dans une perspective d'application, l'apport descriptif et méthodologique sera orienté vers la mise en place/le développement de logiciels de suivi de rédaction. S'il existe actuellement des logiciels de suivi rédactionnel pour l'analyse génétique des textes (par exemple, InputLog, Université d'Anvers ; Eye and Pen, Université de Poitiers ; Scriptlog, Université de Stavanger, Norvège), ils sont généralement orientés vers un traitement du texte littéraire - il s'agit donc d'une pratique auctoriale subjective et non encadrée a priori, ce qui limite le champ d'analyse - ou de productions « libres » d'adultes et d'élèves, et n'envisagent pas une application à l'encadrement de la rédaction professionnelle. Par ailleurs, les logiciels qui existent actuellement sur le marché restent souvent assez difficiles à utiliser et ne proposent pas encore un enregistrement à la fois exhaustif et facilement analysable en opérations distinctes du processus d'écriture, compte tenu notamment de la complexité de ce dernier ; par exemple, ils ne permettent pas de rendre compte de manière précise des absences et des ratures, or il est très important de savoir ce qui a été effacé pour être remplacé dans un texte. Les résultats du projet ECRITURES pourront contribuer au développement de ces logiciels.


Enfin, il s'agit de produire des connaissances répondant à une demande sociale formulée par les travailleurs sociaux eux-mêmes, qui cherchent à mettre en place une réflexivité de leurs pratiques de rédaction et qui sont demandeurs d'avis d'experts dans le domaine. Dans un premier temps, l'objectif est de proposer un schéma d'analyse susceptible de guider les travailleurs sociaux dans la mise en place d'une grille auto-évaluative (cf. Cislaru et al. 2007), qui leur permettra de mieux cerner les difficultés d'écriture qu'ils nous ont signalées lors des échanges antérieurs. Dans un deuxième temps, on se propose d'aborder l'articulation entre une analyse génétique et une réflexion didactique (cf. Branca-Rosoff et Garcia-Debanc 2007) ; on mise ici sur une prise de conscience des différentes contraintes et des disponibilités linguistiques plutôt que sur une norme d'écriture.

Ce travail s'inscrit bien évidemment dans les préoccupations scientifiques du SYLED (SYstèmes Linguistiques, Enonciation et Discursivité), qui s'intéresse aux discours, à leur structure et à leur circulation. Nous nous donnons cependant un objet nouveau - la performance langagière telle qu'elle peut être observée dans une perspective génétique - et l'approche que nous proposons est trans-domaniale, car plusieurs domaines de la linguistique sont concernés : analyse de discours, génétique textuelle, linguistique de corpus, psycholinguistique.

L'étude est également orientée vers la transdisciplinarité, avec des questionnements qui concernent la sociologie, la psycholinguistique, l'informatique, la didactique. Les résultats de ce travail peuvent avoir plusieurs débouchés :

L'originalité du projet réside donc dans les faits suivants :

a) originalité de l'approche :

  • travail à l'interface des pratiques discursives et des pratiques sociales ;
  • approche linguistique de la performance langagière
  • approche génétique de textes non littéraires ;
  • association étroite des professionnels du champ de l'enfance en danger à la recherche en cours.

b) caractère innovant :
  • proposition de développement d'une méthode textométrique longitudinale capable de prendre en charge des objets d'étude de nature diverse et de croiser les résultats des explorations ;
  • mise à profit des résultats pour contribuer au développement des logiciels de suivi de rédaction ;
  • proposition d'une grille auto-évaluative dans une perspective de formation/didactique de l'écrit professionnel.

Ces caractéristiques du projet seront exploitées dans une perspective méthodologique
dans le cadre des journées d'étude que nous organiserons en fin de contrat. Il s'agira de dégager alors de nouvelles pistes à l'interface des pratiques discursives et sociales en affinant l'approche multiparamétrique des discours et la prise en compte des trois types de contraintes : linguistiques, sociales et cognitives.



mise à jour le 6 octobre 2011


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